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Vice-recteur : "Le bilinguisme est un atout évident"


Comme dirait la chanson, "Adieu monsieur vice-recteur" !
Comme dirait la chanson, "Adieu monsieur vice-recteur" !
PAPEETE, le 30 septembre 2019 - Éducation - Philippe Couturaud, vice-recteur de la Polynésie française, part à la retraite après deux ans et demi au fenua. En partant d'un constat sévère sur l'état de l'école en Polynésie, son objectif a été d’insuffler un vent de renouveau dans l'école polynésienne. Nous avons pu le rencontrer pour son dernier jour en poste.

Philippe Couturaud connait bien la Polynésie. Il y a été élève au début des années 1960 à l'école de Tipaerui plage, à Papeete, puis est revenu en tant que professeur d'informatique et de gestion entre 1986 et 1992, avant de terminer sa carrière au fenua en tant que vice-recteur, la plus haute autorité de l'État dans l'éducation polynésienne, de mai 2017 à aujourd'hui. Il part aujourd'hui à la retraite.

Phillipe Couturaud a été décoré de l'ordre de Tahiti Nui avant son départ, le gouvernement polynésien lui reconnaissant le mérite d'avoir créé les classes de sixième intégrées aux écoles primaires des archipels éloignés, "retardant la rupture psycho-affective tant redoutée par les parents".
Phillipe Couturaud a été décoré de l'ordre de Tahiti Nui avant son départ, le gouvernement polynésien lui reconnaissant le mérite d'avoir créé les classes de sixième intégrées aux écoles primaires des archipels éloignés, "retardant la rupture psycho-affective tant redoutée par les parents".
Pour le remercier de son travail effectué ces deux dernières années, le président Édouard Fritch a profité de son pot de départ, organisé vendredi dernier, pour lui remettre la médaille de l'Ordre de Tahiti Nui. Dans son discours, le président du Pays le remercie d'avoir fait preuve "d’une énergie considérable pour impulser une dynamique de travail en synergie avec le ministère en charge de l’Éducation, dans l’intérêt du système éducatif polynésien et pour la réussite des élèves. Ainsi, des dispositifs innovants et prometteurs ont été mis en œuvre, comme la classe de 6ème à l’école, dans les archipels éloignés, pour que les élèves en âge de rejoindre le collège de leur secteur puissent rester un an de plus dans leur vallée ou leur atoll, et réduire ainsi d’une année la rupture psycho-affective tant redoutée par les parents. Deux ans après sa mise en œuvre, ce dispositif est reconnu comme bénéfique pour les élèves et pour les populations concernées". Ces classes de 6ème au sein des écoles de certaines îles ne disposant pas de collège ont été mises en place à la rentrée scolaire d’août 2018 à Fakarava, Rimatara, Fatu Hiva, Ua Huka et Tahuata. Ella a été étendue à la rentrée 2019 à Anaa et Arutua.

RAPPROCHER LE PRIMAIRE ET LE COLLÈGE

Nous avons pu rencontrer le vice-recteur pour son dernier jour d'activité. Il nous a expliqué qu'à son arrivée, il a dû faire le constat de nombreux dysfonctionnements. "Le problème, c'est l'histoire. En 1977, la compétence sur les écoles primaires a été transférée au Pays, qui a installé la direction du premier degré à Tipaerui. En 1987, ce sont les collèges et lycées qui ont été transférés et on a intégré la Direction de l'enseignement secondaire au Taaone, la coupure entre le primaire et le collège a été nette." Pour lui, la plus grande partie des maux de l'éducation polynésienne vient de cette coupure trop sévère entre le CM2 et la sixième. Son action a donc consisté principalement à rapprocher ces institutions pour faciliter la transition des élèves, en utilisant la réforme de l'école métropolitaine qui a intégré la classe de sixième au cycle 3 de l'école primaire (avec les CM1 et CM2).

