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Valse diplomatique sino-américaine à Suva


Départs quasi-simultanés de Suva : l’ambassadrice américaine Frankie Reed et l’ambassadeur chinois Huang Yong, décoré par le Président fidjien Ratu Epeli Nailatikau
Départs quasi-simultanés de Suva : l’ambassadrice américaine Frankie Reed et l’ambassadeur chinois Huang Yong, décoré par le Président fidjien Ratu Epeli Nailatikau
SUVA, dimanche 18 janvier 2015 (Flash d’Océanie) – Les gouvernements américain et chinois procèdent actuellement au remplacement quasi-simultané de leurs chef de mission diplomatique à Fidji, plus que jamais zone de friction entre Washington et Pékin en matière de rapports de force géopolitiques dans le Pacifique Sud.
Vendredi 16 janvier 2015, l’ambassadrice américaine en poste à Suva (également compétente pour les pays voisins de Kiribati, Nauru, Tonga et Tuvalu), Frankie Reed, a quitté l’archipel après y avoir passé plus de trois ans, dans une période charnière en matière de retour de Fidji à la démocratie après le putsch de décembre 2006.

Le travail de rapprochement entre Suva et Washington, dans une période auparavant difficile, a notamment été salué par le chef de la diplomatie fidjienne, Ratu Inoke Kubuabola.

La diplomate, pour sa part, a notamment mentionné, au cours d’une conférence face à la presse locale, les relations commerciales et touristiques entre Fidji et les États-Unis, mais aussi les bons souvenirs qu’elle emporte avec elle, au terme de trois années de poste.
https://www.youtube.com/watch?v=0YjrGGkArCE

Elle a été moins éloquente quant au rôle de premier plan que joue Fidji sur l’échiquier régional, au cœur du Pacifique, une sorte de plaque tournante des influences des puissances dans cette vaste région.
Au cours des huit dernières années, qui ont été marquées par un gouvernement post-putsch à Fidji, suivi, en septembre 2014, d’élections marquant le retour de ce pays à la démocratie par une victoire écrasante de l’ex-putschiste Franck Bainimarama, les relations de Fidji avec le bloc occidental étaient entrées dans une phase tendue.
Au cours de cette période, le pays ayant le plus visiblement resserré ses liens avec l’archipel océanien a été la Chine.

Mme Reed devrait être remplacée dans les prochains jours par Mme Judith Beth Cefkin au poste d’ambassadrice pour les îles Fidji et, sur une base non résidente, pour les îles Kiribati, Nauru, Tonga et Tuvalu.
Cette diplomate de carrière avait été nommée début juillet 2014 par le Président américain Barack Obama
Judith Beth Cefkin, 61 ans, diplomate de carrière, au cours de son récent parcours professionnel, a été basée à Bangkok (Thaïlande) où elle a été numéro deux entre 2010 et 2013.
Plus récemment encore, de retour à Washington depuis 2013, elle a été conseillère spéciale sur le dossier de la Birmanie/Myanmar (pays qui doit organiser des élections démocratiques en 2015, après plus de cinquante ans de dictature militaire, suivis d’une transition civile en cours), au sein du bureau du Département d’État des affaires d’Asie de l’Est et du Pacifique.
En novembre 2012, Barack Obama effectuait une visite historique en Birmanie, pays considéré comme occupant une position stratégique entre l’Inde et la Chine.
Cette tournée présidentielle était aussi passée par la Thaïlande (où Mme Cefkin était alors en poste) et le Cambodge.

