Tahiti Infos

Hawaiki Nui



Ô vent ramène-moi vers les îles, mon Fenua, car je ne me rappelle plus… mes paupières sont lourdes et je ferme les yeux. Le sommeil a son monde à lui où les distances n’existent pas. Le tiki me défie. Tu as oublié d’où tu viens, comment peux-tu espérer aller quelque part ! Il me montre sa langue puisque je ne connais pas le reo. Il convie mes ancêtres et les dieux. Il enrage contre les nuages-champignons toxiques et les maladies des popa’ā. Il me fait peur, je ferme les yeux.
« Hoe »… Quand je me réveille c’est pour observer le vol des frégates au-dessus de Huahine. Depuis notre Va’a qui quitte la mer pour s’élever doucement dans les airs, je fais corps avec le pēperu. Pas de vahines à bord : Tapu. Bientôt l’eau Moana du large fait place aux reflets opalescents et j’aperçois un autre vol, tout aussi gracieux et imprévisible, celui des raies qui semblent accompagner l’hawaiki nui. Les couleurs du ciel jouent avec le lagon. Ici tout est magie, rien ne dure, tout rappelle à l’instant présent et à sa fragilité… Comme les reflets de la terre ou ceux troublés de mon visage depuis le Va’a. Qui les observe dans le monde sous-marin ? Je surprends le perroquet qui file à travers le corail répéter ce qu’il a vu à Honu kea et ma’o… peut-être même à Tiki Kanaloa qui remonte des profondeurs sur le dos d’un Tohorā chanteur.
Nous portons nos Va’a sur l’épaule lorsque j’aperçois un Tiki dans un jardin. Il semble m’indiquer le chemin de Taputapuātea. Je le suis et arrive bientôt au marae, plongé dans le soleil couchant. Je suis seul face à la puissance du lieu. Le vent souffle sur les feuilles qui dansent un heiva improvisé. Je les suis du regard pour contempler le Temehani dans son paréo moutonné... Je décide de monter. Sur ses pentes, l’eau verte de la pluie s’est mise à tomber. Le nono a décidé de m’accompagner pour me stimuler. Je progresse au milieu des tiarés, frangipaniers, hibiscus, j’aperçois l’apetahi, les lianes de cire qui font les étoiles des couronnes des mariés. Sur ma tête, le ciel a, d’un coup d’un seul, déroulé sa voute. Elle semble prendre sa source à la cime des cocotiers. Un bruit derrière moi, une coco tombée ? Non Tiki Lono qui m’interpelle. Était-il déjà là ? Il me dit qu’il existe au sommet du Temehani un trou où l’on jetait la coco pour qu’elle réapparaisse au milieu du lagon entre Ra’iātea et Taha’a. Pour mon mā’a, il me tend un ‘uru de son fa’a’apu. Ici on donne, on ne vend pas. Et mon enfant fa’a’amu d’ajouter qu’il suffit de rendre à la terre qui sait être magnanime. Le jour se lève et le cri d’Otaha me fait lever les yeux. Si tu pouvais voir le Fenua depuis le ciel, tu comprendrais que la mer est à la fois ton corps et le reflet de ton âme. Elle est hier, maintenant et elle est demain, cette ligne de vie qui remonte le long de ton bras, le tatau sous ta peau tracé à l’huile de noix : un 6e sens ancestral.
« ‘Ia ora na ». Je me retourne. Le tiki m’attendait. Il sourit maintenant. Viens, assieds-toi et prends ma place, je pars... Maita’i.

Auteur : Tiki