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Seul allergologue de Polynésie : les adieux du Dr. Sebatigita


Seul allergologue de Polynésie : les adieux du Dr. Sebatigita
De guerre lasse, Georges Sebatigita a quitté le territoire fin septembre dernier. Toujours dans la zone intertropicale il s’est installé aux antipodes des problèmes polynésiens, à l’île de la Réunion où « tout y est plus facile » et où « les allergologues font 1,5 fois le chiffre que je réalise ici. C’est comme ça. » Unique médecin allergologue de Polynésie française, il revient sur les raisons qui l’on poussé à plier bagage et égratigne au passage les effets pervers d’une gestion jugée "bureaucratique" et "comptable" du secteur de la Santé en Polynésie française. Il pointe du doigt la responsabilité de la CPS.

Tahiti infos : Vous avez à peu près 6.000 patients, vous êtes le seul allergologue libéral en Polynésie française, vous quittez définitivement le territoire : comment se passera le traitement de ses malades ensuite ?

Georges Sebatigita : Avant que je n’arrive en 2006, certains médecins non allergologues, formés un peu sur le tas, s’intéressant à ce domaine, pratiquait d’une certaine manière l’allergologie. Bon, il y avait beaucoup d’erreurs de diagnostic mais un certain suivi, tout de même. J’ai amené ma compétence. J’ai organisé deux congrès à Tahiti, en 2007 et 2010, pour lesquels j’ai invité quatre experts français, venus sur le territoire pour former les médecins. J’ai moi-même animé quelques formations de médecins. (…)
Pour les enfants qui ont des allergies alimentaires à suivre, je vais conseiller de voir le docteur Debartez, à l’hôpital ; mais les délais risquent d’être considérablement allongés. Pour les rhinites, les patients seront orientés vers des ORL. Pour l’asthme, il y a les pneumologues. Jusqu’à présent, l’intérêt pour les patients asthmatiques était de conjuguer et compléter l’interprétation d’un pneumologue avec le point de vue de l’allergologue.
Il faut savoir que dans les recommandations nationales des sociétés de pneumologie et internationale, toute personne asthmatique de plus de trois ans doit avoir un bilan allergologique. Ce qui est très loin d’être le cas ici.


Tahiti infos : Après votre départ et en attendant un remplaçant, ça ne risque pas de s’améliorer...

Georges Sebatigita : Déjà que l’on n’en faisait pas beaucoup… Il y en aura moins, malheureusement.

Tahiti infos : Est-ce que vous quittez la Polynésie de guerre lasse, après ces mois de flottement et de conflit entre la CPS et les médecins libéraux ?

Georges Sebatigita : Oui, clairement. La première chose qui m’a un peu contrarié, c’est lorsqu’il a été décidé de ne plus rembourser les produits allergènes, qui servent à la désensibilisation. On peut rendre moins allergique des patients souffrant de rhinite ou d’asthme. Ces médicaments sont faits à l'unité, pour chaque patient, en fonction de son profil allergique. Ces traitements sont remboursés à 65% en France. Ce sont des traitements préventifs. Je me bats depuis 5 ans pour que les « petits allergiques » bénéficient de ces soins-là. Ils étaient remboursés jusqu’à la fin 2011 à 70%, par la CPS.
De façon unilatérale, sans concertation avec les médecins de la CPS, ni ceux de la Santé, ni ceux de l’hôpital, les administrateurs de la CPS ont décidé de ne plus rembourser ces traitements, au même titre que certains médicaments qui ont un « mauvais service rendu ».
La conséquence est que certains de mes patients, qui allaient bien, qui ne prenaient plus de médicament pour l’asthme, qui n’allaient plus à l’hôpital, vont être obligés d’arrêter par manque de moyen. Pour certaines personnes, entre 4.500 Fcfp et 10.000 Fcfp de dépenses, la différence peut justifier l’arrêt d’un traitement.

