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Un bon journaliste, ça se jette à l'eau



Éditorial

Un bon journaliste, ça se jette à l'eau… Dimanche après-midi, le député Moetai Brotherson s'est expliqué -dans un long Facebook live- sur sa présence au mariage très décrié du vice-président Tearii Te Moana Alpha, mais aussi sur les raisons de son départ précipité de cet évènement. Le député a notamment affirmé avoir été gêné par ce qu'il a qualifié de mauvaise blague faite par le président du Pays Edouard Fritch dans un discours prononcé devant l'ensemble des convives. Un trait sur la présence de notre journaliste, Vaite Urarii Pambrun, venue interroger les nombreux responsables politiques présents sur l'opportunité d'organiser un tel événement en pleine flambée de la crise sanitaire.
 
"Il a dit qu'il fallait faire attention parce que Vaite était dans le coin. Et que si on la voyait, il fallait la jeter à l'eau", a cité le député, expliquant par la suite que ce qui se voulait être une boutade n'avait pas vraiment fait l'unanimité dans l'auditoire, majorité comprise. Nous n'avons pas à juger de la qualité du trait d'humour. Là n'est pas la question. En revanche, l'occasion est bonne de rappeler pourquoi, au contraire, il était particulièrement important que notre journaliste, qui sait si bien elle-même se jeter à l'eau dans ses Facebook live et dans ses articles au quotidien, soit présente cet après-midi là.
 
Un journaliste ça se jette à l'eau pour s'informer, interroger et s'interroger.
 
S'interroger d'abord sur le fait de savoir s'il était bien indiqué que la quasi-totalité du gouvernement, le contre-amiral et des responsables de divers bords politiques participent à un rassemblement par nature festif, à l'heure où les autorités du Pays et de l'Etat demandaient justement des efforts sur ce type d'évènements pour limiter la propagation de l'épidémie de Delta au fenua. Un journaliste, ça peut aussi immanquablement se jeter à l'eau et faire des erreurs, mais ça les corrige et les explique pour donner l'information la plus juste et la plus fiable possible. Ici, la question était parfaitement légitime. La suite des évènements et la reconnaissance par les intéressés d'un problème d'exemplarité l'a largement démontré.
 
Un journaliste, ça se jette à l'eau ensuite pour s'interroger sur la réalité des règles applicables à ces événements et leur caractère légal ou non, justement pour "replacer les choses dans leur contexte" et éviter que "beaucoup de choses fausses soient dites" pour reprendre les mots du président Edouard Fritch. Un journaliste, ça n'écoute pas les "réactions indignées et les insultes" sur les réseaux sociaux, mais ça recherche les informations précises pour expliquer avec le plus de recul et d'objectivité possible qu'il était légalement autorisé d'organiser un mariage de 300 personnes dans un restaurant respectant le protocole sanitaire en vigueur, mais que la réglementation ne permettait pas de prévoir un orchestre et des animations musicales ou dansantes en raison du risque sanitaire qu'ils représentaient.
 
Un journaliste ça se jette à l'eau et ça s'arme d'un certain courage pour aller parfois au devant des critiques faire son métier du mieux possible. Un journaliste, ça ose, nous le croyons, aller interroger le président ou le vice-président du Pays pour qu'eux-aussi puissent exprimer et expliquer leurs arguments et leurs points de vue, légitimes et attendus, sur les questions les plus délicates. Interrogations restées hélas sans réponses jeudi dernier.
 
Un bon journaliste, ça se jette à l'eau. Nous en sommes certains. Pour faire son travail et apporter "apaisement" et "sérénité" en coupant court aux raccourcis et aux idées manichéennes, en montrant la complexité des sujets et en apportant à nos lecteurs et internautes les clés de compréhension de l'actualité. Pour qu'eux-mêmes puissent s'informer, interroger et s'interroger.
 
Antoine Samoyeau, rédacteur en chef de Tahiti Infos

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 10 Août 2021 à 12:50 | Lu 14068 fois