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​Inflation, le coup d’accélérateur


Tahiti, le 29 novembre 2022 - Dans une note revenant sur plus d’une décennie d’inflation, l’Institut de la Statistique de la Polynésie française relève qu’après une longue période de stabilité, le niveau général des prix a connu une flambée sans précédent, “deux fois plus forte sur les neuf premiers mois de 2022 que sur les dix années précédentes”. Les explications sont conjoncturelles mais aussi et surtout structurelles.
 
Le constat opéré par l’Institut de la Statistique de la Polynésie française (ISPF) dans sa dernière note sur “l’évolution des prix de 2011 à septembre 2022” ne surprendra pas le consommateur moyen au fenua. Après des années de relative stabilité, les prix dans la plupart des commerces et chez les prestataires locaux grimpent depuis plusieurs mois. La publication de l’ISPF revient largement, chiffres et graphiques à l’appui, sur cette flambée récente et le caractère exceptionnel de cette évolution. “L’inflation, en rythme annuel, est même deux fois plus forte sur les neuf premiers mois de 2022 que sur les dix années précédentes et vingt fois plus intense en rythme annuel moyen (0,24% contre 5,5%) ”. Une explosion soudaine qui a plusieurs origines. Pour l’Institut, si la conjoncture actuelle n’est assurément pas favorable, cette inflation relève également de la structure rigide de l’économie polynésienne, très dépendante des importations.
 
Un territoire très dépendant des importations
 
Aujourd’hui, avec la guerre au frontière de l’Europe, la crise de l’offre et la dévaluation de l’Euro, tous les ingrédients de l’inflation, sur les trois premiers trimestres de 2022, semblent conjoncturels et fortement liés à l’extérieur. Néanmoins, certaines évolutions, comme le prix de l’alimentaire sur un temps plus long, montre l’importance des tendances structurelles”. Assurément, l’économie polynésienne n’était pas prête à absorber tous ces chocs. Très dépendante des importations, avec un tissu industriel très limité et protégé, le territoire reste ainsi très contraint à multiplier les échanges extérieurs “du fait de sa situation géographique, de ses modes de consommation et de la petite taille de son marché”. Cela ne date pas d’hier, la production locale est loin de couvrir les besoins des Polynésiens. L’institut rappelle que 94% des produits de consommation disponibles en Polynésie française sont importés, de même que 59% des produits des industries agroalimentaires. Une dépendance qui rend ainsi l’économie polynésienne vulnérable aux variations des prix à l’international, notamment celui du pétrole ou des matières premières. Sans surprise au vu des volumes, “le prix unitaire des importations polynésiennes évolue comme l’indice des prix à la consommation (IPC) depuis 2011 avec des différences selon les types de produits”, les produits issus de l’industrie agroalimentaire étant ceux qui ont le plus progressé.
 
L’alimentaire, locomotive de l’inflation
 
Car s’il s’agit de s’alimenter, les consommateurs polynésiens ont de quoi ne pas se sentir dans leur assiette depuis plusieurs mois avec une flambée des prix manifeste sur les trois premiers trimestres de l’année. “Premier contributeur à l’inflation, les prix de l’alimentaire ont progressé en moyenne annuelle de 26% depuis 2011 et le quart de cette hausse s’observe sur l’année 2022 (+7%)”. Selon l’ISPF, les prix dans l’alimentaire ont ainsi progressé trois fois plus que l’indice des prix depuis 2011 (+26% contre +8%). Une tendance qui concerne l’ensemble des aliments, “excepté les produits laitiers” et notamment la viande (+35% entre 2011 et 2022), les céréales comme le riz et la farine (+22%) et surtout les légumes (+48%). Ces trois catégories représentent à elles seules les deux tiers de la dynamique des prix dans l’alimentaire depuis 2011. Un alourdissement du panier de la ménagère, sur des produits où la fiscalité est pourtant plus faible que pour les autres types de biens, qui semble consacrer la fin d’un système inefficace pour l’ISPF. L’Institut rappelle ainsi que ces fortes augmentations s’opèrent sur des produits “souvent concernés par des politiques publiques de contrôle des marges (poulet, farine, etc.), de prix plafond (baguette), de quotas d’importation (légumes), mais peuvent être aussi subventionnés selon les usages (farine pour le pain)”. Les outils traditionnels du gouvernement montrent ainsi leurs limites. De surcroit, le phénomène touche également les prix des produits de la mer, pourtant “constitués en très grande partie d’une offre polynésienne” et non de produits importés, avec une hausse de 22% depuis 2011.
 
