Un large sourire fendait le visage de Tino tandis qu’il courait vers Roimita, criant :
– Māmā΄u !
Il était surexcité, comme à chaque mā΄a Tahiti, quand il retrouvait tous ses cousins. Roimata le prit alors dans ses bras, mais elle tiqua. Elle sentait bien la chaleur des baisers sur sa joue, l’odeur de fumée de ses habits, mais… Elle secoua la tête pour chasser les pensées qui fondaient sur son âme. Qu’elles se taisent, car il était temps de manger.
Elle mena Tino au ahimā΄a où cuisait lentement le mahi mahi avec du fāfā et du taro enveloppés dans leurs feuilles de bananier. Roimata et les autres māmā΄u s’étaient levées tôt pour creuser le four dans le sable et faire chauffer les pierres qui cuisaient le poisson. Elle le fixa longuement. Elle aurait pu se brûler en y mettant la main, elle l’espérait même, mais tandis que cette nouvelle pensée tournait dans sa tête, Tino lui tira la manche et elle le suivit, soulagée d’échapper à la vision du feu sur ses doigts.
Il avait chipé une brochette à la vieille Maimiti. Les enfants adoraient ses brochettes car la sauce collait aux dents et recouvrait tout. À la fin du repas ils en avaient jusque dans les cheveux, mais les parents ne s’en inquiétaient pas ; après tout, toute cette saleté disparaissait d’un coup à la fin de la journée. Roimata, donc, ne le gronda pas, trop heureuse de le voir manger à pleines dents, lui qui avait tant de mal il y a peu à comprendre l’intérêt de se remplir les joues de cette nourriture.
Elle l’écoutait parler de sa ville tandis qu’elle mâchait son po΄e, essayant d’oublier la sensation étrange qu’il lui procurait. Le goût sur sa langue ou le poids dans son ventre qui étaient là sans être là, parce que son esprit savait ce que ses yeux et son corps tentaient de lui dissimuler. Tino lui décrivit tant et si bien cette vie dont elle ne comprenait pas tout, que lorsqu’il se tut enfin, fatigué, le soleil avait décidé de se retirer.
C’était le moment du départ. Roimata étouffa ses larmes, enlaçant son Tino aussi fort que possible.
– Ne t’inquiète pas Māmā΄u, on s’appellera d’ici le prochain mā΄a…
Elle embrassa son petit-fils et continua de lui faire de grands gestes tandis qu’il portait la main à son crâne puis disparaissait dans un ballet lumière. Elle fit de même et retira son casque. Autour d’elle, les autres vieux de l’île restaient encore un peu, contemplatifs, dans leur bulle de réalité virtuelle.
Plus rien n’était pareil depuis la grande famine, depuis que l’eau avait englouti la majorité des îles, que la nourriture n’était plus que sous capsule, et les chants des oiseaux sur ordinateur. Soudain épuisée, Roimata se traîna jusque chez elle, débrancha ses capteurs et rangea tout son attirail dans le coffre où ils l’attendraient jusqu’au prochain rendez-vous pour le mā΄a Tahiti virtuel. Un événement créé dans le multiverse, par les nostalgiques, comme elle, qui avaient connu les récoltes et la pêche, la cuisine et le partage, du temps où la vie se vivait autrement que par simulation.
Autrice : Caroline Cailleton
– Māmā΄u !
Il était surexcité, comme à chaque mā΄a Tahiti, quand il retrouvait tous ses cousins. Roimata le prit alors dans ses bras, mais elle tiqua. Elle sentait bien la chaleur des baisers sur sa joue, l’odeur de fumée de ses habits, mais… Elle secoua la tête pour chasser les pensées qui fondaient sur son âme. Qu’elles se taisent, car il était temps de manger.
Elle mena Tino au ahimā΄a où cuisait lentement le mahi mahi avec du fāfā et du taro enveloppés dans leurs feuilles de bananier. Roimata et les autres māmā΄u s’étaient levées tôt pour creuser le four dans le sable et faire chauffer les pierres qui cuisaient le poisson. Elle le fixa longuement. Elle aurait pu se brûler en y mettant la main, elle l’espérait même, mais tandis que cette nouvelle pensée tournait dans sa tête, Tino lui tira la manche et elle le suivit, soulagée d’échapper à la vision du feu sur ses doigts.
Il avait chipé une brochette à la vieille Maimiti. Les enfants adoraient ses brochettes car la sauce collait aux dents et recouvrait tout. À la fin du repas ils en avaient jusque dans les cheveux, mais les parents ne s’en inquiétaient pas ; après tout, toute cette saleté disparaissait d’un coup à la fin de la journée. Roimata, donc, ne le gronda pas, trop heureuse de le voir manger à pleines dents, lui qui avait tant de mal il y a peu à comprendre l’intérêt de se remplir les joues de cette nourriture.
Elle l’écoutait parler de sa ville tandis qu’elle mâchait son po΄e, essayant d’oublier la sensation étrange qu’il lui procurait. Le goût sur sa langue ou le poids dans son ventre qui étaient là sans être là, parce que son esprit savait ce que ses yeux et son corps tentaient de lui dissimuler. Tino lui décrivit tant et si bien cette vie dont elle ne comprenait pas tout, que lorsqu’il se tut enfin, fatigué, le soleil avait décidé de se retirer.
C’était le moment du départ. Roimata étouffa ses larmes, enlaçant son Tino aussi fort que possible.
– Ne t’inquiète pas Māmā΄u, on s’appellera d’ici le prochain mā΄a…
Elle embrassa son petit-fils et continua de lui faire de grands gestes tandis qu’il portait la main à son crâne puis disparaissait dans un ballet lumière. Elle fit de même et retira son casque. Autour d’elle, les autres vieux de l’île restaient encore un peu, contemplatifs, dans leur bulle de réalité virtuelle.
Plus rien n’était pareil depuis la grande famine, depuis que l’eau avait englouti la majorité des îles, que la nourriture n’était plus que sous capsule, et les chants des oiseaux sur ordinateur. Soudain épuisée, Roimata se traîna jusque chez elle, débrancha ses capteurs et rangea tout son attirail dans le coffre où ils l’attendraient jusqu’au prochain rendez-vous pour le mā΄a Tahiti virtuel. Un événement créé dans le multiverse, par les nostalgiques, comme elle, qui avaient connu les récoltes et la pêche, la cuisine et le partage, du temps où la vie se vivait autrement que par simulation.
Autrice : Caroline Cailleton