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​Les atteintes à la probité en nombre “important” au fenua


Tahiti, le 17 mai 2021 - Les autorités judiciaires polynésiennes travaillent actuellement sur un “portefeuille” de 31 dossiers d’atteinte à la probité. Des délits majoritairement le fait d’élus, “ce qui est important rapporté au nombre d’habitants du territoire”, a estimé procureur général près la cour d’appel de Papeete, lundi lors du colloque à l’UPF sur l’efficacité des dispositifs de lutte contre ces dérives du pouvoir.
 
Quatre personnes de dos se passent des enveloppes et des liasses de billets. Dès l’affiche, le décor est posé. L’Université de Outumaoro accueille aujourd’hui encore un colloque sur l’efficacité des dispositifs de lutte contre les atteintes à la probité sous-titré La nécessité d’une réflexion pour les Outre-mer. Un aréopage de juristes universitaires et de magistrats réuni dans l’amphithéâtre A3 de l’UPF pour faire un point détaillé sur le cadre pénal et juridictionnel aménagé dans le droit français afin de lutter contre les manquements à la probité. Des échanges d’expérience, une réflexion juridique sur un phénomène vieux comme le monde, mais toujours aussi corrosif sur le pacte républicain, comme l’a souligné le procureur de Paris, Rémy Heitz lors de son intervention en visio-conférence, lundi matin.

Droiture, honnêteté, intégrité : trois valeurs morales qui qualifient la probité. Il y a manquement à ce principe lorsqu’une personne use des prérogatives de sa fonction pour servir ses intérêts ou favoriser ceux d’un tiers, qu’elle le fasse intentionnellement ou par négligence, qu’elle en tire un profit ou non. Les manquements à la probité ne concernent pas uniquement les personnalités politiques ou investies d’une mission publique. La corruption est souvent une proposition qui émane du secteur privé. Une réalité évoquée d’emblée dans son discours d’ouverture par la coorganisatrice du colloque, Sarah-Marie Cabon, maître de conférence en droit privé et sciences criminelles, peu encline à “verser dans un déballage moralisateur”, ni à stigmatiser les élus locaux. Mais difficile d’occulter le nombre important d’affaires d’atteintes à la probité qui ponctuent l’actualité judiciaire polynésienne, avec en cause des personnalités politiques.

Les autorités judiciaires polynésiennes travaillent actuellement sur un “portefeuille” de 31 dossiers “ce qui est important, rapporté au nombre d’habitants du territoire”, souligne Thomas Pison, le procureur général près la cour d’appel de Papeete. Des délits majoritairement le fait d’élus, et principalement de maires, comme l’a rappelé le chef du parquet général lors de son intervention lundi en début d’après-midi. Des infractions par définition cachées et mises au jour au gré des enquêtes.
La lutte contre les atteintes à la probité est placée au rang de “priorité” pour les autorités judiciaires polynésiennes. “Cela répond aux exigences de directives nationales et plus particulièrement à la circulaire de politique pénale territoriale pour la Polynésie française du 3 mai 2017.” Dans cette lettre de mission Jean-Jacques Urvoas, alors Garde des sceaux, avait décliné ces priorités en cinq axes, au nombre desquels le renforcement de la lutte contre les atteintes à la probité. Au-delà de cette directive, la loi de septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique puis la loi dite Sapin II sur la modernisation de la vie économique et la lutte contre la corruption, sont venues renforcer la réponse pénale à ce que Charles Duchaine, le directeur de l’Agence française anticorruption, n’a pas hésité à qualifier lundi d’“infractions du pouvoir”. 
 
“Il faut s’interroger sur la formation des élus locaux”
 
Prise illégale d’intérêts, détournements de fonds publics, trafic d’influence, favoritisme “et bien évidemment recel de l’ensemble de ces délits”, a égrainé Thomas Pison. Et souvent des politiques dans le viseur de la justice. Comme nous le rappelions récemment dans nos colonnes, ces douze derniers mois, nombre d’élus ont en effet eu affaire à la justice pour des manquements à la probité. Le président Édouard Fritch et l'ex-président Gaston Flosse condamnés en appel pour détournements de fonds publics. L'ancien président Oscar Temaru jugé en appel après sa condamnation pour prise illégale d'intérêts. Les représentants et maires de Papara, Rangiroa, ou encore Paopao, Putai Taae, Teina Maraeura et Vaiata Friedman, jugés et condamnés pour prise illégale d'intérêts et détournement de fonds publics. Le président du Syndicat pour la promotion des communes, Cyril Tetuanui, visé par une nouvelle enquête et récemment placé en garde à vue pour des soupçons de détournement de fonds publics.

Et depuis 2011, le nombre “important” de ce type d’infractions “ne semble malheureusement pas diminuer au fil des années” en Polynésie, constate aussi le procureur général : “47 en 2011, 21 en 2012, 25 en 2013, 29 en 2014, 45 en 2015, 25 en 2016, 33 en 2017, 23 en 2018. Et là, il faut se poser une vraie question : au-delà de la réponse pénale, il faut s’interroger sur la formation des élus locaux. Rappeler les règles et les risques encourus”, suggère Thomas Pison.

Pour le député Moetai Brotherson, seul élu polynésien présent à ce colloque lundi, l’absence de personnalités politiques polynésiennes pour assister aux débats est à la fois le fait d’une défiance de l’autorité judiciaire et d’un manque d’intérêt pour ces questions de probité. “C’est dommage et étonnant à la fois : il est intéressant de voir la probité sous tous ses aspects. Il y a des composantes de la corruption et des manquements à la probité qui sont connues et spécifiques aux élus. Mais il y a aussi toute cette partie des atteintes à la probité de la part de personnes dépositaires de l’autorité publique qui est relié au monde de l’entreprise et au monde économique.

Le colloque sur l’efficacité des dispositifs de lutte contre les atteintes à la probité se poursuit mardi à l’UPF jusqu'à midi. La matinée est consacrée au renforcement des exigences de probité dans le secteur public. Le maître de conférences Sémir Al Wardi propose d’aborder la question des rapports de proximité dans la vie politique en Outre-mer. En milieu de matinée, le député indépendantiste Brotherson présentera une analyse socioculturelle des dispositifs pour la confiance dans la vie politique polynésienne.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 17 Mai 2021 à 19:50 | Lu 2901 fois