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Au parc Bougainville, les sans-abri retrouvent leur place dans l'administration


De nombreux sans-abris sont venus ce jeudi au parc Bougainville pour renouveler leur carte d'identité ou discuter avec des conseillers du Sefi.
De nombreux sans-abris sont venus ce jeudi au parc Bougainville pour renouveler leur carte d'identité ou discuter avec des conseillers du Sefi.
Tahiti, le 4 décembre – Ce jeudi, pour la deuxième fois, le parc Bougainville a accueilli la “Maraude des services du Pays”, un dispositif qui réunit en un même lieu services publics, associations et institutions d’État. Objectif : lever les barrières administratives et sociales pour les personnes en situation d’errance. Entre un café chaud, un croissant et un parcours de stands thématiques, beaucoup viennent surtout y refaire leur carte d'identité, poser leurs questions… ou simplement trouver un peu de considération.
 
Il est à peine 9 heures et déjà, autour des tables improvisées, ça circule, ça discute, ça remplit des formulaires. Certains tiennent leur feuille du “parcours” – celle qu’il faut faire signer à chaque stand pour repartir avec un kit de premières nécessités. D’autres préfèrent rester en retrait, un café à la main, observant le ballet des agents publics venus, pour une fois, vers eux.
 
Lancée en juin 2025, la Maraude des services du Pays répond à une ambition simple : rapprocher les administrations essentielles des personnes les plus éloignées de l’administration. Cette deuxième édition marque une étape supplémentaire avec l’arrivée, pour la première fois, de services de l’État comme la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ou le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip), et de nouvelles associations partenaires engagées contre les addictions.
 
Sept pôles thématiques, santé, insertion, justice, hébergement, social, activités physiques, droit-foncier, composent le parcours. Et l’enjeu est clair : permettre à chacun de relancer des démarches souvent bloquées depuis des mois.
 


Une carte d'identité, un travail, une considération
 
Autour du stand d’état civil, l’affluence ne faiblit pas. Alain, 40 ans, venu tout juste de finaliser sa demande de carte d’identité, a un sourire gêné mais soulagé. Dans la rue depuis un an, il ne s'en plaint pas : “On est à Tahiti, pas en Ukraine…
 
À côté, Ariihaui, 23 ans, semble davantage perdu qu’autre chose. Il voulait entrer dans l’armée. C'était son rêve. “C’est fini”, souffle-t-il. Il vit dans la rue depuis quelques années à cause de conflits familiaux. Mais il circule d’un stand à l’autre, écoute, observe. “Je viens voir ce qui se fait, ce qu’on peut faire”, dit-il presque pour lui-même.
 
Pour les équipes du Sefi, cette maraude attire justement ceux qui ne franchissent jamais les portes du service. “Il y a du mouvement, ça ramène des personnes nouvelles qui ne connaissent pas nos dispositifs”, explique Josiane, conseillère professionnelle. “Ici, on peut répondre directement à leurs questions, les enregistrer, proposer un accompagnement.
 
Cette proximité, c’est ce qui retient aussi Felicia, jeune maman d’un garçon d’un an et demi, qui dort dans sa voiture. Conflits familiaux, absence de soutien, impossibilité de travailler sans solution de garde… “Je veux garder le lien avec le Sefi, mais c’est difficile”, dit-elle en jetant un œil à son petit qui s'amuse à côté. Sous contrôle de la Direction des solidarités, de la famille et de l'égalité (DSFE) après des signalements, elle tente pourtant d’avancer, malgré l’épuisement.
 
Plus loin, trois hommes, assis autour d'une table, se présentent comme étant “chez eux” ici, au parc Bougainville. Ils viennent pour le kit, pour la carte d’identité, “peut-être pour se renseigner sur le travail”. Mais surtout pour profiter de cet espace où, quelques heures durant, ils ne se sentent pas de trop.
 
Jonas, lui, connaît bien le terrain. Quatre ans qu’il survit autour du parc, enlisé dans le paka et l’alcool. Il attrape un croissant au passage, salue un agent d’un geste de la main. “Les stands, c’est bien, ça nous aide. Et si on fait tout, on a le kit”, répète-t-il. La règle du jeu est simple, cette fois.
 
Au fil de la matinée, les échanges se multiplient. Certains ressortent avec des démarches relancées, d’autres avec un rendez-vous, un numéro, une information qu’ils n’auraient jamais obtenue seuls. Beaucoup, surtout, repartent avec l’impression d’avoir été pris en compte.
 

3 questions à Minarii Chantal Galenon Taupua, Vice-présidente et ministre des Solidarités
 
Pourquoi organiser cette “maraude des services du Pays” ?
“C’est une manière d’aller directement vers les personnes sans-domicile fixe. Lors de la première opération, organisée en juin, nous avions accueilli environ 200 personnes, et 100 d’entre elles ont pu refaire leur carte d’identité, un acte essentiel pour leur dignité et leurs démarches sociales. Aujourd’hui, nous renouvelons l’opération avec la commune de Papeete, en réunissant au même endroit tous les services capables d’accompagner ces personnes : santé, social, emploi, démarches administratives…”
 
Vous parlez d’une baisse du nombre de SDF. Où en est-on aujourd’hui ?
“Lorsque je suis arrivée, on estimait la population sans-abri à environ 800 personnes. Aujourd’hui, on se situe plutôt entre 700 et 750. Mais il faut préciser une nouveauté : l’apparition de mendiants “temporaires”, qui ne sont pas des SDF mais des personnes qui préfèrent tendre la main plutôt que de travailler. Cela complique le travail de nos équipes, car ils se déplacent dès qu’ils nous voient. C’est pourquoi nous allons lancer des podcasts et des supports d’information pour expliquer à la population les aides disponibles, et encourager les gens à orienter ces personnes vers la DSFE plutôt que de leur donner de l’argent.”
 
Quels nouveaux dispositifs sont prévus pour accompagner les personnes vulnérables ?
“Nous avons ouvert un centre de nuit de 80 places, même si tous ne l’utilisent pas car certains ne souhaitent pas se plier à un règlement. D’ici la fin du mois, nous inaugurerons à Punaauia un centre de logement temporaire, le Pū Ora no Ta'apuna destiné aux personnes vulnérables ayant retrouvé un travail. Il accueillera d’abord 16 résidents, avec un accompagnement complet : gestion d’un budget, paiement des charges, apprentissage de la vie en logement. Un directeur, ou une directrice, sera présent au quotidien tout comme les associations qui prendront en charge les résidents. Les candidats seront présélectionnés par nos services, car il faut s’assurer qu’ils sont prêts à intégrer ce parcours de réinsertion.”
 

Rédigé par Darianna Myszka le Jeudi 4 Décembre 2025 à 14:11 | Lu 257 fois