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Abysse



Je suis seule sur cette immense plage bordée de végétation luxuriante. Mes pieds s’enfoncent dans le sable chaud. Le vent emmêle mes cheveux. Ce même qui apporte de gros nuages gris. Le temps vire à l’orage. Je sens l’odeur de la pluie humide qui va ruisseler sur ma peau. 
J’aime le vent violent, les tempêtes, la nature qui se déchaine. Ces temps m’apaisent. Ils m’ancrent dans le présent, me ramènent à la vie lorsque mes pensées divaguent. Je me sens souvent comme une feuille qui se laisse porter par le vent. Mes pensées sont des tourbillons d’air et mon corps est la feuille.
Ce matin pourtant, c’est aussi la tempête dans ma tête. Les pensées se bousculent, tourbillonnent en moi. Je me sens perdre pieds. Mon corps est une maison emportée par un cyclone. 
Je suis sortie nue me confronter aux éléments. J’ai besoin d’air, j’étouffe. Je recherche l’œil du cyclone où tout doit être calme. Le sable projeté par le vent me fouette le corps, me griffe. Je pourrais me protéger de mes mains mais je me livre toute entière à la nature. C’est elle qui décide, qui contrôle. 
Mes pas m’ont portée jusqu’à l’océan. Les vagues viennent jusqu’à mes chevilles, elles me lèchent les jambes. J’ai de l’eau jusqu’aux hanches, mais je ne m’arrête pas. L’océan m’a toujours attirée. L’eau, état primitif, fœtal. Elle apaise, délivre autant qu’elle calme et ramène à la vie. L’océan est fort et tumultueux. Le vent pousse les vagues contre le rivage. Je plonge sous elles. Le doux son des cailloux, du sable qui roule sous la puissance des flots. Je ne m’entends plus penser. Je remonte à la surface, je prends une grande respiration d’air salé. Je plonge de nouveau sous les vagues. Le relief sous-marin est extraordinaire. Les rochers qui s’avancent sous l’eau et d’un coup disparaissent dans les profondeurs. Une falaise sous-marine abrupte qui abrite la faune locale. Je remonte respirer. Je suis au-dessus du précipice marin. Je veux retourner voir cette vie qui s’agite sous mes pieds. Je veux que mon esprit se calme, me laisse tranquille. Je respire calmement, portée par le va-et-vient des vagues. Je retiens ma respiration et je plonge de nouveau. 
À portée de brasse, le précipice montagneux et ce bleu profond presque noir. Le soleil est filtré par les nuages. Il n’a pas assez de force pour percer le bleu ténébreux des abysses. Je nage pour m’agripper à cette roche quand j’entends le chant des baleines se répercuter sur les parois du précipice. Ce son résonne en moi. Il fait vibrer mon âme. Il entre en résonnance avec mes organes. Les baleines communiquent entre elles et je me retrouve au milieu de ces vibrations comme hypnotisée. 
Elles m’appellent.
Je nage toujours plus profond dans ce bleu intense, sans fond. La vie autour de moi m’accueille, me protège. Je vois des poissons danser autour de moi, les coraux deviennent les maisons de diverses espèces. Je suis l’invitée dans ce grand village. Je suis guidée par le chant des baleines. Elles me guident toujours plus profond, toujours plus loin. Une ombre passe près de moi. Mon guide m’appelle. Ses mouvements sont signaux, cette ombre me raconte des choses. Le secret de la vie est à la portée de mes mains. Alors je pousse encore plus sur mes jambes pour les rejoindre. 
Je me laisse glisser vers ce chant hypnotique. Toujours plus profond. Mon corps n’émet plus de signal d’alerte. Je suis bien, apaisée. Mon esprit s’est calmé. Je ne ressens plus la brûlure dans mes poumons. Je descends encore plus profond. L’ombre est toute près de moi et m’accompagne dans le noir. 
 
Au loin, une baleine saute hors de l’eau et éclabousse l’océan. Une gerbe d’eau sort de l’évent de l’animal. Elle respire.
Le souffle de vie. 
 
 
Autrice : Maeva Berthet