Tahiti Infos

Violences sexuelles : “On ne peut plus ignorer ce fléau”


À l’échelle nationale comme mondiale, les chiffres appellent des mesures, de même qu’en Polynésie où au moins deux fédérations se sont emparées du sujet (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
À l’échelle nationale comme mondiale, les chiffres appellent des mesures, de même qu’en Polynésie où au moins deux fédérations se sont emparées du sujet (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Tahiti, le 5 février 2025 – Comment remédier aux violences sexuelles en milieu sportif ? Une conférence s’est tenue au Cesec avec deux intervenants métropolitains, qui ont dressé un état des lieux alarmant, assorti des dernières mesures mises en place. Si les chiffres font défaut localement, la Polynésie n’est pas pour autant épargnée, comme l’ont illustré des actualités récentes. Dix jours d’information et de formation sont prévus, ainsi qu’une rencontre avec la ministre de la Jeunesse et des Sports, Nahema Temarii, la semaine prochaine.

 
“On ne peut plus ignorer ce fléau”. Ce sont les mots d’Angélique Cauchy, joueuse de tennis violée par son entraîneur de ses 12 à 14 ans et fondatrice de l’association Rebond, dont le témoignage bouleversant a été présenté au Conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec), ce mercredi matin, en introduction à une conférence sur la lutte contre les violences sexuelles en milieu sportif. Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’une série d’événements de prévention soutenus par la Direction de la jeunesse et des sports (DJS) et la Mission d’appui technique jeunesse et sports (MATJS) du haut-commissariat, suite à une réflexion impulsée par les fédérations de natation et de kayak. Cette démarche fait également écho à la sensibilisation portée jusqu’au Fenua par l’association Colosse aux pieds d’argile, il y a quelques années.
 

​Un constat alarmant


En 2024, en Polynésie, plusieurs dépôts de plainte ont concerné des mineurs agressés sexuellement dans le cadre d’une pratique sportive. Les manifestations de jeunesse, comme le Taure’a Move, ne sont pas non plus épargnées. Tandis que la campagne “A Fa’atura Mai !” du ministère des Solidarités bat son plein pour lutter contre les violences faites aux enfants, des représentants d’associations, des éducateurs sportifs et des membres du Cesec ont assisté avec attention à la présentation assurée par Anne Dugast et Frédéric Lenoir, conseillers à la Délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes) de Nouvelle-Aquitaine.
 
“La violence peut être physique, psychologique, verbale, numérique et sexuelle. Dans tous les cas, cette violence est un traumatisme et perturbe le développement”, remarquent les intervenants. Au niveau mondial, les chiffres parlent d’eux-mêmes : un enfant sur sept est victime de violences sexuelles, un ratio qui grimpe à un enfant sur trois dans le cadre d’une carrière sportive de haut niveau, tout en gardant à l’esprit qu’en France, sur le plan intrafamilial, un enfant sur dix est victime d’inceste. Les conséquences sont dramatiques, tant sur la santé physique que mentale, puisqu’une victime sur deux va tenter de se suicider. Autres points importants à mentionner : “Tous les sports, individuels ou collectifs, sont potentiellement concernés, quelle que soit la taille de la structure” et “le milieu du handicap reste celui où il y a le plus d’omerta”.
 

Des mesures pour “libérer la parole”


La première convention nationale du 21 février 2020 a permis des avancées à travers la mise en œuvre de mesures concrètes. Outre les campagnes d’information et de formation, la mesure “la plus importante” tient dans les enquêtes administratives permettant un retrait rapide de l’agresseur, “quand avant il fallait attendre que le juge ait donné un coup de marteau”, autrement dit plusieurs années. Des référents ont été nommés pour chaque fédération et à des échelles complémentaires, tandis qu’un “fichier honorabilité” permet d’exclure les personnes condamnées. Pour les victimes, les témoins ou toute personne souhaitant dénoncer des déviances, une adresse mail a été spécialement créée ( [email protected]  ). Depuis la loi du 8 mars 2024, la responsabilité des dirigeants de clubs sportifs a été renforcée en cas de danger avéré ou de non-signalement. Cette même année, en France, 392 affaires ont été comptabilisées, impliquant majoritairement des hommes (89,5 %). Au-delà des encadrants, il faut également noter que 55 % des violences ont lieu entre sportifs, y compris mineurs, les réseaux sociaux et la facilité d’accès aux contenus pornographiques étant des facteurs aggravants.
 
Lors des questions des auditeurs, l’enjeu de “libération de la parole” des victimes, et plus largement de la société “pour dépasser les tabous”, a été central. Le manque d’information quant aux normes effectivement en vigueur au Fenua a également fait l’objet de quelques éclaircissements : par exemple, le contrôle de l’honorabilité des éducateurs sportifs titulaires d’une carte professionnelle est assuré annuellement ; en revanche, ce n’est pas le cas pour les bénévoles. À ce jour, il n’existerait aucun chiffre sur les violences sexuelles dans le sport en Polynésie.
 

La parole à...

Anne Dugast, référente Violences dans le sport en Nouvelle-Aquitaine : “Former un maximum de personnes”
“Nous sommes venus partager notre expérience pour faire un état des lieux de la violence dans le sport et les avancées du ministère des Sports depuis 2020, mais aussi partager nos outils. Nous allons sensibiliser et former un maximum de monde, à peu près 250 personnes : des sportifs, des encadrants, des entraîneurs, des dirigeants. On est aussi intervenu à l’université auprès de 84 étudiants en filière sportive. On a rencontré les autorités et on verra Madame la Ministre la semaine prochaine.”
 
Heirangi Nouveau, secrétaire général de la Fédération polynésienne de kayak-surfski : “Un premier pas en Polynésie”
“Depuis 2022-2023, nous avons mis tous nos efforts dans le développement de la discipline chez les jeunes et les catégories féminines. L’augmentation de ces effectifs nous a fait réaliser qu’il y avait des risques associés, au même moment où des scandales ont éclaté en France au sein de la Fédération de football. On a interrogé les instances sportives, mais il n’y avait pas vraiment d’outils. On s’est rapproché de la MATJS, qui a fait le relais avec les services de l’État pour faire venir ces deux conseillers. C’est un premier pas en Polynésie, car comme ailleurs, il y a une certaine omerta et des difficultés à parler de ces choses-là. Petit à petit, grâce à ce type de formation, la parole va se libérer.”

Rédigé par Anne-Charlotte Lehartel le Mercredi 5 Février 2025 à 17:25 | Lu 1941 fois