Ensuite, toutes ces histoires autour de la nouvelle convention CPS-médecins libéraux ont fini de me convaincre. J’ai l’impression que quelque chose est à l’œuvre pour diminuer la place de la médecine libérale en Polynésie. (…)
Personnellement, pendant ce conflit j’ai perdu 20% de mes revenus. C’est beaucoup : contrairement à l’idée reçue, on ne gagne pas des 1.000 et des 100. Comme tout le monde, j’ai des charges, professionnelles et personnelles. L’application future, dès le 1er janvier 2013, d’un coefficient de 1,4 sur la grille CCAM provoque une baisse de 30% de mes revenus.
Départ des militaires, fermeture des hôtels, démission de l’emploi, manque de couverture des gens pauvres… on ne peut pas dire qu’à côté de cela le contexte économique soit encourageant.
La différence s’est opérée sur les propositions que l’on m’a faites. Il faut savoir qu’en France il y a une grosse pénurie d’allergologues.

Seul allergologue de Polynésie : les adieux du Dr. Sebatigita
Tahiti infos : Où vous installez-vous, après avoir quitté Tahiti ?

Georges Sebatigita : A l’île de la Réunion. C’est un département français, il y a une couverture universelle, tout y est plus facile. J’ai déjà passé 14 ans là-bas, je connais bien. Il faut savoir qu’à la Réunion, les allergologues font 1,5 fois le chiffre que je réalise ici. C’est comme ça.
Je n’y vais pas principalement pour l’argent ; mais j’ai l’impression qu’ici on se bat contre des moulins. Et à partir du moment où on sent une volonté claire de diminuer le nombre de médecins, j’ai peur que les bons médecins, ou les spécialités très demandées, soient les premiers à quitter le territoire : un ophtalmo n’a pas de problème en France pour s’installer où il veut, un pédiatre ou un chirurgien non plus. Ce sont tout de même des professions pour lesquelles il y a beaucoup de demande ici sur le territoire. Et pour lesquelles l’hôpital, où les délais de consultation sont déjà très importants, ne pourra pas répondre convenablement à la demande.
Quand je vois qu’il y a un pédiatre à Raiatea qui n’a pas reçu de convention, alors que l’an dernier deux pédiatres sont partis. On est passé de quatre convention de pédiatre à trois ; un qui veut partir à la retraite et qui ne trouve personne : M. Granger vient de Raiatea pour s’installer à Tahiti, on ne lui donne pas sa convention ? On ne sent pas la volonté d’avoir une médecine libérale active.


Tahiti infos : Pensez-vous que cette attitude de la part de la Caisse de prévoyance sociale a des effets pervers ?

Georges Sebatigita : Je pense que l’on ne s’attaque pas au vrai problème. Agir sur les dépenses de santé, c’est agir sur les prescriptions et les hospitalisations, qui coûtent très cher. Et pour cela, vous avez les médecins libéraux. Il est moins coûteux d’avoir une médecine libérale efficace que de gonfler le nombre de praticiens hospitaliers, à qui il faut proposer des statuts en béton, financer les formations, la retraite, les assurances maladies. Les libéraux financent leurs charges. Et en plus de cela, il y a la proximité avec le patient ; le fait que les interventions puissent être faites très rapidement.

Tahiti infos : Comment analysez-vous ces choix ?

Georges Sebatigita : Je pense qu’il y a d’une part une incompréhension qui part pour certains, à la CPS, d’une part idéologique – les médecins sont des libéraux, ils font trop d’argent, on va mettre en place une médecine salariée : il y en a qui prétendent ça à la CPS ; ça ne se fait même plus en Chine… -- et comptables. Il y a un banquier à la direction de la CPS et il a clairement décidé d’avoir une vision comptable. Et cette vision ne fonctionne pas en médecine. Il faut avoir une certaine vision comptable, mais la vision médicale doit primer. Nous on considère l’aspect médical sur long terme. La santé d’un malade mal soigné aujourd’hui se dégrade pour devenir problématique dans quelques années. Quand on voit qu’on décide de ne pas désensibiliser un jeune asthmatique ou un jeune rhinitique, il faut savoir que ce sont des malades qui auront des pathologies plus sévères, qui devront être hospitalisés et qui coûteront plus chers. Il y a donc une vision comptable, à court terme, finalement assez peu analytique avec une part idéologique.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 8 Octobre 2012 à 09:26 | Lu 7622 fois