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Le Pays expulse Chirac de l’hôpital


En janvier 2023, la pierre était toujours bâchée à l'entrée de l'hôpital... Elle a été inaugurée ce lundi, un va'a remplaçant le portrait de Jacques Chirac initial.
En janvier 2023, la pierre était toujours bâchée à l'entrée de l'hôpital... Elle a été inaugurée ce lundi, un va'a remplaçant le portrait de Jacques Chirac initial.
Tahiti, le 18 novembre 2025 - Les habitués de l’avenue du général de Gaulle qui croisaient depuis plusieurs années un menhir bâché de noir à l’entrée de l’hôpital de Taaone ont pu découvrir lundi que sous le plastique se cachait cette semaine une stèle érigée en l’honneur de Matari’i i ni’a. Mais bien avant la très belle pirogue sculptée, se cachait à la place un portrait de Jacques Chirac, jamais dévoilé, qui attendait là depuis plus de quatre ans. Explications.

 
Le 16 décembre 2020, le conseil des ministres du gouvernement d’Édouard Fritch avait décidé de baptiser le centre hospitalier de la Polynésie française centre hospitalier Jacques-Chirac. La décision avait été prise discrètement et avait alors soulevé une vague d’indignation.
 
Cette décision était autant un hommage à l’ancien président de la République décédé l’année d’avant qu’un retour des choses. En effet, l’État avait largement subventionné la construction de cet hôpital sous la présidence de Jacques Chirac en contrepartie d’accords entre Gaston Flosse et lui, notamment sur le choix de la société Bouygues pour sa construction en 2001. Une construction qui devait durer trois ans avec une inauguration prévue en 2004, pour un coût de 150 millions d’euros (environ 18 milliards de francs). Des accords ensuite rompus par Gaston Flosse qui conduisait la construction dans l’impasse et ne le faisait sortir de terre que neuf ans plus tard, en 2010, pour un coût estimé autour de 40 milliards de francs et d’innombrables procédures en justice.
 
Retour en 2020. L'élue Tavini Éliane Tevahitua voyait alors du “néo-colonialisme” dans l’appellation de ce nouvel hôpital. Le ministre de la Santé Jacques Raynal défendait pour sa part, et contre sa volonté propre, la décision d’Édouard Fritch pour qui l'ancien président de la République “a beaucoup aidé la Polynésie et ce pendant des années”.
 
Du côté du Tavini, on préférait alors “le nom de Tiurai (célèbre guérisseur du XIXe siècle, NDLR)”. La décision du conseil des ministre ne sera finalement jamais publiée au Journal officiel, laissant le nouvel hôpital de Taaone sous son nom technique CHPF, centre hospitalier de la Polynésie française.

Un coup de com’ et coup de gomme

Peu de temps après la décision du gouvernement, une grosse pierre, façon menhir breton, était posée à l’entrée de l’hôpital, couverte d’une bâche noire, au niveau de la séparation entre l’entrée des urgences et la descente vers le parking visiteurs. Cette pierre comportait alors la gravure d’un portrait de Jacques Chirac. Le gouvernement d’Édouard Fritch, qui avait obtenu l’aval de la famille Chirac, n’a jamais dévoilé la stèle, puisqu’en désaccord avec Gaston Flosse sur le sujet, mais devait malgré tout la présenter après les élections territoriales de 2023.
 
Mais le temps a passé, les élections ont changé la couleur politique du Pays, et le menhir noir est resté de longues années, là, traînant sa peine comme un gros sac poubelle qu’on aurait oublié de ramasser.
 
Et il y a un mois, surprise. Le menhir avait disparu, avant de réapparaître cette semaine et d’être dévoilé ce lundi, avec le ministre de la Santé, Cédric Mercadal, le ministre de l’Éducation, Ronny Teriipaia, et Oscar Temaru, maire de Faa’a, représentant à l’assemblée et principal opposant à Jacques Chirac en son temps.
 
Baptisée “Te Va’a Ora no Ta’aone”, cette pierre a été présentée comme une avant-première aux festivités de Matari’i i ni’a , mais elle est donc tout sauf une nouveauté. Une récupération prise à la dernière minute par le gouvernement Brotherson pour marquer le coup juste avant le début des festivités de Matari’i i ni’a, qui vient en remplacement de la fête de l’Autonomie. Une façon précipitée d’effacer une empreinte qui aurait mérité une meilleure communication puisqu’elle vient rattraper ce que beaucoup voyaient comme une injure que de baptiser l’hôpital du nom de l’homme à l’initiative de la reprise des essais nucléaires il y a 30 ans tout juste. Le portrait a dû être effacé par les coups de burins pour laisser la place à la pirogue double dévoilée cette semaine.
 
À la hâte, le Tavini communique désormais sur l’aspect culturel de cette stèle nouvelle. “Cette stèle n’est pas une pierre. C’est une rame symbolique qui nous invite à guider notre va’a collectif avec plus de culture, plus d’éducation, plus d’écologie humaine, plus de justice sociale. Elle vient redire que nos lieux de soin sont aussi des lieux de transmission”, expliquait Oscar Temaru sur les réseaux sociaux.
 
Une façon de se rattraper aux branches dans une communication mal préparée pour se rattacher in extremis aux festivités à venir jeudi.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mardi 18 Novembre 2025 à 14:43 | Lu 11281 fois