Pour concrétiser ce rapprochement administratif, il a instauré dans les dix circonscriptions de Polynésie "avec chaque inspecteur du premier degré, un inspecteur du second degré. On leur a dit qu'ils étaient responsables de la pédagogie de la maternelle à la terminale ! On leur a demandé de visiter ensemble les classes de CM1 à la sixième pour rapprocher les bords du gouffre et commencer à travailler ensemble. On a monté ça avec Tea Frogier, tout de suite pour la rentrée 2017". Avec la ministre, il a donc également intégré des classes de sixième dans les écoles de certains archipels. Enfin, à Makemo, Tahaa et Hao, qui ont des collèges entourés d'écoles, il a confié au principal du collège la coordination de l'ensemble du cycle 3 (CM1, CM2 et sixième).

En parallèle, il a aussi beaucoup œuvré pour mettre enfin le tahitien au cœur de l'école polynésienne, pour développer les filières d'excellence et pour renforcer la communication entre le vice-rectorat et le ministère de l'éducation local (voir encadrés). Il a aussi travaillé à réintégrer les décrocheurs scolaires en signant une convention de dix ans pour sécuriser le budget du RSMA, en développant les Centres pour jeunes adolescents (CJA) et il a créé des diplômes professionnels polynésiens de niveau Bac+2 spécialisés dans le tourisme, l'agriculture, le bâtiment et l'économie bleue.

Phillipe Couturaud part maintenant profiter d'une retraite méritée à Montpellier où il croisera sans nul doute de nombreux étudiants polynésiens. Certains auront directement bénéficié des réformes qu'il a initiées...

Les premières classes bilingues français-tahitien

(Photo : Delphine Barrais)
(Photo : Delphine Barrais)
Quelle est la place du reo tahiti dans l’éducation en Polynésie ?
Depuis la rentrée 2019, nous avons lancé trois classes à parité horaire en maternelle. Il y en a une à Raiatea et deux à Tahiti, ce sont des sections des petits et elles continueront à s'ouvrir avec la section des moyens, la section des grands, puis à l'école primaire. Dans ces classes, on enseigne le français et le tahitien et, surtout, toutes les matières comme les mathématiques, l'histoire, la géographie, etc. sont enseignées en français et en tahitien !

Deuxième chose, c'est qu'en sixième, on ne fait qu'une langue étrangère, l'anglais. Mais en Polynésie, on a quand même le tahitien à l'école primaire, donc on a lancé le tahitien dès la sixième. Et là, enfin, avec la réforme du lycée, on prévoit désormais des spécialités en première et terminale à la place du système S, L, etc. On a décidé que les élèves peuvent choisir de faire des maths, de l'éco, du grec... Donc parmi toutes les spécialités qui ont été mises en place, il y en a deux qui sont assez exceptionnelles : La première, c'est la spécialité Numérique et sciences informatiques, donc du codage au lycée, quatre heures en première et 6 heures en terminale... Ça fait 350 heures d'informatique pour cette spécialité. La seconde, c'est une spécialité Langue, culture et civilisation en langues régionales. Également avec quatre heures par semaine en classe de première puis six heures par semaine en terminale. Maintenant, on peut faire du tahitien de la maternelle au lycée à un niveau très élevé !

Pour les professeurs, nous allons même lancer un concours d'agrégation (Agreg) de tahitien en 2021 ou 2022, c'est une bonne nouvelle pour les lycées, pour la filière Culture et civilisation de l'université, et ça va surtout permettre de former des cadres.

L’apprentissage de deux voire plusieurs langues en même temps est-il vraiment un plus pour les enfants ?
Le bilinguisme est un atout évident. Quand on a à manipuler des concepts dans plusieurs langues, forcément on est plus plastique au niveau du cerveau et on travaille différemment. Ça permet de confronter des choses, de rebondir. Les enfants qui apprennent deux langues sont plus adaptables et auront une démarche d'apprentissage plus facile.

Rapprocher l'Etat et le Pays sur l'éducation

Lors de son pot de départ, Philippe Couturaud, passionné de va’a, n'a pas pu résister à la métaphore pour décrire les relations État-Pays dans son domaine : "À mon arrivée, au mois de mai 2017, une image s’était imposée à moi et n’avait pas manqué de me surprendre et de m’interroger. En matière d’éducation, le Pays et l’État me semblaient être sur deux va’a. Chacun de nos va'a ono était naturellement doté d’un peperu : la ministre pour celui de la Polynésie française et moi-même, le vice-recteur, pour celui de l’État. Le cap pris par chacun de nos va’a me semblait aléatoire, mais certainement pas le même et certainement pas concerté ! Je n’avais pas réussi à repérer le travail exact de mon cadenceur, ni comprendre vraiment sa stratégie. Il m’avait même semblé que celui-ci pouvait se prendre pour le peperu..."

