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Violences scolaires - l’école au bord de la crise de nerfs


Violences scolaires - l’école au bord de la crise de nerfs
Bagarres filmées, cyberharcèlement, insultes quotidiennes : la violence dans les établissements scolaires gagne du terrain au Fenua. Parents, enseignants, élèves et chefs d’établissement tirent la sonnette d’alarme. En cause ? Un climat scolaire fragilisé, une société sous pression toujours plus violente… et des réseaux sociaux devenus caisses de résonance.
 

 
Parfois, tout commence par un message privé. Une moquerie, un surnom humiliant. Puis une vidéo surgit, partagée en boucle sur TikTok ou Facebook : deux élèves qui se battent sous les cris, les rires, les « likes ». Une élève qui en accuse une autre d’avoir "couché avec son mec", une bagarre réglée dans la cour, filmée et diffusée sur TikTok, avec une bande-son choisie et des commentaires en rafale. Cette scène, survenue récemment dans un lycée de Tahiti, n’a rien d’exceptionnel. Elle illustre une nouvelle forme de violence scolaire : scénarisée, numérisée, relayée. Et surtout, banalisée.

Dans les écoles, collèges et lycées polynésiens, les tensions sont de plus en plus palpables. Verbales, physiques, psychologiques… Les violences prennent des visages multiples, souvent exacerbés par l’exposition numérique.

La Direction générale de l’Éducation et des Enseignements (DGEE) assure avoir pris la mesure du phénomène. Elle prépare — discrètement — une nouvelle charte de l’éducation et pilote actuellement une étude sur le climat scolaire. Mais du côté du ministère de l’Éducation, c’est silence radio. Malgré nos multiples relances, aucune réponse, aucun chiffre. Les données sur les incidents de violence, que seule la DGEE détient, restent sous clé. Officiellement, on "travaille sur le sujet". Soit. Mais pendant ce temps, les tensions s’enracinent. Et l’urgence, elle, n’attend pas.

Une société qui vacille, une école qui encaisse

Beaucoup d’acteurs du monde scolaire s’accordent : le problème dépasse les murs de l’école. Il est sociétal, lié à l’explosion des usages numériques mais aussi à la précarité croissante et à l’éclatement du cadre familial. « Dès qu’il se passe quelque chose dans la rue, on voit des dizaines de téléphones sortir pour filmer. Parce que les gens ne se fient plus à leur mémoire : il faut partager. » explique un enseignant

« L’école ne peut pas devenir un levier social à elle seule », résume Tchang Martial. De son côté, un chef d’établissement met les mots sur un malaise plus profond : « Il y a toujours eu des élèves qui embêtaient les autres. Aujourd’hui, on parle de violences au pluriel : verbales, physiques, harcèlement, cyberharcèlement… (…) Avant, c’était un chewing-gum dans les cheveux. Aujourd’hui, c’est une photo qu’on menace de faire tourner (…) On a besoin d’une école de la confiance, pas de la méfiance. »

S’il souligne que certains établissements parviennent à préserver un climat apaisé, il alerte sur la multiplication des micro-agressions et sur l'effritement du lien avec les familles. « On entend souvent : “On ne sait pas quoi faire”. Et nous, on répond : “Mais nous, on est que l’école…” (…) L’enfant, on l’a 26 heures par semaine. Le reste du temps, il est en famille. Il faut remettre les responsabilités à leur place."

Tous pointent une violence qui a tendance à s’accentuer. Et les réseaux sociaux nourrissent, diffusent, amplifient et rendent la prévention plus difficile. « Peut-être faudrait-il interdire l’accès aux plus jeunes », avance Tahia Chung-Tien , présidente de la Fapeep . « C’est une piste. » En attendant, les chefs d’établissements bricolent avec les moyens du bord. « L’école ne peut pas tout faire », résume Tchang Martial. « On lutte parfois contre la volonté même des élèves qui ne veulent pas venir en cours. » En attendant, ni la DGEE ni le ministère ne publient de données précises.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Lundi 14 Avril 2025 à 07:08 | Lu 2738 fois