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​Rupena Tere, une vie de percussions


Moorea, le 11 janvier 2021 - Originaire d’Afareiatu, Rupena Tere est déjà, à 45 ans, une figure emblématique  du 'ori Tahiti à Moorea, en particulier des percussions traditionnelles. Il a notamment permis à sa troupe O Tamarii Afareaitu de gagner plusieurs titres, dont celui du meilleur orchestre, aux deux derniers Heiva de Moorea, en 2016 et 2018. Rupena explique comment ses différentes rencontres ont contribué à faire de lui l’un des meilleurs musiciens de Moorea.
 
Rupena Tere a commencé à apprendre à jouer de la guitare avec son père, un grand bringueur, à son domicile d’Afareaitu dès l’âge de 9 ans. C’est à ce moment-là qu’il découvre aussi le ukulele par le biais d’un ami de son père. Celui-ci lui enseignait alors cet instrument avec le ukulele de l’époque fabriqué avec du carton, des clous, du nylon de pêche et un balai métallique. À l’âge de 14 ans, il commence à s’intéresser aux percussions traditionnelles en se rendant régulièrement aux répétitions de danse de la troupe Tamarii Afareaitu du regretté Joseph Tematafaarere, ancien infirmier très connu à Moorea, et en observant en même temps les grands groupes de danse de Tahiti de cette époque, Temaeva de Coco Hotahota et Ia Ora Tahiti de Gilles Hollande. Pendant son adolescence, le jeune Rupena allait aussi observer ses idoles comme Tapo Aroquiame du groupe Tamarii Moorea Lagon afin d’en apprendre plus sur la musique polynésienne. Mais c’est à l’âge de 20 ans qu’il se lance réellement dans le 'ori Tahiti, notamment dans la musique traditionnelle. Il rejoint un groupe de danse de Haumi, puis de Afareaitu en faisant des tournées dans les grands hôtels de Moorea comme l’hôtel Ibis ou le Club Med. "Les hôtels de l’île de cette époque étaient remplis par les clients polynésiens. Ils s’y rendaient régulièrement pour apprécier l’ambiance polynésienne. C’est peut-être ce qui nous manque aujourd’hui dans l’hôtellerie" constate-t-il.

​Un album à 30 ans


À 30 ans, Rupena sort son premier album en format cassette audio avec le groupe Te Ohi Api, avec qui il continue ses prestations musicales dans les hôtels. En 2008, il participe à son premier Heiva de Tahiti avec la troupe Teata Maohi de Haapiti en catégorie Hura Ava Tau et y retourne en 2011 avec le groupe Teata Maohi, toujours de Haapiti. "Je pensais à ce moment-là  qu’on savait tout sur la  musique et les percussions traditionnelles à Moorea. Mais j’ai réalisé que ceux de Tahiti avaient des connaissances plus avancées et que mon apprentissage n’était pas fini" explique-t-il, avant de faire part de son admiration pour le groupe d’orchestre de Heikura Nui, mené par un certain Iriti Hoto. "J’ai été impressionné de voir ces grands batteurs. Outre leurs connaissances, leur chef de groupe,  Iriti, avait une attitude et une façon de gérer sa troupe qui faisait que tous ses danseurs et musiciens le respectaient. On voit moins cela dans les groupes de danse d’aujourd’hui". Celui-ci avoue avoir été un grand fêtard dans sa jeunesse, mais décide de se tourner à un moment donné vers la religion en suivant le conseil de son père, un diacre protestant de Afareaitu. Rupena décide alors de mettre ses connaissances dans la culture polynésienne, en particulier dans la musique, au service de la paroisse de Vaiare, puis, jusqu’à aujourd’hui, dans celle de Afareaitu où il occupe la fonction de président du comité des jeunes. "J’ai aussi beaucoup développé mes savoirs grâce à mon implication dans la paroisse protestante. On apprend sans cesse en pratiquant mais on profite également des enseignements des orometua (pasteur, diacre,…) et de nos ainés. Je vais toujours les voir en cas de besoin car il faut en profiter tant qu’ils sont toujours là" confie-t-il.
 
C’est avec plus d’expérience et de connaissances que Rupena rejoint le groupe O Tamarii Afareaiu au Heiva de Moorea en 2016 en tant que chef d’orchestre. La troupe  gagne notamment cette année-là le titre de meilleur groupe de danse et de meilleur orchestre. Lors du Heiva de Moorea suivant, en 2018, le groupe de Afareaitu confirme son statut en raflant plusieurs titres, dont celui du premier prix en danse ainsi qu’en orchestre création et patrimoine. Avec le Heiva de Moorea qui peine à perdurer, le nouveau défi de O Tamarii Afareaitu sera celui de participer au prochain Heiva de Tahiti. En attendant, Rupena continue à transmettre ses savoirs aux jeunes de l’île sœur.

​Inquiet pour la culture et la langue


Il enseigne notamment les percussions traditionnelles dans toutes les classes du collège d’Afareaitu depuis quatre ans. Il a d’ailleurs mené l'établissement à gagner quelques prix, dont celui du meilleur orchestre "Rohi Pehe", au Heiva Taure’a 2019. Mais il constate malheureusement le désintérêt de beaucoup de jeunes de Moorea pour la culture polynésienne. "Ils se détournent de notre culture avec  les outils modernes comme les tablettes, en y restant même avec du matin au soir pour certains. Pire même, quelques parents les poussent dans ce sens. Ils devraient revenir vers les richesses culturelles que nos ainés nous ont laissées" regrette-t-il, avant de faire également part de son inquiétude pour les langues polynésiennes : "On fait des efforts pour enseigner en langue tahitienne dans nos activités. Malheureusement, cela ne suit pas dans beaucoup de familles". Il s’inquiète justement en voyant certains matahiapo de l’île, détenteurs de précieux savoirs, décéder sans être remplacés.
 
Rupena Tere constate d’autres problèmes au niveau de la culture polynésienne sur son île : le manque d’activités des prestataires, l’absence d’infrastructures ou le Heiva de Moorea qui a du mal à se pérenniser. La solution, à son avis, serait de construire un grand centre culturel à Moorea afin d’y  centraliser toutes les activités culturelles, comme  le 'ori Tahiti, les chants traditionnels, la sculpture ou autres, à l’image du Conservatoire artistique de la Polynésie française de Tahiti. Tous les enseignements dans ce centre pourraient, selon lui, être dispensés par les personnes ressources de Moorea afin d'en faire bénéficier la population, notamment les enfants et les jeunes scolarisés. Pour conclure, l'artiste appelle les jeunes de l’île à s’intéresser à nouveau à la culture polynésienne, y compris le reo tahiti. Il espère que les parents vont pousser leurs enfants dans ce sens.

Rédigé par Toatane Rurua le Lundi 11 Janvier 2021 à 10:26 | Lu 35928 fois