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Taputapuātea et ses marchés épinglés par la CTC


Tahiti, le 14 octobre 2021 - La Chambre territoriale des comptes (CTC) vient de rendre public son rapport sur la gestion de la commune de Taputapuatea entre 2015 et 2020. Une commune à la situation financière dégradée, très dépendante des subventions et des dotations du Pays et de l’État et qui a de grosses lacunes dans la gestion.

A première lecture, le rapport de la CTC sur la gestion de la commune de Taputapuatea, dirigée par le représentant Thomas Moutame depuis 1997, ressemble à bien des égards à ceux récemment rendus publics concernant d’autres communes. La juridiction n’y manque en effet pas d’utiliser la formule “à l’instar de nombreuses communes polynésiennes” pour évoquer des finances tendues. A Taputapuatea, la CTC constate ainsi une “dégradation marquée de sa situation financière” avec notamment des charges de personnel qui augmentent inexorablement. Elle insiste de la même manière sur la forte dépendance de la collectivité, dirigée par le tāvana ex-Tahoeraa devenu Tapura à quelques jours des dernières élections territoriales, avec les subventions et dotations que versent l’État et le Pays. Elles représentent en effet 70% de ces produits de gestion. Niveau trésorerie, les constats opérés par la juridiction restent également dans les standards polynésiens avec des “tensions récurrentes”. Un diagnostic qui conduit les magistrats à recommander à l’édile la mise en d’un plan de trésorerie prévisionnel dès 2021.
 
Impasse sur l’inventaire et la gestion des stocks

Reste que, au-delà de ces observations classiques, la gestion de la commune comporte quelques spécificités moutamiennes. La Chambre constate ainsi l’absence de mise en place des outils classiques de gestion comptable. Si la commune dispose bien de 4,5 milliards d’actifs, difficile de savoir ce que cela recouvre. La CTC a donc demandé un inventaire communal. Si un document a bien été produit aux magistrats par le maire, la CTC se montre nettement plus exigeante, “ce document ne constitue pas un inventaire” car il n’y a ni pointage physique, ni numéro. L’inventaire à la Moutame ressemble à un inventaire à la Prévert. L’obligation comptable est quelque peu occultée ou bâclée et ceci ne permet pas d’assurer un bon suivi des stocks notamment dans les ateliers municipaux où une absence totale de contrôle, génératrice de risques, est constatée. Ce suivi permettrait de fiabiliser les comptes et de mieux piloter les investissements. Or, là encore, la commune affiche des carences avec des taux de réalisation très faibles. De quoi conduire la juridiction à recommander la mise en place d’un inventaire et d’un plan pluriannuel d’investissement au plus tôt.
 
Grosses fuites, faible potabilité

Au niveau des services publics environnementaux, passés systématiquement en revue par la juridiction financière, cette dernière souligne les avancées de la commune en matière de traitement des déchets verts avec notamment une plateforme de compostage, livrant du compost gratuit pour certains agriculteurs, le coût supporté devrait être mutualisé avec les autres communes de l’île. Le service de l’assainissement est quant à lui aux abonnés absents mais c’est surtout sur les “mauvaises performances” du réseau d’eau potable que la juridiction s’attarde longuement. Le réseau est en effet relativement récent mais il y est constaté des rendements très faibles. Sur la zone d’Haapapara, pour 1 000 litres envoyés dans les tuyaux, seuls 180 arrivent à destination. Difficilement compréhensible sauf à penser à des problèmes de conception. Deux versions s’affrontent. Les défauts de pose des conduites à l’origine de ces fuites seraient l’œuvre des agents de la commune selon le responsable du service mais des entreprises selon le tāvana. A ne plus savoir quelle conduite tenir…

Niveau potabilité, moins de contestation. Si le taux de potabilité progresse, il est désormais inférieur à celui des deux autres communes de l’île, Uturoa et Tumaraa, qui ont atteint 100% en la matière. Celui de Taputapuatea oscille entre 70 et 91% avec cependant un nombre insuffisant d’autocontrôles, la fréquence d’analyse n’étant pas respectée. Très perfectible, le service est de surcroit financièrement déséquilibré avant même la réalisation nécessaire de gros investissements. Le tarif actuel de 20 Fcfp le m3 pour la première tranche est somme toute éloigné de celui de 40 Fcfp permettant l’équilibre du budget. Et la CTC de recommander logiquement l’augmentation du tarif de l’eau avant de boire la tasse.
 

​Marchés publics : Entre ombres et gabegie

Dans son rapport, la CTC a disséqué plusieurs marchés d’importance lancés par la commune depuis 2015. Quatre exemples ressortent particulièrement du lot avec une certaine conception de l’utilisation des fonds publics et de la gestion de projets. De quoi inscrire Taputapuatea au patrimoine local de la CTC.
 
  • Fare pote’e, panier percé
La commune souhaite réaliser deux fare pote’e pour améliorer les conditions d’accueil des bateaux à vocation touristique et développer le tourisme nautique. Projet louable mais qui, selon la CTC, “ne s’inscrit pas dans les compétences de la commune, le tourisme étant une compétence relevant du Pays”. Rien n’arrête le tāvana qui a vu quelques homologues des îles Sous-le-Vent faire de même pour attirer les voiliers. Les petites structures, d’un coût de 3,3 millions de Fcfp, voient ainsi le jour sans que l’on sache vraiment encore pourquoi. A la lecture du rapport, elles sont en effet à l’abandon. Selon la juridiction, “l’utilité pour la population reste à démontrer, non seulement en l’absence de concrétisation du développement du tourisme nautique sur la commune (…), mais également compte tenu de l’inutilisation de ces deux constructions à d’autres fins”. Un projet qui n’a donc pas mis dans le mille nautique.
 
