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L'affaire Pouvana'a sera rejugée


PARIS, le 19 décembre 2017. La commission d'instruction de la cour de révision a rendu sa décision ce lundi : l'affaire Pouvana'a a Oopa est renvoyée devant la cour de révision. La date n'est pas fixée mais ce réexamen pourrait avoir lieu à Paris d'ici un an.

La décision est tombée ce lundi. La commission d'instruction de la cour de révision et de réexamen des condamnations pénales a décidé de renvoyer l'affaire Pouvana'a a Oopa devant une chambre criminelle de révision. La date de l’audience n'est pas fixée. Selon nos informations, ce réexamen pourrait avoir lieu avant fin 2018, à Paris.

Il s’agira de l’aboutissement de plus de 50 ans d’un combat initié par Pouvana’a de son vivant et poursuivi sans relâche par ses proches après sa disparition.
Pour Sandro Stephenson, l’arrière-petit-fils du "metua", contacté mardi, "le dossier n’a jamais été aussi loin. Mais pour nous, l’essentiel reste la révision de son procès. C’est l’innocence de grand-père que l’on veut prouver. J’ai confiance en la justice. L’essentiel est que la procédure suive son cours et que nos espoirs soient entendus".

En juillet 2009, les représentants de l'Assemblée de Polynésie française avaient adopté à l'unanimité une première résolution en faveur de la création d'une commission d'enquête destinée à faire toute la lumière sur l'affaire Oopa et à solliciter la révision de son procès. Demande qui a incité le président Nicolas Sarkozy à ouvrir en avril 2012 le fonds d'archives Foccart, permettant à l’historien Jean-Marc Regnault, mandaté par l’Assemblée de Polynésie française, d'effectuer une recherche dont les conclusions ont donné lieu à l’adoption unanime, en février 2013, d’une seconde résolution de l'APF demandant à la garde des Sceaux l'ouverture d'une procédure de révision du procès de l’ancien parlementaire polynésien.

"Décharger la mémoire du mort"

En juin 2014, la famille du Pouvanaa a Oopa avait lancé un appel solennel à la garde des Sceaux pour qu’elle conduise elle-même la démarche d’une demande de révision du procès du metua. Christiane Taubira, alors ministre de la Justice, avait répondu favorablement à cette requête, le 20 juin, en annonçant la saisine de la commission d’instruction de la cour de révision et de réexamen des condamnations pénales, dans le cadre du processus de révision du procès de Pouvana'a a Oopa.

La décision rendue lundi par cette instance, après trois ans et demi d’une instruction méticuleuse conduite en Polynésie française, ne devrait cependant pas donner lieu à un nouveau procès en révision, empêché, selon Jean-Marc Regnault, par l’ancienneté des faits. Pour cet historien spécialiste de l’affaire Pouvana’a, "la chambre criminelle instruira les éléments nouveaux portés à la connaissance de la justice. Les juges de la chambre criminelles auront à estimer dans quelle mesure les jurés du procès de 1959 auraient rendus ou pas le même jugement, s’ils avaient eu en main les éléments d’information dont nous disposons aujourd’hui. En fonction de la réponse apportée, selon la formule habituelle la cour ‘déchargera la mémoire du mort’ ou pas".

"En 1959 l’accusation était simple : Pouvana’a avait donné l’ordre d’incendier la ville. Par conséquent, il était coupable", détaille-t-il. "Par la suite, nous avons pu établir qu’un complot avait été ourdi contre lui, parce qu’il dérangeait les élites du pays. Et, avec l’ouverture progressive des archives, il a été possible de démontrer qu’il y avait une volonté du gouvernement central de se débarrasser de Pouvana’a. Une décision prise le 7 octobre 1958, en Conseil de cabinet présidé par De Gaulle, établit clairement la volonté de Paris d’écarter 'rapidement' Pouvana’a, quitte à se mettre en dehors des procédures légales. Les archives Foccart montrent comment cette décision prise au plus haut niveau de l’Etat fut ensuite mise en œuvre à Tahiti".

En février 2016, lors de sa visite officielle en Polynésie française, pour rendre hommage au metua le président François Hollande avait déposé une gerbe sur la tombe de Pouvana'a a Oopa avant de se recueillir un instant au cimetière de l'Uranie. Après le secrétaire d'Etat Estrosi, en charge de l'Outre-mer, le 1er novembre 2007, le président de la République ne signifiait-il pas ce jour-là qu’au plus haut niveau de l’État, on commençait à admettre que le député Pouvana'a fut injustement condamné ?


> Lire Procès en révision : la famille de Pouvana'a a Oopa laisse la main à Christiane Taubira

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L'affaire Pouvana'a sera rejugée
Aujourd'hui qualifié avec respect de "metua", à savoir "père et protecteur", Pouvana'a a Oopa est aussi considéré comme le précurseur de l'action politique polynésienne dans les années 40. Il est le père du mouvement souverainiste local.

Accusé d’avoir voulu provoquer l'incendie de Papeete en 1958 par fourniture de moyen, aide et assistance, détention d'armes à feu et de munitions sans autorisation, le député Pouvana'a avait été condamné en octobre 1959 à 36000 Fcfp d'amende, huit ans de prison et 15 ans d'exil puis déchu de son mandat de député en 1960. Il a clamé son innocence jusqu’à sa mort, en 1977.

Pour Jean-Marc Regnault, en 1959 le procès Pouvana'a fut dicté par la raison d’Etat alors que Paris avait pris la décision de déplacer le centre d’expérimentations nucléaires français d'Algérie en Polynésie. L'historien expose cette thèse dans l'ouvrage Pouvana’a et De Gaulle, la candeur et la grandeur.

En novembre 1968, une grâce présidentielle avait été accordée par le général De Gaulle à Pouvana'a, retenu jusqu'alors en région parisienne. Le 30 novembre de la même année, le metua goûtait à l’accueil populaire polynésien, sur le récent aérodrome de Tahiti-Faa’a, après 8 ans d’exil. Amnistié de sa condamnation en juillet 1969, puis élu sénateur en 1971, Pouvana'a a Oopa s'est très tôt engagé dans un combat pour sa réhabilitation. Combat qu'il mènera de front jusqu'à sa mort, avec celui de la contestation des essais nucléaires français dans le Pacifique, dont la nécessité pour l'Etat semble avoir scellé le destin du metua.

Rédigé par SM et JPV le Mardi 19 Décembre 2017 à 03:19 | Lu 5347 fois