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Une sortie de l'indivision qui coûte cher


Tahiti, le 14 octobre 2025 – Après un premier colloque en 2021 sur la question foncière, Antony Géros organise sur trois journées à l'assemblée un second colloque “plus concret” sur l'accès à la propriété foncière. L'objectif affiché est de permettre aux élus de Tarahoi de se saisir des recommandations issues des tables rondes et ateliers afin de légiférer pour “construire un cadre foncier plus juste et adapté à la réalité”. Sans langue de bois, les intervenants ont notamment évoqué les coûts que représentent les démarches pour sortir de l'indivision, et les pistes pour les faire baisser.
 
 
C'est dans l'hémicycle de Tarahoi qu'Antony Géros a ouvert ce mardi matin, le colloque sur l'accès à la propriété foncière. Il ne s'agit pas de refaire celui qui s'est tenu en 2021 à l'Université de Outoumaoro mais “pour faire avancer les choses et progresser, il faut ressasser”, a-t-il dit, expliquant que ce second rendez-vous avec les acteurs du secteur s'inscrivait dans “une démarche de solutions concrètes” aux problématiques foncières. “Chez nous, la terre n'est pas un bien ordinaire. C'est un lien profond qui relie le Polynésien à son histoire”, a-t-il rappelé, soulignant que ce colloque était l'occasion “d'inventer un modèle polynésien foncier conciliant droit, pratiques traditionnelles et culturelles, mémoire et progrès”.
 
L'idée étant que les recommandations issues de ces travaux qui seront restituées vendredi, servent de socle aux élus de l'assemblée pour légiférer afin de faciliter le règlement des conflits dans ce domaine et l'accession à la propriété. Une idée qui n'est pas nouvelle d'ailleurs puisque c'était aussi la finalité recherchée lors du colloque sur la vie chère organisé en mars dernier, mais qui n'a, pour l'heure, toujours pas été traduit par des propositions de textes de loi. Cela étant, les intervenants se sont exprimés sans langue de bois ce mardi matin lors de la table ronde relative à la gestion de la sortie d'indivision, notamment sur le coût que représentent les démarches à entreprendre pour y parvenir.
 
Une accumulation de plusieurs strates de dépenses
 
D'abord, Maître Aritu Guichenu, président de la chambre des notaires, a d'abord tenu à rappeler que les consultations chez un notaire sont gratuites. Seuls les actes sont payants. “Ce qui ressort le plus souvent, ce sont les problèmes liés aux actes de notoriété qui n'ont pas été réglés depuis plusieurs générations et c'est souvent une seule souche qui s'occupe des affaires de terre et qui participe seule aux frais”, a-t-il expliqué, plaidant pour “une conscience collective afin de réduire les coûts”.
 
Car pour sortir de l'indivision, “un partage a toujours un coût, qu'il soit amiable ou notarier”, souligne Laure Belanger, magistrate coordinatrice du tribunal foncier. “Il y a le coût de l'avocat. Il y a le coût parfois du généalogiste ou de l'huissier. Il y a le coût des actes à retirer chez le notaire. Et il y a le coût du géomètre qui, c'est vrai, est quand même une grosse partie. C'est une accumulation de plusieurs strates de dépenses qui fait qu'à la fin ça fait cher pour les familles”, ajoute Pamela Fritch, cheffe du bureau des avocats de la Direction des affaires foncières (DAF).
 
Autre piste évoquée, et cela passe par l'information et la communication : faire attention à qui on s'adresse lorsque l'on veut monter un dossier. “Avant même d'arriver chez le notaire ou au tribunal, certains ont déjà payé 800 000 francs alors que le dossier n'est pas complet”, a-t-il indiqué, appuyé par Maître Lorna Oputu, avocate spécialisée dans les affaires de terre, mais aussi Stéphane Lessene, président de l'Ordre des géomètres, Laure Belanger, ou encore Pamela Frith.
 
Attention aux arnaqueurs
 
Gare aux faux avocats, aux pseudo géomètres ou généalogistes qui facturent jusqu'à trois fois plus que de vrais professionnels. “C'est quand même assez affolant. C'est un gros problème parce que les gens perdent du temps, de l'argent. Et surtout sont très désinformés par ces personnes-là. Et il faut vraiment alerter les gens pour qu'ils fassent attention. Il y a des listes de généalogistes, il y a les listes des avocats, il y a les listes des notaires. En principe, on ne doit pas pouvoir se faire passer pour un avocat si on n'est pas sur la liste”, souligne Pamela Fritch qui souhaiterait que ces métiers soient “mieux encadrés” en créant par exemple “un ordre des généalogistes, un ordre des médiateurs, et un ordre des agents-transcripteurs”.
 
Une communication à développer aussi au sein même des familles car si la médiation fonctionne assez bien, l'appât du gain est parfois plus fort. “Le prix de la terre a beaucoup augmenté. Du coup, ça attise certaines convoitises”, explique-t-elle encore, insistant sur le fait que l'objectif de l'aide juridictionnelle est de permettre aux Polynésiens d'obtenir leur terre pour leur “permettre de se loger, de loger la famille ; pas de vendre ou spéculer”. Elle en appelle ainsi aux “parents à régler leurs affaires de terre pour ne pas les laisser aux nouvelles générations”.
 
La DAF en manque d'effectifs
 
Autre solution qui permet que tous ces frais liés à la procédure soient gratuits, c'est faire appel à l'aide juridictionnelle à condition toutefois de répondre aux critères de revenus (par exemple moins de 127 000 francs pour une personne seule) et que la demande ne soit pas “manifestement irrecevable”. Mais la DAF est surchargée de demandes et manque cruellement d'effectifs. “Aujourd'hui, on est à 1.300 dossiers pour deux avocats (dont un à Raiatea) et je ne compte que Papeete. Tout est pris en charge et c'est bien mais on n'arrive pas à tout gérer”, a expliqué Pamela Fritch soulignant que l'aide juridictionnelle est financée par le Pays. Les élus de l'assemblée étant présents, c'était aussi l'occasion de leur faire un petit appel du pied :“On est un service administratif donc on s'adresse également au gouvernement qui est sensibilisé aussi sur la question. Et aujourd'hui, j'étais contente de faire part de nos difficultés aux élus de l'assemblée parce qu'on manque d'effectifs”, nous a-t-elle confié.
 
Reste à savoir si cet appel du pied sera entendu à l'approche de l'examen du projet de budget 2026 qui, pourquoi pas, pourrait être amendé afin de donner plus de moyens à cet outil indispensable qu'est la DAF.
 
L'après-midi de ce mardi était consacrée à l'usucapion, autrement dit à la prescription trentenaire, toujours sur le même principe de table ronde et d'ateliers d'échanges. Mercredi, ce sont les problématiques de titrement et d'acquisition d'une propriété qui seront abordées. Les élus se retrouvant en séance plénière ce jeudi pour examiner différents dossiers, la restitution des recommandations issues de ce colloque se tiendra vendredi dans la matinée.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mardi 14 Octobre 2025 à 15:13 | Lu 3146 fois