Tahiti, le 11 avril 2025 - C’est au collège que les violences scolaires se cristallisent le plus fortement en Polynésie. Pression sociale, usage intensif des réseaux, construction de l’identité : les tensions explosent. Témoignages.
C’est au collège que ça explose. Chaque jour, dans plusieurs établissements du fenua, des bagarres éclatent, des insultes fusent, des humiliations circulent sur les téléphones. Les équipes éducatives encaissent, les élèves s’habituent, les institutions regardent ailleurs. La violence scolaire n’a rien de nouveau, mais elle change de forme et s’installe dans la durée. Et c’est au collège qu’elle frappe le plus fort. À Papeete, il y a encore quelques années, les affrontements entre jeunes étaient un rituel du mercredi après-midi. Devant le McDo ou à la sortie des bus, des « bagarres rangées » opposaient des groupes venus de différents quartiers. Aujourd’hui, les scènes de mêlée sont plus rares. Mais le climat n’est pas plus serein.
« La situation s’est apaisée sur certains points, mais les violences sont plus nombreuses qu’avant »,observe Tchang Martial, enseignant en lycée professionnel à Mahina. « Ce ne sont plus des batailles collectives, mais des actes isolés, des d’épiphénomènes qui éclatent ici et là. Ils sont fréquents et plus imprévisibles. »
« Une bagarre par jour »
Dans plusieurs collèges, les tensions sont devenues la norme. « Depuis la rentrée, il y a au moins une bagarre par jour », confie une collégienne de 14 ans. « Ça devient inquiétant, personne ne fait vraiment quelque chose. Aucune mesure n’est prises » Dans certains établissements, comme à Paea, la situation a nécessité des mesures radicales. L’an passé, la récréation a été suspendue plusieurs semaines. Trop de violences, trop de risques. À Bora Bora, les enseignants doivent parfois verrouiller les salles pendant les pauses pour empêcher les élèves d’y régler leurs comptes.
Les témoignages concordent. « Les bagarres, c’est tous les jours. Ça fait de l’animation, mais on sait que c’est pas normal », résume un collégien à Punaauia. Un autre raconte que souvent, la police ou les pompiers sont appelés. « Ça peut arriver qu’on ne se sente pas vraiment en sécurité », dit-il.
Les adultes au front, souvent seuls
Face à cette montée des tensions, les équipes éducatives tiennent tant bien que mal. Surveillants, CPE, enseignants : tous sont en première ligne, parfois sans soutien. « Quand une bagarre implique plus de trois ou quatre élèves, c’est quasiment impossible d’intervenir sans prendre un coup », témoigne Tchang Martial. « Les adjoints d’éducation sont souvent seuls, peu protégés et peu soutenus. »
Les deux dispositifs censés traiter ces violences — commission éducative et conseil de discipline — existent dans tous les établissements. Mais leur efficacité varie. « Il n’y a pas une année sans une vingtaine de conseils de discipline »,poursuit l’enseignant. « Les faits sont graves, parfois très graves ». Aucun chiffre officiel n’est publié. La DGEE dispose des données, mais le ministère ne les transmet pas, malgré nos sollicitations.
Une mécanique qui échappe
La violence scolaire n’est pas une simple question de surveillance ou de discipline. Elle est le symptôme d’un mal plus profond : mal-être adolescent, reproduction des conflits sociaux, impuissance des familles. Un chef d’établissement, interrogé sous couvert d’anonymat, livre un constat lucide :
« Au collège, on voit des adolescents exploser. Ils envoient tout valser. C’est peut-être dans l’ordre des choses à cet âge, mais cela devient préoccupant. Des enfants consomment parfois des produits interdits dès le primaire. L’école ne peut pas tout contenir. » Derrière les murs, les élèves aussi sentent que quelque chose déraille. « Les profs essaient, mais ils peuvent pas tout voir. Et les autres élèves, ils disent rien parce qu’ils ont peur que ce soit leur tour », explique une élève de 15 ans.
Des réponses à la peine
Face à l’ampleur du phénomène, quelques établissements réussissent à contenir. Où la mise en place de dispositifs de persévérance scolaire permet de prévenir certains décrochages et actes de violence. À Papara, un accompagnement individualisé des élèves les plus exposés a réduit les tensions. « Oui, on a des outils pédagogiques », reconnaît un autre chef d’établissement. « Mais sont-ils efficaces durablement, ou juste ponctuellement ? » Le ministère annonce une nouvelle charte de l’éducation. Certains veulent y croire. D’autres, plus prudents, redoutent une coquille vide.