Pour remédier à cette situation, le vice-recteur a pris plusieurs initiatives. Par exemple, il a invité la ministre à participer au recrutement des inspecteurs du second degré, même si la convention-cadre entre l'État et le Pays ne le prévoit pas. "Ils vont travailler pour vous, donc il faut que vous les connaissiez et que leur faisiez confiance" lui aurait-il dit. Il a aussi mis en place des outils informatiques de gestion des 5 500 salariés de l'éducation nationale en Polynésie, auxquels le vice-rectorat et le ministère de l'Éducation ont accès... Et même l'inspection générale à Paris, par soucis de transparence.

"Désormais, les deux peperu que nous sommes ont bien le même cap qu’ils définissent ensemble.
Sans nous en rendre compte, nos va'a se sont petit à petit rapprochés. Un pont – celui d’une politique, d’une stratégie éducative et pédagogique – est en train de nous relier. Sous nos yeux, nos deux va'a se transforment en un va'a tere, taillé pour les voyages sur de longues distances tels que les ont vécu les grands anciens qui ont traversé le pacifique, ou plus récemment comme Hokulea."

Numérique et filières d'excellence

Pour le numérique, au lieu de lancer directement des classes 100% en ligne pour développer le collège dans les îles, ce sont les échanges entre les classes existantes et le développement de modules pédagogiques utilisables par tous les professeurs du territoire qui est la priorité.

"Le numérique était un grand mystère pour moi quand je suis arrivé. Ceux qui ont rédigé la partie numérique de la convention de 2016 n'ont pas réalisé que nous étions 270 000 habitants et que la problématique était de couvrir les îles et pas de mettre un conseil supérieur du numérique, un comité stratégique et un comité opérationnel en place. L'administration mangeait l'administration. Donc on a travaillé avec Tea Frogier et Christelle Lehartel sur un avenant de cette convention pour tout simplifier."

"Sur le numérique on va avoir un comité opérationnel avec le président de l'université qui a la recherche, le vice-recteur qui a l'expertise et la ministre qui a les professeurs. Le deuxième élément, c'est Natitua. Il y a un problème de stratégie, on a un câble qui passe devant nos collèges et ne les relie pas, c'est embêtant. Il y a eu une vision du numérique qui, initialement, ne prenait pas la pédagogie en compte. Maintenant, c'est le cas. Tout ça va se régler, on y travaille depuis deux ans et, bientôt, on va avoir toutes les écoles et collèges branchés. Quand ce sera le cas, il est évident que pour ma 6ème à Fakarava, non seulement il y aura un professeur des écoles, mais j'aurai des liaisons entre la 6ème de Fakarava et le collège de Rangiroa sur le cours de maths ou de science ! La classe de Hereheretue, qui est sur plusieurs niveaux, pourra être en relation avec l'école de To’ata. Une fois que les îles seront désenclavées, on se posera la question du téléenseignement pour aller plus loin."

Concernant les classes d'excellence, Philippe Couturaud a mis en place des conventions avec les classes préparatoires de lycées prestigieux à Lyon (Le Parc), Bordeaux (Montaigne) et Paris (Henri IV et Louis Le grand entre autres). Et pour faciliter les examens, les étudiants des cinq classes préparatoires locales seront désormais accompagnés en métropole par un de leur professeur. Ce dernier participera aussi aux jurys d'examen pour faciliter les échanges entre enseignants. "Nos classes prépas locales sont aussi plus appréciées. On est passé de 35 élèves dans les trois prépas en lycées à 80 et ils ont des crédits pour passer à l'UPF s'ils changent d'avis. À partir du moment où on a des classes d'excellence, tout le niveau monte !"

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 30 Septembre 2019 à 19:10 | Lu 3509 fois