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Un chirurgien tire la sonnette d'alarme


Tahiti, le 21 mai 2025 – Pour le Dr Anapa Nauta, chirurgien thoracique et vasculaire, l’heure est à la prise de conscience. En effet, le taote attend du ministère de la Santé et du Pays, sourds et muets jusqu'à ce jour, qu'ils se penchent sur la situation délicate et limitante de son domaine d'expertise. Lenteurs administratives, textes de loi désuets ou encore des effectifs sur le départ, les problématiques sont nombreuses et pourraient avoir de graves conséquences pour les patients. 
 
Le taote Nauta s'inquiète. Actuellement l’un des seuls chirurgiens thoraciques et vasculaires du territoire, celui-ci tente, depuis plusieurs mois, de se faire entendre des pouvoirs publics quant à la situation délicate dans laquelle ses rares collègues et lui-même exercent leurs fonctions. Récemment passé du Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) au secteur privé, le chirurgien témoigne : “Lorsque j'étais au CHPF, nous n'étions que deux, donc c'était compliqué de s'organiser en fonction car on opérait chacun un jour sur deux, un week-end sur deux”, explique le Dr Anapa Nauta. “On faisait entre 60 et 70 heures par semaine. De plus, il faut savoir que nos patients, dans notre domaine, sont bien souvent polypathologiques. C'est-à-dire qu'ils se présentent bien souvent avec, en plus, un diabète, une insuffisance rénale ou encore un problème respiratoire à cause du tabac, etc. La prise en charge de certains cas aurait pu être meilleure si nous disposions également d'un médecin généraliste au sein du service, comme cela se fait en Hexagone. Nous en avons eu, mais c'était par période. Le reste du temps, il nous fallait être à la fois au four et au moulin.”  
 
Une atmosphère alourdie par la réalité du bloc opératoire : “C'était infernal”, se souvient le chirurgien qui s'évertue, tant bien que mal, à ne pas accabler le CHPF. “C'est dommage car nous avons les structures et les salles sont bien fournies en matériels. Malheureusement, par manque de personnels, les douze salles disponibles ne sont pas toutes utilisées. Encore récemment, ils n'utilisaient que cinq salles sur douze. Et du temps où j'étais au CHPF, notre service – donc la chirurgie thoracique et vasculaire – disposait uniquement de trois plages opératoires par semaine alors qu’il nécessitait facilement une plage par jour. Du coup, on opérait souvent le soir et le week-end aussi. Puisque nous n'avions jamais de place, les opérations étaient sans cesse reportées.” Une frustration qui a conduit le Dr Anapa Nauta à prendre les devants. “C'est une des raisons qui m'ont poussé à m'orienter vers le privé et les cliniques”, confie ce dernier. “Aujourd'hui, mes deux confrères continuent d'accueillir les patients au CHPF et moi aussi, de mon côté, j'apporte ma contribution en élargissant l'offre de soins. Je dispose à moi seul de trois à quatre plages opératoires par semaine.”
 
Des conventions inadaptées
 
Pour autant, à peine arrivé dans le secteur privé, le chirurgien s'est très vite confronté à des contraintes administratives aux conséquences délicates, voire dangereuses. En effet, les textes en vigueur empêchent le taote d'installer son cabinet dans la très convoitée zone 1, allant de Punaauia à Papeno’o, en raison d'un gel des créations de conventions dans la zone. Une contrainte dénoncée par le chirurgien auprès des autorités compétentes, dont le ministère de tutelle : “J'ai écrit au ministre de la Santé et au président, Moetai Brotherson, pour expliquer ma situation”, affirme le Dr Anapa Nauta. “Rien. Pas de réponse. Seule l'Arass (Agence de régulation de l’action sanitaire et sociale, NDLR) m'a répondu, l'année dernière, lorsque j'ai commencé à faire mes démarches pour pouvoir partir du CHPF, en me disant qu'un texte de loi serait prêt d'ici la fin de l'année et que les commissions d'attribution des conventions auraient lieu l'année prochaine, c'est-à-dire cette année. Aujourd'hui, un an plus tard donc, toujours rien. J'ai dû m'installer à Paea, dans la zone 2, qui couvre certes toute la partie sud de l'île, mais qui m'éloigne surtout des blocs opératoires situés au centre-ville de Papeete. Ce n'est pas optimal pour l'exercice de mes fonctions, d'une part, mais surtout, ce n'est pas sécuritaire pour mes patients.”
 
Et pour cause, en seulement quelques mois, le chirurgien thoracique et vasculaire s'est déjà fait quelques frayeurs : “Un jour, un collègue, anesthésiste, m'appelle et me dit : ‘Il faut absolument que tu viennes. Il y a un patient qui est au bloc et ça ne va pas, il saigne.’ Je suis à Paea, dans mon cabinet de consultation, et il pleut vraiment fort. Du coup, je me dépêche de prendre ma voiture et d'essayer de me rendre à la clinique, mais j'ai dû mettre un peu plus de 45 minutes avant d'y arriver. Nous avons sauvé le patient in extremis. C'est une fin heureuse pour le coup, mais ça peut ne pas toujours se finir de la sorte”, prévient le taote, qui a dû s'adapter depuis. “Aujourd'hui, je suis obligé de retarder certaines de mes interventions, comme le retrait d'un drain ou d'un cathéter par exemple, de peur que ce genre d'anecdote se reproduise. Je ne veux pas opérer si je dois me rendre le même jour à mon cabinet, à Paea, de peur qu'il y ait des complications. Du coup, j'opère le lendemain ou le surlendemain, ce qui a pour conséquence d'augmenter la durée d'hospitalisation, et donc le coût de la prise en charge.”
 
Un avenir flou
 
Inquiet, le chirurgien attend aujourd'hui une réaction du Pays et une dérogation pour lui permettre d'exercer sereinement son métier : “Aujourd'hui, dans le privé, je suis le seul spécialiste dans le domaine. Ce qui veut dire que je n'empièterai sur personne dans la zone 1. Ce n'est pas un traitement de faveur, c'est une demande d'utilité publique dont il est question ici. La situation est dangereuse, j'insiste. On parle de chirurgie lourde.” Et l'inquiétude est d'autant plus grande et pressante chez le chirurgien puisqu'ils ne sont que trois à pratiquer ce type de chirurgie, et l'un d'entre eux part à la retraite au mois de septembre, tandis que l'autre termine également son contrat en septembre. “J'espère qu'ils ont trouvé des personnes pour la suite, et surtout des personnes qui puissent venir et rester”, insiste le Dr Anapa Nauta. “Il faut savoir aussi que des chirurgiens avec la double compétence, thoracique et vasculaire, il n'en sort pas un par an. Il faudra donc songer à scinder les spécialités et donc trouver plus de chirurgiens. Ça sera une vraie problématique. Je ne serai pas capable de tout absorber.”
 
Pour rappel, les personnes concernées par la chirurgie vasculaire ou thoracique sont, dans la plupart des cas, les personnes diabétiques, qui fument, qui ont du cholestérol, qui sont âgées ou dialysées. En somme, un pourcentage non négligeable de la population locale.

Rédigé par Wendy Cowan le Mercredi 21 Mai 2025 à 20:04 | Lu 15296 fois