Tahiti Infos

Plus que 2 jours avant l’arrêt du programme



22 h. Les épaules basses, James se décide à quitter l’atmosphère contrôlée du World Species pour rentrer chez lui. Depuis son retour à Tahiti-Unesco, ce spécialiste en biologie marine n’aura pas chômé. Bringuebalé dans tous les services de la réserve marine-terrestre floristique et faunistique de l’humanité, il a enfin atterri au service Life shark,  après 2 ans de patience et moult péripéties administratives. Ce service qui l’a fait revenir sur l’étroite terre de ses ancêtres occupe 80 % de son temps qu’il ne souhaite pas perdre, pour le moins du monde.
Installé confortablement dans l’ascenseur dépressurisé qui le mènera 100 m plus bas vers sa ligne de métro, l’Ocean tube, il grimace en se remémorant qu’il a fait la promesse à sa tante de l’aider aujourd’hui. Il doit remonter et emprunter une autre ligne : les quartiers populaires sont situés à la surface, très loin de l’eau limpide et oxygénée des profondeurs.
James constate que le Surface tube est encore plus bondé que dans ses souvenirs.
Après 5 min de trajet, James se met à admirer la vue. Les rames du métro l’ont suffisamment éloigné pour qu’il puisse apercevoir la bulle de verre protectrice qui surplombe le mont Orohena, vestige de l’île mythique. Cette pointe montagneuse timide lui semble presque ridicule. Les alizés, les cocotiers, l'azur du ciel, ça devait être quelque chose…
Pour la première fois, le jeune scientifique entend le message radiophonique redondant de la ligne de surface : « N’oubliez pas de vous équiper pour le passage à l’osmotique. J-2. ». C’est quand même le comble. Le gouvernement au bord du gouffre financier n’est plus en mesure de fournir de l’eau potable à la population vivant à la surface. Les foyers du Tahiti d’en haut sont gentiment invités à s’équiper individuellement d’unité de dessalement d’eau de mer. James, évidemment, n’a pas ce souci-là. Son revenu très confortable lui permet de louer un magnifique loft, tout équipé et tout alimenté en eau potable, dans la résidence huppée Les Jardins de Corail
Charlène, sa collègue, résidente du haut, n’y croit qu’à moitié à ce passage à l’osmotique. Trop brutal. Trop peu soucieux de l’équité entre le bas et le haut. Elle ne s’est toujours pas équipé de son décodeur osmotique. « Ils peuvent pas faire ça, c’est dégueulasse... Et puis au pire, si ça devait arriver, j’achèterais au tout dernier moment. Qui sait les prix vont peut-être baisser un peu » disait-elle ce matin.
Pauvre Tatie Rona, installer ce matériel toute seule, elle qui est si peu familière des nouvelles technologies.
La voix féminine qui martelait précédemment la fin du programme annonce désormais l’arrêt Papevari, où James doit descendre. Debout, près à bondir hors de la rame, il s’aperçoit qu’il a oublié de prendre sa combinaison anti-UV-c, qui doit le protéger des rayons cancérigènes du soleil. Se protégeant comme il peut la tête et les épaules avec sa blouse de labo, il s’élance hors de la rame en déclamant : « Il faut bien mourir de quelque chose ! »

Autrice : Yayani