Cependant Tahia Chung-Tien , de la Fapeep (fédération des associations des parents d’élèves de l’enseignement public), nuance la situation : « Certains établissements font de la politique de l’autruche », déplore-t-elle. « Ils préfèrent ne pas parler des violences pour ne pas nuire à leur image. »
Moins de violence au lycée
Le lycée, en comparaison, apparaît comme un espace un peu plus calme. « Franchement, au collège, c’était chaud tout le temps. Maintenant, ça va mieux. En général, les gens veulent juste passer leur journée sans histoires.», confie une élève de première à Diadème. Il avance plusieurs raisons : l’âge, bien sûr, mais aussi le fait que l’école n’est plus obligatoire après 16 ans. Ceux qui n’y trouvent plus leur place partent, volontairement ou non.
« Il y a aussi plus de mixité sociale au lycée », analyse Martial Tchang. « Les élèves viennent de différentes communes, voire des îles. L’effet "bande de quartier" se dilue. Ça apaise certaines tensions. »
Mais tout n’est pas réglé. « Y a toujours des caïds », reconnaît Martial Tchang. D’autres formes de violence, plus diffuses, persistent : insultes, isolements, menaces. « C’est plus sournois, moins visible », dit Here, 17 ans. « Un message méchant en privé… Ça peut te pourrir la journée. »
Reste que les enseignants l’affirment, il faut « accompagner ces enfants troublés et troublants » et ne pas les abandonner.
- Lire aussi, la suite du dossier : L’école au bord de la crise de nerfs
- Lire aussi, la suite du dossier : Les classes de CP déjà concernées par le harcèlement scolaire
« La situation s’est apaisée sur certains points, mais les violences sont plus nombreuses qu’avant »,observe Tchang Martial, enseignant en lycée professionnel à Mahina. « Ce ne sont plus des batailles collectives, mais des actes isolés, des d’épiphénomènes qui éclatent ici et là. Ils sont fréquents et plus imprévisibles. »
« Une bagarre par jour »
Dans plusieurs collèges, les tensions sont devenues la norme. « Depuis la rentrée, il y a au moins une bagarre par jour », confie une collégienne de 14 ans. « Ça devient inquiétant, personne ne fait vraiment quelque chose. Aucune mesure n’est prises » Dans certains établissements, comme à Paea, la situation a nécessité des mesures radicales. L’an passé, la récréation a été suspendue plusieurs semaines. Trop de violences, trop de risques. À Bora Bora, les enseignants doivent parfois verrouiller les salles pendant les pauses pour empêcher les élèves d’y régler leurs comptes.
Les témoignages concordent. « Les bagarres, c’est tous les jours. Ça fait de l’animation, mais on sait que c’est pas normal », résume un collégien à Punaauia. Un autre raconte que souvent, la police ou les pompiers sont appelés. « Ça peut arriver qu’on ne se sente pas vraiment en sécurité », dit-il.
Les adultes au front, souvent seuls
Face à cette montée des tensions, les équipes éducatives tiennent tant bien que mal. Surveillants, CPE, enseignants : tous sont en première ligne, parfois sans soutien. « Quand une bagarre implique plus de trois ou quatre élèves, c’est quasiment impossible d’intervenir sans prendre un coup », témoigne Tchang Martial. « Les adjoints d’éducation sont souvent seuls, peu protégés et peu soutenus. »
Les deux dispositifs censés traiter ces violences — commission éducative et conseil de discipline — existent dans tous les établissements. Mais leur efficacité varie. « Il n’y a pas une année sans une vingtaine de conseils de discipline »,poursuit l’enseignant. « Les faits sont graves, parfois très graves ». Aucun chiffre officiel n’est publié. La DGEE dispose des données, mais le ministère ne les transmet pas, malgré nos sollicitations.
Une mécanique qui échappe
La violence scolaire n’est pas une simple question de surveillance ou de discipline. Elle est le symptôme d’un mal plus profond : mal-être adolescent, reproduction des conflits sociaux, impuissance des familles. Un chef d’établissement, interrogé sous couvert d’anonymat, livre un constat lucide :
« Au collège, on voit des adolescents exploser. Ils envoient tout valser. C’est peut-être dans l’ordre des choses à cet âge, mais cela devient préoccupant. Des enfants consomment parfois des produits interdits dès le primaire. L’école ne peut pas tout contenir. » Derrière les murs, les élèves aussi sentent que quelque chose déraille. « Les profs essaient, mais ils peuvent pas tout voir. Et les autres élèves, ils disent rien parce qu’ils ont peur que ce soit leur tour », explique une élève de 15 ans.
