Mon fenua



C’est le tiurai. Nous marchons le long de la route de l’aéroport pour atteindre Avera. Il fait froid, très froid même. Ma maman fa’a’amu me prend doucement la main pour me faire avancer. Sa main est glacée alors je frissonne. « Courage, une tasse de milo bien chaude nous attend » me dit-elle. Cela me met du baume au cœur, je presse le pas. 

Je vois le chemin que nous avons pris hier avec Tonton. Nous avons escaladé la montagne en nous agrippant aux branches. J’avais mes jolies chaussures toutes crottées de terre et mon tricot aussi. Maman a dit que ce n’était pas grave, elle va tout nettoyer. Il fallait marcher vite pour suivre Tonton. J’avais mal aux pieds et mes jambes étaient griffées par les ronces. J’ai été piqué par une guêpe une fois puis deux puis à la troisième, j’ai pleuré. Tonton a pris des racines pour me faire un bandage. La douleur est vite partie, j’étais content. Dans la prairie, ça sentait bon les fleurs et la terre humide. En cachette, nous avons cassé quelques fruits. Le pamplemousse avait un goût sucré, le jus des oranges coulait entre mes doigts, c’était délicieux. Maman a dit qu’on reviendrait pour les litchis. Tonton a ajouté « Ah ça oui, y en a des litchis à Rurutu, ce sont les meilleurs même ». Aux tarodières, Tonton était fier de m’apprendre à creuser la terre à coup de barre à mine et à faire le paillage. J’ai travaillé comme un homme, comme un Rurutu a dit Tonton. C’est normal, j’ai 7 ans quand même ! Maman me dit toujours que c’est de mon papa Rurutu que je tiens ma force et mon énergie. Mais, elle dit aussi que je suis têtu comme un Rurutu ! 

Là-bas, c’est l’océan. Le ciel est tout rouge. Comme d’habitude, on prend le temps de le regarder disparaître sous l’horizon. Pas de chance, pas de rayon vert ce soir. Peut-être demain a dit Maman. Au loin, le Tuhaa Pae rentre sur Papeete. Maman me raconte quelques-unes de ses aventures quand elle y travaillait. Ce sont toujours les mêmes, mais à chaque fois on rigole. Quand je serai grand, moi aussi je travaillerai sur les bateaux, ou non, encore mieux, je vivrai sur un bateau. Un bateau à moi. Comme ça, je pourrai voir les baleines et même nager avec les dauphins. Le matin, j’irai à la chasse et je ramènerai du poisson. Maman fera du poisson cru. Avec des frites ! Oh oui, on fera cela tous les jours ! Et avec Maman, on fera le tour du monde, ça c’est sûr. 

Je lève la tête et je vois les oiseaux tournoyer au-dessus de nous. Je me dis que cela serait vraiment bien si on pouvait voler comme eux, nous serions arrivés depuis longtemps. Je ne veux plus marcher. Je trébuche à chaque pas et je suis fatigué. Maman s’accroupit devant moi. Elle me caresse délicatement la joue puis pose un léger baiser sur mes yeux. Nous échangeons un regard plein d’amour. Tous les deux, nous n’étions pas faits pour nous rencontrer et pourtant c’est une évidence : nous deux c’est pour la vie. Elle se relève lentement et me fait un clin d’œil. Je lui prends la main et nous repartons. 

Autrice : Chatterton