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Te Tama tāuà



Tepano avait vogué seul, accroupi et les cheveux en bataille, dans la cale de sa chaloupe. Lorsqu’il pénétra dans la baie de Taiohae, la lune se reflétait sur une mer noire et lisse comme le marbre. Songeur, il se leva, saisit sa lanterne et vit qu'une tortue faisait route avec lui.

« Une passeuse d’âme » sourit-il d’un air entendu.
 
L’enfant des Marquises avait parcouru le Henua Enana, par-delà les crêtes et les pentes abruptes, à la recherche d’un arbre miraculeux au pouvoir enchanteur.

À Hanavave, il s’était frayé un chemin entre les cathédrales de basalte. À Eiao, il trouva une île rouge peuplée de moutons oubliés. Mais c’était en l’arboretum de Papuakeikaa qu’il avait fondé le plus d’espoirs - en vain. Il brava alors le ressac et accosta à Nuku Hiva où un vieil homme aux mains savantes sculptait depuis la nuit des temps. 

Il parlait d’un somptueux banian qui régnait sur Hatiheu depuis un demi-millénaire. 

« Poiti*, c’est là ton chemin » lui dit-il lentement, d’une voix grave et cérémonieuse. 

Les heures qui suivirent, Tepano se mit en route d’un pied sûr. Il fit sa première halte au mirador de Tekehika, où les étoiles facétieuses se jouaient des marins distraits. Les unes filaient, les autres dansaient. 

« Allons, mes jolis, un peu de sérieux » souffla-t-il aux astres dissipés.

Il se recueillit un instant pour contempler le sanctuaire étoilé. Et, sous la protection d’une myriade de constellations, il s’enfonça dans l'île, surveillé par un 'upe revêche et un croque-mitaine imaginaire.

Tepano songea à toutes les créatures maléfiques qui avaient pour violon d'Ingres la chasse aux voyageurs esseulés, avant de hâter le pas.

Il progressa de vallées en ravines et parvint chancelant au paepae Kamuihei gardé par un majestueux banian.

Pour l’approcher, il traversa un ballet d’âmes-gardiennes très affairées, qu’il aurait été malvenu de déranger. Intimidé, Tepano s’était contorsionné jusqu’au pied de l’arbre où il baissa la tête et ploya le genou.  

« J’aimerais connaître le pouvoir qui enchante les Marquises. »

Ses paroles se dissipèrent dans un long silence, rompu par les protestations du vent.

« Cela serait un honneur, votre Majesté » renchérit-il fébrilement.

Un petit rire retentit au loin. Les âmes s’écartèrent pour former un couloir qui menait au pied d’une petite plante ordinaire, qu’il avait prise à tort pour un jeune manguier.

C’est ainsi que Tepano découvrit que les dons les plus précieux sont parfois invisibles à nos yeux. Éblouis par la beauté d’une fleur d’hibiscus, humbles face au gigantisme d’un canyon, nous ignorons le mouvement imperceptible de la sève qui irrigue la feuille, du pétiole jusqu’à la nervure et le mystère de ses vertus si précieuses pour les vivants.

Alors Tepano s’agenouilla et découvrit un tu’eiao, un arbre miraculeux au pouvoir enchanteur, endémique de l’île de Nuku Hiva. Depuis que l’archipel fut créé par le dieu Oatea, il offrait aux Marquisiens le pouvoir sacré de la guérison.


*Fils 

Autrice : Sandra Forlini