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Rêve culinaire éveillé



« Pako ma… tāmā΄a ! »
Le repas était prêt, des tagliatelles à la farine de taro, sauce kaveu au lait de coco et basilic anisé du jardin.
Toujours aussi réconfortante, la cuisine de Maman avait évolué avec le temps, tout comme le progrès des sciences, des techniques et des mentalités avait modelé nos assiettes.
Pour s’en rendre compte, il fallait se plonger dans les vestiges de notre mémoire culinaire.
Tenez, notre sacro-saint PPT :
« PPT comme Papeete ?
– Non, PPT comme Punu Pua΄a Toro ! »
Qui se souvient encore de son goût d’avant ? Gras, salé, loin de son actuelle saveur de wagyu noisettée, que la culture in vitro avait rendu accessible à bas prix.
Quant à son contenant, il ne reste que le nom, Punu.
Le métal de nos boîtes de conserve avait été remplacé par un composé à base de coque de noix de coco et de nacre, alliant résistance, exigence sanitaire et écologique, et disponibilité des ressources.
Respectueuse des cycles naturels d’abondance et de rareté, notre production alimentaire s’était développée jusqu’à l’autosuffisance et au-delà.
Notre étendue géographique avait permis de diversifier nos cultures selon les particularités géologiques, climatiques et océaniques de nos territoires.
La valorisation de nos déchets organiques en nourriture pour larves d’insectes, servant elles-mêmes de base d’alimentation à nos filières agricoles, achevait d’œuvrer pour le bien-être de notre assiette, du fenua et de la planète !
L’important était d’accorder nos modes de consommation et de production à une conscience innée du maintien de l’équilibre en toutes choses.
En fait, nous n’avions fait que reconquérir ce que nous avions perdu de plus fondamental, notre capacité à nous auto-nourrir.
Or, s’auto-nourrir, c’était s’émanciper, se reconnecter et créer.
Ainsi, si l’abondance campait encore nos habitus culturels, nous nous étions débarrassés de ses excès, et par là de ses maladies induites.
Développement économique, bonheur et surcharge pondérale n’étaient plus corrélés, nos consciences réveillées pouvaient assister au retour des choses à leur juste équilibre.
11-11-2050. 4 h 55. L’alarme me fit sursauter.
J’étais à bord du Kobalt, 48e navire de la flotte régionale d’extraction minière, réquisitionné pour une mission d’urgence.
L’exploitation des gisements de polymétaux avait provoqué des brèches dans le plancher océanique.
Nous autres, des Services Spéciaux Adaptés, devions empêcher les risques induits de fuite de déchets au pied de certains atolls.
Mon regard s’arrêta sur la boîte de café en plastique posée devant moi.
À côté, une boîte de sardines en aluminium était ouverte et entamée, une forte odeur de sel et d’iode se mélangeait à celle du mazout.
Juste derrière trônait une boîte de P.P.T. en métal doré, affublée d’une vache en guise de logo.
Tout cela n’était donc que rêve et divagations ?
La vache me souriait poliment, sans que je ne puisse deviner si son regard exprimait joie, tristesse ou désespoir.

Auteur : O-Ro