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Tahiti barricadée face au Covid-19


Tahiti, le 16 mars 2020 - Le haut-commissaire Dominique Sorain et le président Édouard Fritch ont annoncé lundi une série de mesures fortes destinées à renforcer la protection sanitaire face au risque de propagation en Polynésie française du coronavirus Covid-19. 

Tout s’est accéléré depuis mercredi 11 mars. La découverte à Tahiti d’un premier cas avéré de contamination au Covid-19, puis le lendemain de deux nouveaux malades atteints par ce coronavirus a donné corps à une menace que tout le monde redoutait au fenua depuis fin janvier. 

Le discours au ton martial prononcé lundi à Paris par le président de la République a fini de convaincre les autorités locales de prendre des mesures encore plus restrictives pour faire barrière à une contamination locale. L’Hexagone compte lundi 6 633 cas et 148 décès. Le confinement est décrété à compter de mardi en France, où 100 000 policiers sont mobilisés pour contrôler les allers et venues de chacun, tandis que les frontières extérieures de l’espace Schengen se ferment à toute personne autre que les ressortissants d’un des pays de l’Union européenne. Très vite, en fin de matinée, la ministre des Outre-mers a posté un Tweet dans lequel elle annonce que les "territoires compétents en matière de santé publique, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, seront consultés pour la mise en place des mesures" de confinement décidées quelques heures auparavant par de le chef de l’État.

Des mesures sans précédent

À la mi-journée, une conférence de presse conjointe a été organisée en urgence par les autorités de l’État et du Pays pour annoncer des mesures sans précédent visant à faire barrière à l’entrée en Polynésie d’un nouveau malade atteint du Covid-19 et freiner la propagation sur place de ce virus (voir encadrés). Depuis jeudi dernier, le poste de crise du Haut-commissariat (PCHC) se réunit quotidiennement en présence des autorités de l’État, de la protection civile, et sanitaires du Pays pour envisager la réponse la mieux adaptée à la menace coronavirus. Tous les congés demandés par le personnel de santé sont refusés, à l'exception de ceux qui ne peuvent être reportés, comme les congés maternité ou pour cause de décès dans la famille. Le système de santé est mobilisé et mobilisable en cas de besoin. Mais il présente des limites qui pourraient être atteintes rapidement, compte tenu de sa capacité d’accueil et des faiblesses en matière d’équipement de réanimation, notamment dans les îles. 

L’évolution exponentielle du nombre de malades observée en Métropole, après l’Italie et tous les pays qui ont tardé à ordonner des mesures strictes pour endiguer la propagation du virus, a visiblement convaincu la Polynésie française à prendre les devants. Il s’agit pour les autorités de mettre à profit le décalage de trois semaines avec la France pour anticiper la réponse à la menace et freiner la propagation sur le territoire de ce virus, rappelons-le, deux à trois fois plus contagieux que celui de la grippe et statistiquement douze fois plus mortel.

"Ce virus qui n’a pas de frontière"

Pour l’instant, tous les voyageurs entrants au fenua sont soumis à un contrôle sanitaire systématique à l’accueil des arrivées internationales. Depuis mi-février, les autorisations de travail sont suspendues pour les ressortissants étrangers qui ont séjourné dans des zones à risque, ce qui a permis d’annuler leurs titres de séjour. Des enquêtes sanitaires poussées sont systématiquement mises en place autour des cas confirmés. Toute activité de croisière est suspendue depuis le 11 mars. Mais depuis lundi 16 mars, la cloche de verre du confinement s’abaisse dorénavant sur le fenua.

"Nous devons coûte que coûte devancer cette épidémie", a exhorté le haut-commissaire Dominique Sorain, lundi matin, tandis que le président Fritch a déploré "que nous ne sommes pas épargnés par ce virus qui n’a pas de frontière"

Fermeture des établissements scolaires

La mesure était attendue. Elle sera mise en œuvre dès mercredi 18 mars. Les écoles, les collèges et lycées de même que l’université, seront fermés à compter de mercredi 18 mars après-midi. "Il est évident qu’il nous faut un peu de temps pour organiser cette fermeture, autant pour les enseignants que pour les parents de nos enfants", a expliqué Édouard Fritch pour justifier ce délai de 36 heures. 

Dans le cadre de cette mesure, les vacances scolaires de Pâques sont avancées d’une semaine et dureront en conséquence trois semaines, cette année. 

La président Fritch en appelle à "la responsabilité de tous" pour que cette période de trois semaines soit dédiée à garder les enfants "en confinement à la maison" : "Il ne s’agit pas de les laisser partir dans la nature. Cette décision est prise pour que nous puissions protéger nos enfants."

Le haut-commissaire a invité tout le monde à limiter ses déplacements au strict nécessaire. "On ne se déplace que si on a un impératif pour le faire", a-t-il exhorté en proposant d’éviter pour l’instant "les déplacements de loisir".

