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Quand l’avion s’approche, Raita fond en larmes. Elle se cache. Trente ans qu’elle n’est plus venue sur son atoll, sur son fenua. Trente ans d’une vie difficile à Paris, entre ménages dans les bureaux de la tour Montparnasse, enfants à élever seule, appartement exigu donnant sur les voies de chemin de fer. Elle était pourtant partie à Paris le cœur léger, saisie par l’amour qui était né dans son cœur pour ce farāni si beau, si élégant, si racé. Un homme qui n’aura pas mis très longtemps pourtant à l’abandonner avec ses trois petits. Alors il lui a fallu travailler. La honte lui a imposé le silence et elle n’a plus donné de nouvelles à sa mère, à ses sœurs là-bas à Rangiroa. Pas le sou pour prendre l’avion. Alors elle a avalé son chagrin, chaque matin, en partant travailler, hiver comme été. Mais ses nuits, elle les a passées là-bas, nageant dans l’eau de son lagon. Et puis la voilà qui revient enfin, vieillie, fatiguée, libérée de son travail et de ses enfants qui ont fait leur vie en métropole. Alors cet avion qui s’approche doucement et le lagon qui apparaît, si bleu, si beau, si vaste, ça la bouleverse. L’avion atterrit, une légère secousse la fait s’accrocher au siège devant elle. Les moteurs s’éteignent. Une chanson ancienne est diffusée dans la cabine. Déjà, c’est le goût de chez elle. Puis elle descend l’escalier de l’avion et lorsque ses pieds touchent cette terre qui lui a tant manquée, elle chancelle tant son bonheur est dense, intense. Il lui faudra une petite demi-heure pour sortir de l’aéroport, le temps de prendre ses bagages. Oh, elle n’a qu’une toute petite valise. En partant de Paris, elle a tout vendu ou donné. Elle n’a prévenu personne de son arrivée. En sortant de l’aéroport, le lagon est là, devant elle, éclaboussé de soleil et de vent, et son cœur peine à y croire. Elle est revenue. Alors elle ne doit plus attendre une seconde de plus. Elle retire ses chaussures pour mieux fouler la terre, elle s’avance vers la petite plage, là, juste en face de l’aéroport, avance dans l’eau. C’est un frôlement infiniment doux sur ses jambes tant la mer est chaude. Elle avance encore, ne se souciant aucunement des quelques personnes assises sur le petit parapet. Très vite, elle a de l’eau jusqu’à la poitrine. Elle veut avancer encore, saisir par tout son corps les petits vagues qui viennent la frapper doucement. Elle ferme les yeux puis sans même y penser, elle se met à chanter. « E ‘ia ora na, ‘ia ora na E ia maeva, ia maeva ». Enfin elle plonge, elle nage, elle avance vers ce bleu qui n’en finit pas à Rangiroa. Sa robe ondule, ses cheveux flottent là, juste à la surface. Trente ans que tous les soirs, elle pensait à ce moment précis où un jour elle retrouverait son lagon. Et c’est comme un miracle ce bonheur qui la tient par la taille, qui lui fait tourner la tête. Elle s’éloigne encore et elle sait intimement, profondément, qu’elle s’est enfin retrouvée, elle qui depuis toutes ces années avait perdu ce goût si délicieux de la paix. Voilà, tout est en ordre maintenant. 

Autrice : shui siu way blandine