Alors qu’elle dirigeait encore la diplomatie américaine, au cours du dernier trimestre 2010, Hillary Clinton avait effectué une visite dans la région Pacifique, en passant par les incontournables alliés et puissances régionales que sont l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Elle n’avait alors eu de cesse de réaffirmer l’engagement renouvelé et la volonté de partenariat de l’administration Obama dans cette partie du monde, y compris avec des États comme Fidji, qui occupent toujours un rôle de « hub » sur la carte économique, stratégique et géopolitique de l’Océanie insulaire.
Mme Clinton avait aussi soutenu devant les Sénateurs que la plupart des États insulaires océaniens, à son sens, pouvaient être considérés comme des « alliés anciens et fiables » des États-Unis.
« Nous jouissons d’un grand soutien dans la région de l’Océan Pacifique. Beaucoup parmi ces petits pays votent de notre côté aux Nations-Unies, ce sont des alliés, ils adhèrent à nos valeurs », avait ajouté Mme Clinton, qui soulignait qu’entre-temps, la Chine ne manquait jamais une occasion de faire venir à Pékin « tous les dirigeants des petits États du Pacifique ».


« Super-ambassades » américaine et chinoise à Suva

Dans la capitale fidjienne, Suva, les États-Unis ont inauguré en juin 2011 une « super-ambassade » à vocation régionale, en réponse apparente à un projet similaire, mais chinois, inauguré quelques mois plus tôt en grande pompe par Pékin.
Depuis la prise de pouvoir de Franck Bainimarama (désormais Vice-amiral en retraite, toujours chef du gouvernement et candidat déclaré aux prochaines législatives, les relations entre Suva et Pékin ont connu une embellie sans précédent, alors que celles avec les anciens alliés occidentaux, et en premier lieu l’Australie et la Nouvelle-Zélande, se sont détériorées avant que d’entrer dans une phase de restauration ces derniers mois.

Zone de front en plein Pacifique

Pour dire au revoir à Huang Yong, l’ambassadeur chinois en poste à Suva (qui a quitté Fidji jeudi 15 janvier 2015), le gouvernement local a, la semaine dernière, mis les petits plats dans les grands : réception organisée en son honneur par le Président fidjien en personne, Ratu Epeli Nailatikau, qui, le 12 janvier 2015, a décoré le diplomate en partance de la médaille d’Officier Honoraire dans l’Ordre de Fidji.
Le chef de l’État fidjien a notamment salué le travail de ce diplomate de Pékin dans le processus de renforcement des relations entre les deux pays, au cours de son mandant de trois ans et demi.
Dans le même ton, une autre réception a été donnée par le ministre fidjien des affaires étrangères, Ratu Inoke Kubuabola, en l’honneur de ce diplomate, là encore pour souligner son rôle, ces dernières années, dans le rapprochement entre Suva et Pékin.
Il a cité comme point culminant de ces démonstrations de proximité la toute récente visite à Fidji du Président chinois Xi Jinping.
« En tant que nation, la Chine a démontré qu’elle était un vrai ami de Fidji, lorsque presque tout le reste du monde nous avait fermé la porte. La Chine est restée ferme et nous a soutenus, montrant ainsi une profonde compréhension de notre situation et aussi un grand respect pour Fidji en tant que nation souveraine qui essaie de se reconstruire », a notamment déclaré le chef de la diplomatie fidjienne.
Les domaines de coopération entre Suva et Pékin se sont multipliés au cours des dernières années, allant des aides aux infrastructures (stades, routes, ponts, centrales hydroélectriques) aux échanges commerciaux en passant par la culture ou encore l’armée et, ces derniers jours, une amorce de coopération policière.

Fin novembre 2014, le Président chinois Xi Jinping effectuait une visite officielle de deux jours à Fidji, où il a réaffirmé les excellentes relations entre non seulement ce pays, mais aussi les autres pays voisins de l’Océanie, dont les dirigeants étaient venus spécialement à Suva pour le rencontrer à l’occasion d’un sommet multilatéral.
La visite chinoise à Fidji avait été précédée de quelques jours seulement par celle du Premier ministre indien Narendra Modi qui, lui aussi, avait saisi l’occasion de sa présence dans le Pacifique insulaire pour rencontrer, sur le sol fidjien, des chefs d’États et de gouvernement océaniens venus spécialement pour l’occasion.

