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Travaux publics à Makemo : une gabegie à 16 millions de Fcfp


"Les aménagements réalisés sont aux antipodes des objectifs poursuivis. M. Maroto est décédé, il manque à ce dossier, c'est lui qui a tiré les marrons du feu", a fait remarquer le parquet à l'audience.
"Les aménagements réalisés sont aux antipodes des objectifs poursuivis. M. Maroto est décédé, il manque à ce dossier, c'est lui qui a tiré les marrons du feu", a fait remarquer le parquet à l'audience.
PAPEETE, le 29 septembre 2015 - Des peines de 3 à 8 mois de prison avec sursis et 1 à 5 millions d'amende ont été requises, ce mardi par le tribunal correctionnel, contre quatre anciens fonctionnaires de la subdivision des Tuamotu-Gambier. Détachés au service de l'Equipement à l'époque des faits qui leur sont reprochés, entre 2009 et 2010 à Makemo, ils avaient été renvoyés en justice des chefs de détournement de fonds publics pour avoir largement dévié de la feuille de route des travaux qu'ils devaient réaliser au profit d'aménagements dictés par un adjoint au maire.

Responsables chacun à leur niveau de la mise en œuvre et de la réalisation de deux projets d'aménagement votés par l'assemblée -la réfection du réseau routier et notamment la portion desservant l'aéroport d'une part, et la construction d'un mur de protection à Marutea Nord d'autre part- l'équipe avait "perdu" ses objectifs en route, au profit de constructions dictées par le premier adjoint au maire de l'époque, Marere Mairoto, décédé depuis.

"On s'est rendu compte que la route de l'aéroport était déjà bitumée" raconte l'un d'eux, qui se défend comme les autres de toute mauvaise intention. "Du coup on nous a dit de bitumer d'autres portions de routes, ce que nous avons fait". "J'avais confiance dans le tavana, il connaissait son atoll", explique pour sa part la responsable des opérations. Affectée au service des routes à la direction de l'Equipement, et censée veiller au respect du cahier des charges, elle s'est rangée aux observations de l'adjoint au maire sans vérifier le caractère privé des routes ainsi refaites et qui desservaient en réalité la propriété de l'élu.

Pareil pour le mur de protection de Marutea Nord, qui n'aura finalement de mur que le nom puisque c'est un débarcadère qui verra en réalité le jour, ouvrage que Marere Mairoto n'avait pas manqué de s'approprier là-encore.

La Polynésie française, partie civile dans cette affaire, a estimé le montant de ces détournements de fonds publics à 16 millions de Fcfp, tout en reconnaissant que les fonctionnaires incriminés avaient sûrement "subi la pression d'un adjoint au maire qui gouvernait son île avec une certaine poigne".

"Les élus des îles ont l'habitude de court-circuiter la hiérarchie"

"C'est fréquent à la subdivision, de réaliser des travaux qui ne sont pas initialement ceux qui ont été prévus ? Qu'on ferme les yeux ?", interroge, faussement naïve, la présidente du tribunal Denise Lacroix. On lui jure que non. "J'ai du mal à vous croire".
D'autant plus que d'autres éléments du dossier sont là pour planter le décor. Les matériaux de construction et outils en rabe après l'achèvement des travaux, bien que propriété du territoire, ont en effet fini dans l'escarcelle du tavana "pour faire ériger des fare pour abriter ses fils" note le parquet. "Les aménagements réalisés sont aux antipodes des objectifs poursuivis. M. Maroto est décédé, il manque à ce dossier, c'est lui qui a tiré les marrons du feu".

Un édile dont il a en effet été beaucoup question hier, tant les protagonistes de ce dossier ont semblé agir entre confiance et soumission à son autorité. "Les élus des îles ont l'habitude de court-circuiter la hiérarchie à l'Equipement" relève l'avocat d'un des deux chefs de chantier, qu'il considère comme un simple exécutant dans cette affaire. "On lui dit de faire un débarcadère, il fait un débarcadère. On ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir lu les autorisations de programme". Pareil pour le second, "qui n'avait pas les moyens de savoir quelle portion de route était publique ou privée".

La fonctionnaire qui devait le savoir, elle, chargée de superviser les travaux, a admis une certaine négligence mais s'est défendue en précisant qu'elle ne passait pas son temps sur tous les chantiers, et qu'elle avait été mise devant le fait accompli. "Le maire impose souvent sa vision des choses au personnel détaché, spécialement dans les îles éloignées, elle a suivi les indications du maire et les exécutants ont bétonné", s'est défendu son avocat.

"C'est la petite chaîne du désordre, un échantillon de ce qu'il se passe dans les îles éloignées", relève l'avocat d'un autre responsable. "Le tavana, c'est à lui qu'on demande. Il y a eu pression du maire et les fonctionnaires ont lâché, il y a des règles d'usage à ne pas enfreindre pour ne pas être mis à l'écart du circuit, du tableau d'avancement". "On connait le poids politique des îliens à l'assemblée où dans les administrations…", abonde l'avocat du fonctionnaire superviseur.

A noter qu'à part une caisse de dix kilos de langoustes qui serait arrivée fortuitement dans les mains de l'un des deux chefs de chantier, l'enquête n'a révélée aucune contrepartie dans ces réalisations qui ont bénéficié à l'élu aujourd'hui décédé.
Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 24 novembre.

Rédigé par Raphaël Pierre le Mardi 29 Septembre 2015 à 17:24 | Lu 2496 fois