Des réponses à la peine
Face à l’ampleur du phénomène, quelques établissements réussissent à contenir. Où la mise en place de dispositifs de persévérance scolaire permet de prévenir certains décrochages et actes de violence. À Papara, un accompagnement individualisé des élèves les plus exposés a réduit les tensions. « Oui, on a des outils pédagogiques », reconnaît un autre chef d’établissement. « Mais sont-ils efficaces durablement, ou juste ponctuellement ? » Le ministère annonce une nouvelle charte de l’éducation. Certains veulent y croire. D’autres, plus prudents, redoutent une coquille vide.
Cependant Tahia Chung-Tien , de la Fapeep (fédération des associations des parents d’élèves de l’enseignement public), nuance la situation : « Certains établissements font de la politique de l’autruche », déplore-t-elle. « Ils préfèrent ne pas parler des violences pour ne pas nuire à leur image. »
Moins de violence au lycée
Le lycée, en comparaison, apparaît comme un espace un peu plus calme. « Franchement, au collège, c’était chaud tout le temps. Maintenant, ça va mieux. En général, les gens veulent juste passer leur journée sans histoires.», confie une élève de première à Diadème. Il avance plusieurs raisons : l’âge, bien sûr, mais aussi le fait que l’école n’est plus obligatoire après 16 ans. Ceux qui n’y trouvent plus leur place partent, volontairement ou non.
« Il y a aussi plus de mixité sociale au lycée », analyse Martial Tchang. « Les élèves viennent de différentes communes, voire des îles. L’effet "bande de quartier" se dilue. Ça apaise certaines tensions. »
Mais tout n’est pas réglé. « Y a toujours des caïds », reconnaît Martial Tchang. D’autres formes de violence, plus diffuses, persistent : insultes, isolements, menaces. « C’est plus sournois, moins visible », dit Here, 17 ans. « Un message méchant en privé… Ça peut te pourrir la journée. »
Reste que les enseignants l’affirment, il faut « accompagner ces enfants troublés et troublants » et ne pas les abandonner.
Des violences aussi contre les enseignants
La violence ne s’arrête pas aux querelles d’élèves. Chaque année, des enseignants sont pris pour cibles, verbalement ou physiquement. Si plusieurs cas sont régulièrement signalés au ministère et au vice-rectorat, aucun chiffre précis n’est une nouvelle fois communiqué.
« Nos correspondants nous font part d’agressions. Il s’agit bien souvent d’atteintes à l’intégrité physique ou morale », rapporte Martial Tchang, enseignant et représentant syndical.
Certains incidents prennent des proportions inquiétantes. À Uturoa, l’an dernier, un enseignant a été agressé suite à une série de défis lancés entre élèves. Une enquête administrative a été ouverte. Elle est toujours en cours.
Les violences sexuelles ou sexistes, elles aussi, s’immiscent dans le quotidien scolaire. « Tous les ans, on a des cas de jupe soulevée, filmée, de vidéos partagées sans consentement », déplore Tchang Martial. « Ça peut paraître anecdotique vu de l’extérieur, mais à répétition, c’est grave. » Les sanctions disciplinaires tombent, mais restent souvent confinées au registre administratif. Même si les enseignants peuvent obtenir une protection fonctionnelle s’ils souhaitent engager des poursuites pénales.
« Nos correspondants nous font part d’agressions. Il s’agit bien souvent d’atteintes à l’intégrité physique ou morale », rapporte Martial Tchang, enseignant et représentant syndical.
Certains incidents prennent des proportions inquiétantes. À Uturoa, l’an dernier, un enseignant a été agressé suite à une série de défis lancés entre élèves. Une enquête administrative a été ouverte. Elle est toujours en cours.
Les violences sexuelles ou sexistes, elles aussi, s’immiscent dans le quotidien scolaire. « Tous les ans, on a des cas de jupe soulevée, filmée, de vidéos partagées sans consentement », déplore Tchang Martial. « Ça peut paraître anecdotique vu de l’extérieur, mais à répétition, c’est grave. » Les sanctions disciplinaires tombent, mais restent souvent confinées au registre administratif. Même si les enseignants peuvent obtenir une protection fonctionnelle s’ils souhaitent engager des poursuites pénales.