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En Polynésie, la pêche ne parvient pas à sortir la tête de l’eau


En Polynésie, la pêche ne parvient pas à sortir la tête de l’eau
PAPEETE, jeudi 13 juin 2013. C’est une aberration, mais le constat est là. La Polynésie française dont on met souvent en avant les richesses marines et océaniques, l’immensité de sa ZEE (zone économique exclusive) de 5 millions de km2 en plein Pacifique sud, sa biodiversité intacte ou préservée, ne parvient pas à mettre en place un véritable développement de la pêche. Pourtant les projets n’ont pas manqué depuis plus de 30 ans. Une étude intitulée «Approche du développement de la pêche artisanale en Polynésie française» effectuée en 1982 et supervisée par l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes d’Arcachon met le doigt sur des verrous au développement de cette activité qui n’ont pas sauté depuis, ou des habitudes qui n’ont pas changé. L’étude réclame «la mise en œuvre de méthodes de pêche plus efficaces, économiquement mieux adaptées (…) avec une organisation rationnelle de la commercialisation». La même étude évoque des campagnes de pêche qui devront être nécessairement plus longues pour rentabiliser les sorties en mer de plus gros navires, et insiste sur le besoin de formation des professionnels de la pêche.

A 30 ans de distance, le bilan de la pêche en 2011, publié par l’ISPF (Institut de la statistique de Polynésie française) dans le courant de l’année 2012, montre que la pêche hauturière a pris dans l’intervalle le dessus sur la pêche lagonaire puisque les deux-tiers de la production de pêche est désormais assurée par des thoniers palangriers, dont certains congèlent leurs prises sur les sites de pêche. En 2011, la flottille de la pêche en haute mer regroupe une soixantaine de bateaux. La pratique s’est donc industrialisée. Mais cette modernisation cache mal des résultats décevants. La production globale de pêche en 2011 est de 7 900 tonnes, niveau inférieur à la moyenne des dix dernières années (8 300 tonnes). La part exportée en 2011 est de 25%, ce qui est beaucoup mieux que dans les années 1980-90, mais beaucoup moins bien que dix ans plus tôt (en 2001, un tiers de la production de pêche partait à l’exportation). Surtout l’exportation des produits de pêche en 2011 traduit encore la faiblesse de la filière de transformation des produits de la mer sur place en Polynésie ce qui serait créateur d’emplois. En effet, le poisson frais entier représente encore les 2/3 de ces exportations alors que le poisson transformé ne pèse que pour 1% de ces exportations.

Or ces résultats peu enthousiasmants de la pêche en Polynésie sont obtenus alors que depuis de nombreuses années, le Pays a investi dans des structures pour encadrer et organiser ce secteur. Le 25 mai 2000, la SEM Tahiti Nui Rava’ai (TNR) est créée par le Pays pour devenir l’outil du développement économique de la pêche hauturière. Une quarantaine de thoniers est commandée –en Chine-, mais nombreux sont ceux qui ne prendront jamais la mer : leurs équipements étant inadaptés ou pas aux normes. En 2008, la TNR a failli boire le bouillon menacée de perdre les acquis de la défiscalisation de l’achat de certains bateaux du fait de leur inexploitation. Le Pays doit se résoudre à sortir des centaines de millions de Fcfp pour éviter le naufrage. La situation de la TNR a été tout récemment évoquée à la fois en Conseil des ministres, hier mercredi, mais aussi à l’assemblée de la Polynésie française, lundi, dans le cadre de la Commission de contrôle budgétaire et financier. Selon Nicole Bouteau d’A Ti’a Porinetia, la TNR a englouti en 13 ans pas moins de 1,8 milliard de Fcfp tout simplement «pour tenter de garder la structure à flot».

Et malgré les tentatives de Temaurii Foster -qui fut très régulièrement le ministre de la mer au cours des dix dernières années- pour présenter une situation de la SEM TNR plus florissante, la réalité est nettement moins positive. En avril dernier en visite sur les installations du port de pêche à Papeete, l’ex ministre des ressources marines affirmait qu’en 2012, la SEM Tahiti Nui Rava’ai avait dégagé un bénéfice de 20 millions de Fcfp (avec toutefois une perte de 17 millions de Fcfp pour sa filiale, la SA Avai’a). C’était, sans doute en oubliant qu’une subvention de 240 millions de Fcfp avait été versée à la SEM par le Pays, quelques mois auparavant ! Certes la SEM Tahiti Nui Rava’ai va mieux qu’en 2008, mais il lui reste encore quelques navires sur les bras dont la sortie de défiscalisation est programmée en 2014. Quant à imaginer une privatisation de cet outil, ce sera bien difficile d’autant que l’ex ministre de la mer exprimait en Conseil des ministres le 17 avril 2013 que l’avenir de ces structures passe par «la mise en œuvre de nouvelles formes d’exploitation de la ressource marine et de nouvelles filières de commercialisation à l’export». Un discours qui ressemble étrangement aux préconisations de l’étude de 1982. On en revient toujours aux fondamentaux.



SEM Port de pêche de Papeete : encore des difficultés

Si la situation délicate de la SEM Tahiti Nui Rava’ai a été évoquée à l’assemblée de Polynésie, celle de la S3P (Sem Port de pêche de Papeete) a été présentée en Conseil des ministres. La S3P accuse depuis quelques mois des retards de paiement de l’ordre de 26 millions de Fcfp et un montant global de factures impayées de 13 millions de Fcfp. Alors qu’un rapport de la Chambre territoriale des comptes (CTC) publié en octobre 2012 suggérait de dissoudre cette SEM, le maintien a été acté par le précédent gouvernement désireux de faire de la pêche un moteur du développement économique du pays tout en admettant ses freins. Ainsi, l’ex ministre des ressources marines Temaurii Foster déclarait à l’assemblée de Polynésie le 29 octobre 2012 : «Si le Polynésien est un excellent pêcheur, il ne faut pas se voiler la face, c’est un pêcheur des côtes. Il ne veut pas voir sa montagne disparaître. Aujourd’hui, les armateurs ont de plus en plus de difficulté pour avoir des équipages de longue durée». Le rapport de la CTC dénonçait également le poids considérable du Pays dans cette structure maintenue à flots par des versements de subventions publiques. Le problème principal de la S3P étant que le port de pêche de Papeete traite moins de 8 000 tonnes de poisson par an quand ses installations ont été construites pour en recevoir quatre fois plus.

En Polynésie, la pêche ne parvient pas à sortir la tête de l’eau

Rédigé par Mireille Loubet le Jeudi 13 Juin 2013 à 15:11 | Lu 2273 fois