Dans un communiqué diffusé dans la journée, le syndicat enseignant FNEC FP affilé à l’antenne locale de la centrale Force ouvrière (FO) estime pour sa part qu’"il y a urgence" à fermer les écoles maternelles et élémentaires dès mardi 17 mars. En revanche, le syndicat suggère pour les collégiens et lycéens, les cours soient remplacés "par des moments d’échanges avec les élèves autour de la problématique Covid-19. Il s’agit de répondre à leurs interrogations et de les informer, dans une démarche éducative. Afin de les sensibiliser sur la solidarité et les précautions à prendre vis-à-vis des personnes fragiles et de les préparer aux mesures d’isolement".

Confinement imposé à l’arrivée en Polynésie

Autre mesure forte annoncée lundi : tous les passagers en provenance de l’extérieur seront dorénavant placés à l’isolement pendant deux semaines. Les personnes originaires du fenua ou ayant de la famille sur place seront placées en quatorzaine à domicile. Les autres, seront mis au confinement pendant 14 jours dans des "structures dédiées"

Cette mesure sera mise en œuvre à partir de 6 heures, ce mardi 17 mars et ce jusqu’au mardi 31 mars 2020 inclus, nous indique-t-on. A cette date les autorités décideront de son éventuelle reconduction.

Selon les informations que nous avons pu recueillir lundi, les "structures dédiées" évoquées dans le cadre de cette mesure sont des "unités d’hébergement" appartenant à la Polynésie française. "Il sera indispensable de respecter cette quatorzaine. C’est la condition de notre protection", a déclaré Édouard Fritch en évoquant, à l’attention des passagers originaires de Polynésie "un geste citoyen. (…) Il en va de notre santé à tous"

Les îles fermées aux touristes

Autre mesure concertée entre l’État et le Pays : le renvoi "dans les meilleures conditions possibles" de tous les touristes actuellement présents en Polynésie. Édouard Fritch s’est engagé lundi à réunir "les compagnies aériennes et l’ensemble des professionnels du tourisme" pour ce faire sans donner de délai pour l’accomplissement de cette mesure. 
Mais dans ce cadre, afin de "protéger la population dans les îles", il est également décidé de limiter les déplacements dans les îles "aux seuls motifs familiaux et professionnels", jusqu'au mardi 31 mars pour l'instant. Les voyageurs actuellement dans les îles (hors Tahiti) peuvent poursuivre leur séjour, cependant si leur itinéraire les fait repasser par l'île de Tahiti ils ne seront plus autorisés à repartir dans les îles.

Cette mesure pourra être adaptée dans le temps en fonction de la situation, a précisé le président de la collectivité. Pour l’heure, il avoue aussi que les structures médicales présentes dans les îles ne sont pas conçues pour une réponse sanitaire adéquate en cas de propagation du coronavirus.

Les rassemblements limités

Le haut-commissaire a déclaré lundi que les rassemblements de plus de 100 personnes sont désormais interdits. Les représentants des confessions religieuses doivent d’ailleurs être reçus prochainement par le haut-commissaire pour participer pleinement à la mise en œuvre de cette mesure lors des cultes ou des réunions religieuses. 

Autre mesure, à caractère civil cette fois : la capacité d’accueil des établissements recevant du public (hôtels, restaurants, cinémas, etc.) a été limitée dès lundi à 50% de la capacité théorique précisée dans leur autorisation administrative. 

Ces mesures sont justifiées "de façon à éviter toute situation d’entassement" propice à la circulation du virus. 

​Trois cas dont "deux" importés

"À ce jour et à cette heure, je vous confirme que nous restons à trois cas confirmés", a indiqué le président Édouard Fritch, lundi, en soulignant que deux d’entre eux sont importés. Une nouveauté. Jusqu’à présent, l’information officiellement donnée par les services du Haut-commissariat et du Pays faisait état de trois cas dont un importé, celui de la députée Maina Sage testée positive en début de semaine dernière. Le malade suisse actuellement en réanimation à l’hôpital du Taaone serait donc ce deuxième cas importé. 

À son propos, le président Fritch a expliqué lundi que les tests réalisés sur toutes les sujets contacts qui étaient entrées en relation avec lui sont revenus négatifs. Ces tests ont été faits sur l’équipage, les amis qui étaient à bord du bateau sur lequel a séjourné le malade suisse diagnostiqué jeudi 12 mars. Le navire avait transité par Faaite, Niau avant de mouiller à Fakarava d’où le patient avait dû être évasané. Le personnel médical qui l’a pris en charge lors de son évacuation a été testé négativement. Les résultats sont connus depuis lundi matin.


Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 16 Mars 2020 à 18:51 | Lu 7179 fois