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Clandestin



Je me suis faufilé au milieu de la nuit dans ce qui serait ma nouvelle demeure pendant plusieurs jours. J’ai couru pour échapper à la vigilance des gardes et je me suis caché dans l’endroit le plus sombre et le plus bas du bateau : la cale. J’ai ensuite attendu patiemment que le moteur démarre et que le bateau prenne la mer. 
Le trajet était facile au début, mais dès que nous avons traversé la passe et fait quelques kilomètres, la houle se fit plus haute et plus longue. Le temps me paraissait infiniment long lorsque le bateau tanguait et que je n’arrivais pas à trouver l’équilibre. Heureusement, j’étais petit, ce qui me permettait de moins ressentir les aléas de l’océan Pacifique. 
J’ai vu les marins d’eau douce vomir par-dessus les rambardes. Je me suis nourri des miettes que je pouvais trouver lorsque je faisais mes escapades nocturnes, pendant que l’équipage ronflait et que le ciel étoilé montrait la lune, brillante et imperturbable. Le voyage a duré plusieurs jours et plusieurs nuits, aussi j’étais affamé lorsque nous atteignîmes notre destination. 
J’avais encore un goût salé dans ma bouche lorsque j’entendis le moteur s’arrêter, l’équipage crier pour amarrer le bateau. Le soulagement que j’éprouvais d’être arrivé laissait la place à la peur de me faire prendre en tant que passager clandestin. J’ai cru comprendre en écoutant les marins que nous étions arrivés à Rimatara. 
Un silence m’indiqua une opportunité pour débarquer, aussi je me lançais à toute vitesse sur la corde d’amarrage puis le plot sur lequel elle était accrochée. Le soleil me piquait les yeux et me rappelait tout ce temps tapi dans l’obscurité. Il me fallut plusieurs secondes pour me réhabituer à la lumière. Étant donné la position du soleil, il ne devait pas être loin de midi. Il me fallait vite réagir et trouver une cachette. 
J’aperçus une cocoteraie dans laquelle je pourrais aller, mais la distance était longue et les humains nombreux à décharger le bateau et récupérer leurs colis. Tant pis, je n’avais pas le choix, il fallait bien que je m’abrite. Je démarrai mon sprint au quart de tour, et me brûlai les pattes sur le ciment. La faim ne me rendait pas le plus performant et je devais être vigilant aux morceaux de corail qui jonchaient le sol. 
J’avais parcouru la moitié du chemin lorsque je sentis une présence qui me courait après. Je me retournais furtivement pour découvrir avec horreur un chien qui me coursait et qui gagnait du terrain. Je continuais ma course folle et me fis attraper juste avant d’atteindre l’herbe. Les dents acérées du molosse me rentraient dans la peau et plus je me débattais, plus les crocs se resserraient. J’ai alors compris que c’était la fin du voyage et que je ne serais pas le premier rat à m’établir ici. Je ne connaîtrais pas les joies de goûter à la pulpe sucrée des cocos de l’île, ni aux plumes rouges et vertes de l’emblème de Rimatara, le ‘Ura. Le chien attrapeur de rats avait eu raison de moi.

Autrice : Marania Colin