Objectif affiché de cette opération de charme : renforcer les relations non seulement avec cet archipel, dont la diplomatie est désormais décomplexée vis-à-vis des grands partenaires traditionnels riverains (Australie et Nouvelle-Zélande), mais aussi avec tous les petits États insulaires de la zone.
Le but ultime est aussi, pour des puissances comme l’Inde et la Chine, de pérenniser une présence dans une zone autrefois considérée comme le pré carré des voisins australiens et néo-zélandais.

Fidji reconnu comme leader régional

« Rien n’est plus symbolique du nouveau statut de notre nation au sein de la communauté mondiale que cette opportunité de recevoir à la fois le Premier ministre indien et le Président chinois », déclarait M. Bainimarama à ses ambassadeurs et chefs de missions, réunis en conférence peu avant ces visites de hauts dirigeants.

« Il y a sans nul doute une dimension stratégique à ces visites : l’Inde et la Chine sont des puissances mondiales émergentes qui veulent aussi renforcer leur présence dans le Pacifique. Mais leurs dirigeants viennent aussi ici parce qu’ils considèrent Fidji comme un pays important (…) Ils nous reconnaissent en tant que leader dans la région, une nation insulaire de premier plan qui joue aussi un rôle grandissant sur la scène mondiale et qui a aussi accompli des réformes substantielles au plan constitutionnel, juridique et politique, qui ont été applaudies, saluées et acceptées internationalement », a-t-il ajouté face à ses compatriotes diplomates.

La Chine, puissance océanienne déjà bien établie

Pour la Chine, la visite officielle de trois jours à Fidji du Président Xi Jinping a servi à conforter des relations déjà florissantes avec Suva, en particulier au cours de la période post-putsch allant de décembre 2006 à septembre 2014.

Au bénéfice des sanctions imposées par le bloc occidental (avec en première ligne l’Australie et la Nouvelle-Zélande) après le coup d’État de décembre 2006, la présence chinoise à Fidji a connu un sensible développement.
S’exprimant sur ces avancées, l’ambassadeur chinois en poste à Suva, Huang Yong, évoquait récemment « l’importance » de Fidji, mais aussi que ce pays ait été, en son temps, le premier de la zone Pacifique insulaire à établir des relations diplomatiques avec Pékin.
« Nos deux pays ont approfondi une coopération pragmatique dans les domaines politique, économique, commercial (…) ouvrant ainsi la voie à une nouvelle opportunité historique de développement de nos relations bilatérales », a-t-il commenté.
Ces dernières années, sur financement chinois, ce sont ainsi des hôpitaux, des logements, des centrales hydroélectriques, des routes, qui sont sortis de terre dans cet archipel.
L’Université régionale du Pacifique Sud, basée à Suva, accueille aussi sur son campus, depuis plusieurs années, un institut Confucius chargé de promouvoir la culture et la langue chinoises.
« La visite de M. Xi vient amplement démontrer la haute importance que la Chine accorde au développement de ses relations avec les nations insulaires du Pacifique. Le but de ce voyage est de tracer ensemble l’avenir des liens entre la Chine et le Pacifique et de promouvoir une coopération pratique, ainsi que des échanges amicaux (…) C’est un événement majeur d’une importance stratégique significative dans l’histoire des relations bilatérales de la Chine avec les pays insulaires du Pacifique. Il va très certainement porter les relations bilatérales à un autre niveau », a-t-il ajouté concernant ce aura été le premier déplacement d’un Chef d’État chinois dans cette partie du monde.

Tout comme le Premier ministre indien, Le Président chinois a utilisé Fidji comme plateforme pour rencontrer à Nadi une grande parties des dirigeants océaniens, comme ceux des îles Cook, des États Fédérés de Micronésie, de Samoa, de Papouasie-Nouvelle-Guinée, de Vanuatu, des îles Cook, de Tonga et de Niue.

En fin de semaine dernière, l’ambassade chinoise à Port-Vila (Vanuatu) posait la première pierre du bâtiment qui devrait à terme l’héberger en république de Vanuatu.

pad

Rédigé par PAD le Lundi 19 Janvier 2015 à 06:35 | Lu 944 fois