Nana Mamie



Mamie est sur son lit de mort. Ses derniers examens médicaux effectués à Tahiti ne sont pas bons. On ne peut plus rien faire disent les médecins, le cancer a gagné. Alors, selon sa volonté, Mamie est rentrée sur son île pour y vivre ses derniers jours, entourée des siens. Pour y mourir surtout. Dans sa chambre à la décoration surannée, sa fille Poema vient l’assister autant qu’elle le peut. Elle travaille comme femme de ménage pour compléter la paye de son mari qui n’arrive que rarement jusqu’à son porte-monnaie. Hiro préfère la dépenser directement dans les caisses de bière qu’il boit avec ses copains. Mais elle ne se plaint pas, il ne la violente pas quand il rentre titubant, il ronfle seulement. C’est elle qui veille à ce que Mamie s’alimente un peu chaque jour, tant bien que mal. Et qui tente de la faire sourire quotidiennement. La tâche est rude. Mamie dit être contente d’être rentrée chez elle. Elle dit ne pas trop souffrir, rien en comparaison des jours qui suivaient les séances de chimiothérapie. Mais sous son chignon blanc, son visage reste crispé. Les jours passent. Les rides se creusent, elle s’affaiblit mais elle tient bon. Elle sait que sa mo’otua Hinerava doit bientôt arriver. Les cousins, les neveux se succèdent à son chevet mais elle attend Hinerava. Elle l’a tellement chérie depuis sa naissance. En allant à la maternité d’abord, pour soutenir Poema et récupérer le placenta afin de l’enterrer sur la terre familiale, accompagné d’un manguier. Puis, toute son enfance, elle s’en est occupée à la sortie de l’école et pendant les vacances. Elle lui a transmis ses passions : tressage, couture, cuisine et chants traditionnels. Qu’est-ce qu’elle a aimé partager tous ces moments avec sa petite-fille espiègle ! Personne n’avait été très doué à l’école dans la famille avant Hinerava. Elle était brillante. En grandissant, elle a d’abord quitté l’île pour le lycée puis est partie en France pour ses études supérieures, comme le lui avaient recommandé ses professeurs. Et Mamie n’a jamais compris qu’elle y soit allée ni même restée jusqu’à aujourd’hui. Que pouvait-il y avoir de mieux dans cette France-là pour qu’elle y reste ? Son pū fenua est ici, elle doit revenir ici, sur la terre de ses ancêtres.

Un matin, après le passage de l’infirmière, Hinerava apparaît dans l’embrasure de la porte. L’ambiance mortifère se réchauffe soudainement, tellement l’émotion des deux femmes est forte. Elle est là, elle est revenue, chez elle, enfin. Hinerava reste de longues heures auprès de sa grand-mère très faible. Elle lui annonce qu’elle a eu sa mutation et qu’elle va revenir habiter ici. Mamie affiche désormais un visage serein, soulagé. Hinerava, en plein décalage horaire, finit par s’assoupir sur la chaise longue qu’elle a installée collée au lit de Mamie. Mamie l’accompagne bientôt pour ne plus jamais se réveiller.

Le lendemain de l’enterrement, Hinerava reprend l’avion pour la France. Elle a obtenu sa promotion à Paris juste avant son départ.

Autrice : Hélène Deglaire