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La fin de la faim



31 décembre 2049, quelque part en Polynésie Api, secteur autonome administré par Pékin.
 
– Tu as trouvé quelque chose ?
– Ouais, j’ai des Doritos et du Coca.
– Ah, super. C’est des originaux?
– Non, ça vient de l’usine de contrebande. C’est plus possible d’en trouver des vrais.
– On va se régaler, on va passer un super jour de l’an.
 
2049, bientôt 2050. Les pénuries, les pandémies menacent de plus en plus les hommes fragilisés par une alimentation de mauvaise qualité. C’est la décroissance, il y a de moins en moins d’humains en bonne santé. L’Homme est menacé.
Pour remédier à ce déclin, l’entreprise BioTech, du milliardaire Gaston Wane, distribue des repas équilibrés à chaque habitant du secteur. Alimentation personnalisée, produits bio, peu de sucres, de gras, pas d’additifs alimentaires, peu de viande. Manger les rations Biotech, c’est la bonne santé garantie, idéal pour devenir un consommateur prospère et durable. Ne pas les manger, c’est perdre des points BioTech indispensables pour l’accès à la santé, à Internet, aux bornes électriques, à l’éducation des enfants dont la multinationale de Gaston Wane détient l’exclusivité.
Heureusement, des activistes militent et résistent. Ils fabriquent des aliments introuvables depuis plusieurs années : coca sucré, chips, burgers gras, gâteaux chimiques, bonbons... Des usines clandestines les cuisinent, des recettes sont échangées, des chimistes amateurs recréent des colorants, additifs, arômes artificiels, des emballages sont fabriqués à l’identique. Tout un réseau parallèle luttant contre BioTech.
La devise des activistes : vivre moins longtemps mais libre et heureux.
 
– Et toi, tu as quoi ?
– J’ai des clopes. On pourra fumer en mangeant, comme dans l’ancien temps.
– Là, on risque gros. Si les mūto΄i de BioTech nous surprennent, on va avoir droit aux travaux forcés dans les champs de monocultures bio.
 
FIN DU LIVRE
 
Moana ferme son roman, c’est l’heure du repas.
– Que faisais-tu ? lui demande sa mère.
– Je lisais un livre pas très original, un peu subversif, avec des activistes contre la multinationale Biotech, répond Moana.
– Encore un roman sur la nourriture bio, comme dans le passé ? questionne sa mère.
– Oui, c’est ça, l’alimentation en 2050. À l’époque, ils avaient encore le choix entre des aliments naturels ou artificiels.
 
Il est 20 heures, Moana et sa mère se branchent à l’alimenteur. Aujourd’hui, l’appareil leur délivrera un litre de liquide nutritif chacun. Un jus un peu épais au goût légèrement sucré. Ce soir, comme tous les soirs, ils auront le dosage parfait pour vivre en bonne santé : nutriments, vitamines, protides, antibiotiques, plus quelques anti-inflammatoires pour sa mère.
Il est 20 h 06, l’alimenteur est vide, Moana et sa mère sont rassasiés.
À 20 h 07, l’alimenteur leur crédite 100 points de vie.
À 20 h 50, Moana va se coucher avec son livre d’histoire, chapitre II : l’essor de BioTech et l’invention de l’alimenteur en 2050.
 
 
Auteur : Jean-Philippe Porta