  • Les compteurs cantonnés
Plus coûteux, le marché d’acquisition des compteurs d’eau, avec paiement de cartes prépayées, lancé en juin 2015 et attribué pour 13,5 millions de Fcfp est aussi nettement plus cocasse… La CTC relève ainsi que lors d’une réunion avec le fournisseur Tura Ora dans le cadre d’une vérification de la réalisation du marché, “il a été mis en évidence que le logiciel était en chinois et que les compteurs ne pouvaient donc pas être utilisés”. Un problème de taille qui n’a étonnamment pas entamé la confiance de la collectivité envers l’entreprise puisque “malgré ce dysfonctionnement, la commune a réglé l’intégralité de ce marché (…) et a prononcé la réception sans réserve”. Les magistrats constatent l’immobilisme de la commune à faire valoir ses droits après avoir payé les yeux fermés. Elle “n’a pas transmis un mémoire en réclamation et aucune notice d’explication n’a été demandée (ni fournie).  Selon la commune, “cette notice devait être envoyée après la formation des agents sur le logiciel d’exploitation du système de recharge de crédits. Cette formation n’est jamais intervenue vu que le logiciel fourni était en chinois et que la lecture des cartes prépayées était impossibleLa municipalité a certes envoyé quelques courriers en recommandé au fournisseur mais “ce dernier n’est pas allé récupérer”. Et le rapport de conclure que “plus de cinq années après leur fourniture, ces compteurs ont été livrés mais ne sont pas utilisés. Ils sont selon la commune dans les ateliers et toujours sous emballage”. Une affaire nébuleuse qui ne manquera probablement pas d’intéresser le Parquet de Papeete.

Le ridicule ne tue pas, il fait même des petits. Pour financer cette opération, l’État a versé à Taputapuatea une subvention de 6,2 millions de Fcfp. Une aide qui, compte tenu de la situation ubuesque, devrait être remboursée. Mais l’arrêté précise que la subvention est justifiée par l’acquisition des compteurs et non leur mise en service. La commune n’a donc même pas à rembourser la somme consacrée pour conserver religieusement des équipements inutiles dans leur emballage d’origine. Une subtilité sémantique qui avait échappé aux services du haut-commissariat qui a réagi. A l’avenir, afin d’améliorer ses contrôles, “la mise en exploitation effective des ouvrages financés (…) constituera un engagement à tenir pour la commune bénéficiaire”.
 
  • Circuits courts, pris de court
Ex-ministre de l’Agriculture, actuel président de la Chambre de l’agriculture et de la Pêche lagonaire, le maire de Taputapuatea “mène une politique volontariste en matière d’alimentation saine et biologique dans les cantines scolaires” avec notamment la possibilité de favoriser les circuits courts ou l’agriculture raisonnée. Un cheval de bataille qui nécessite une exemplarité de chaque instant sur le sujet. De surcroit, pour attribuer les marchés d’approvisionnement pour la restauration scolaire, le nouveau code des marchés prévoient désormais la possibilité de recourir à des critères de “performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture” et de “délais de livraison”, critères censés encore plus favoriser les producteurs locaux de proximité.

C’est alors que la CTC a décortiqué les marchés 2019 et 2020 pour constater qu'il y a les paroles et les faits. Et les méfaits du nouveau texte. “La commune n’a pas utilisé tous les leviers possibles offerts par le Code” puisqu’aucun critère de sélection des offres ne fait référence au développement des approvisionnements directs et aux circuits courts. Conséquence, “la plupart des lots ont été attribués à des grands groupes et non à des petits producteurs locaux ou à la coopérative de Taputapuatea”. Cette dernière a ainsi préféré ne pas répondre au lot “légumes locaux”. La commune a en effet surestimé ses besoins en matière de denrées alimentaires et “ceci a (…) pu contribuer à dissuader des producteurs locaux ou la coopérative de répondre à certains lots”. La Chambre conseille à l’ex-ministre de l’Agriculture de mener des actions d’accompagnement des producteurs locaux et de la coopérative, “afin d’expliciter les attentes de la collectivité”…
 
  • Plus d’ombres que d’ombrières
Enfin, la commune s’est également lancée dans un projet de d’exploitation “agrisolaire”, associant cultures agricoles et panneaux photovoltaïques sur une site de trois hectares. Problème : Le marché est lancé et attribué alors qu’elle n’est ni propriétaire du terrain, ni même locataire. Une “source de complexité” importante pour ce projet novateur mais qui n’a pas entamé la volonté de la mairie “de faire avancer le dossier”. Une signature de bail emphytéotique administratif (BEA) est prévue avec l’OPH, propriétaire du terrain mais les dispositions réglementant les BEA ne sont pas applicables en Polynésie. Le bail signé, il comprend une clause interdisant toute autre activité, notamment commerciale, hormis la revente de l’électricité solaire. Une rédaction peu compatible, selon la CTC, avec la commercialisation de la vanille par la future SEM qui doit s’y installer. Or, nouveau problème juridique, l’éventuelle création d’une SEM communale pour cette activité commerciale “nécessite selon le Pays, au regard du cadre législatif et réglementaire en vigueur, l’intervention d’une loi de Pays”. Un texte qui manque, un parmi d’autres. Le tarif de rachat de l’électricité produite, applicable à ce projet, n’a pas non plus été arrêté par le Pays. Beaucoup plus de zones d’ombres que d’ombrières.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Jeudi 14 Octobre 2021 à 20:52 | Lu 8693 fois