L’ISPF encore réservée sur les effets de la TVA sociale
 
Instaurée le 1er avril dernier, la TVA sociale – ou Contribution pour la solidarité (CPS) – avait été contestée pour son caractère inflationniste. Le 31 octobre dernier, Édouard Fritch défendait la CPS à l’assemblée en soulignant son absence d’effets sur les prix : “D’aucuns ont vivement critiqué cette mesure, arguant du fait qu’elle pesait lourd sur l’inflation. Ce que n’ont pas confirmé les faits.” Pour l’ISPF, difficile d’être aussi affirmatif car les effets de l’instauration de la TVA sociale ne peuvent pas, à ce stade, être connus.
 
L’Institut rappelle ainsi que “la transmission des changements de taux aux prix est traditionnellement complète après trois mois” mais qu’en Polynésie, notamment dans des secteurs comme le tourisme où les prix sont fixés longtemps à l’avance, “les changements de prix n’ont pas lieu aussi rapidement”. De plus, de nombreux produits (notamment alimentaires) et services n’y sont pas soumis, ce qui “rend l’évaluation encore plus complexe”. Pour l’ISPF, s’il est facile d’isoler l’effet de la mise en place de la taxe dans certains secteurs, “son impact global demandera encore un peu de temps pour être évalué mais restera mesuré au regard de l’ensemble des origines de l’inflation”. En clair, la CPS est donc une des causes, très difficile à évaluer, de la forte inflation observée en 2022 mais probablement pas la plus importante.
 
Concurrence et désindexation du SMIG
 
Mais comme le rappelle l’ISPF, la fixation du prix relève d’une équation à plusieurs entrées, la valeur du produit importé n’en étant qu’une parmi d’autres. Plusieurs éléments doivent entrer en ligne de compte. Ainsi, les coûts d’approche, qui comprend l’ensemble du transport jusqu’aux entrepôts du destinataire et les prestations à l’arrivée (transit, dédouanement, manutention et transport) sont également “en hausse ces dernières années”. Le niveau de la taxation douanière et des taxes à la consommation doit également être intégré au calcul. Mais l’Institut rappelle que l’inflation peut trouver son origine dans les comportements de marges des entreprises. Pour les biens de consommation, cette marge serait en moyenne en 2022 de 40% contre 36% pour les biens des industries agro-alimentaires. Or, ce niveau de marge dépend notamment du “degré concurrentiel” du secteur. Ainsi, “le prix des services de communication a été divisé par deux depuis 2017” et il peut être anticipé à court terme une baisse des tarifs du transport aérien interinsulaire du fait de l’arrivée d’opérateurs concurrents. Autre rappel de l’ISPF, une hausse ponctuelle du niveau général des prix “peut être amplifiée par le déclenchement d’une boucle prix-salaires dont l’ampleur dépend du degré d’indexation des salaires sur les prix de consommation”. Or, comme vient de le rappeler le tribunal administratif de Papeete, l’indexation du SMIG sur l’indice des prix est automatique et devra faire l’objet d’un rattrapage significatif au 1er janvier 2023. La boucle prix-salaires sera difficile à désenclencher à court et moyen terme.

Rédigé par Sébastien Petit le Mardi 29 Novembre 2022 à 20:23 | Lu 2750 fois