Tahiti Infos

​BTP : Liquider n'est pas payer


Tahiti, le 14 juillet 2020 – Le gouvernement a annoncé vendredi dernier des efforts conséquents en matière de commande publique pour relancer l’économie polynésienne jusqu’à la fin de l’année. Un montant de 21 milliards, avec la volonté de le porter à 30, a été avancé. Des chiffres très ambitieux qui ne veulent pas forcément dire que les entreprises en verront la couleur d’ici le 31 décembre.
 
Parce que le BTP constitue "le moteur de la relance à court terme", le gouvernement a présenté ses ambitions en la matière pour les mois à venir. Avec un inventaire des chantiers en cours et à venir et une volonté de simplifier les procédures administratives, le Pays prévoit ainsi de liquider pour 20,9 milliards de Fcfp sur des projets d’équipement et de logement notamment. Un chiffre déjà conséquent qui pourrait même être relevé à 30 dans le semestre à venir.

21, c’est déjà bien

La volonté des gouvernements d’irriguer l’économie par la commande publique et la multiplication des chantiers n’est pas nouvelle. Appelée communément politique des grands travaux, elle fait d’ailleurs l’objet d’insertions fréquentes dans les programmes électoraux. Une façon de garantir de l’activité et de l’emploi, de bétonner les routes pour cimenter les victoires électorales. La Polynésie n’y échappe pas. L’ISPF s’évertue, trimestre après trimestre, à mettre à jour son Observatoire du BTP. Le dernier bilan de l’Observatoire à fin 2019 faisait état d’une décennie de rattrapage. Le chiffre d’affaires dans la construction était ainsi revenu "au même niveau qu’avant l’entrée en crise en 2007". Côté emploi, la reconquête était moins évidente, "au terme du 3ème trimestre 2019, le secteur a rattrapé près de 40% des effectifs perdus (+1 000 salariés sur -2 600) depuis la crise de 2008".
Cependant, 2019 était une année record pour la commande publique avec près de 19,4 milliards de Fcfp mandatés dans le secteur Construction, "en hausse de près de 3 milliards de Fcfp par rapport à 2018". L’ISPF relevait qu’"il s’agit du plus haut mandatement enregistré depuis que la série statistique est disponible en 2011. Le montant de 19,4 milliards de Fcfp mandaté pour l’année 2019 dans le secteur Construction, correspond au double (+ 200%) de ce qui a été mandaté pour l’année 2011, ainsi que 2012". En 2019, les mandats à fin juin avaient atteint 8 milliards avant que le Pays n’accélère au niveau du chéquier au cours du second semestre. En 2020, l’activité Construction avait déjà baissé de 70% à cause du confinement. Le Pays devra donc mettre les pelletées triples et faire surchauffer les bétonnières dans un secteur qui alimente aussi beaucoup l’étranger. Les importations de matériaux de construction pour assurer les chantiers publics et privés représentent en effet 35 à 40 milliards par an, soit près de 20% des produits importés.

Liquider n’est pas payer

Si les chiffres sont importants, les mots le sont aussi. L’ISPF choisit de présenter son analyse en évoquant le mandatement. Le Pays a opté vendredi dernier pour l’utilisation du terme liquidation. Une distinction insignifiante pour le profane, mais très subtile en matière de comptabilité publique. Les deux opérations sont en effet très distinctes. La liquidation, c’est lorsqu'il est constaté que le chantier a été bien réalisé et que le Pays et l’entreprise sont d’accord sur le montant à verser suite aux travaux. Un peu comme si la collectivité disait : "Tu as fait cela et nous sommes d’accord que je te dois tant".
Mais une fois cette somme arrêtée et non contestée par l’une et l’autre, un mandat doit être établi et arriver sur le bureau du comptable public de l’Etat. Sans mandat, celui-ci ne peut en effet pas procéder au paiement. Pis encore, même avec un mandat, le comptable doit vérifier que le Pays a assez de trésorerie pour décaisser l’argent en faveur de l’entrepreneur. Si on lui demande de débourser 1 milliard alors qu’il n’y a que 300 millions de Fcfp en caisse, il mettra le mandat dans une armoire en attendant que le Pays retrouve meilleure fortune. Le Pays peut donc liquider des dizaines de milliards mais n’être capable de n'en payer que quelques-uns en fonction notamment des rentrées fiscales. En liquidant, il aura cependant acté ce qu’il doit aux entreprises. La différence entre "mandatés" et "liquidés" est donc importante au niveau de la signification. Elle peut en effet cacher l’anticipation d’éventuelles difficultés de trésorerie avec des paiements qui n’interviendront que lorsqu’ils seront possibles. Cette différence se retrouve aussi dans les chiffres. En 2019, à une époque où les finances du Pays étaient florissantes, les montants liquidés avaient été sur les neuf premiers mois de l’année de 12,3 milliards pour des sommes mandatées à hauteur de 10,6. Avec des cordons de la bourse plus serrés en 2020, l’écart pourra être plus important.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Mercredi 15 Juillet 2020 à 09:27 | Lu 1768 fois