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Tabac : le fléau grandit


Tahiti, le 30 novembre 2022 - À l'occasion de la publication d'un rapport de mission de l'Institut national du cancer sur la lutte contre les cancers en Polynésie française, Tahiti Infos s'est intéressé plus particulièrement à la problématique du tabagisme au fenua. Si des efforts sont faits en matière de prévention, ils restent insuffisants au regard des chiffres qui ne cessent d'augmenter.
 
L'Institut national du cancer (INCa) a publié, le 21 novembre, un rapport de mission sur la lutte contre les cancers en Polynésie française et son accompagnement opérationnel. Un rapport adressé au président de la République, Emmanuel Macron, qu'il avait commandé lors de sa visite en Polynésie en juillet 2021. La mission a été conduite par l'INCa, avec des représentants du centre hospitalier universitaire de Bordeaux et Unicancer, la Fédération nationale de lutte contre le cancer, qui se sont rendus au fenua début décembre 2021. À l'occasion de ce rapport, Tahiti Infos s'intéresse à la question du tabagisme en Polynésie.
 
On compte plus de 70 000 fumeurs en Polynésie. Selon le rapport, la prévalence du tabagisme est passée de 36,2% à 41% en quinze ans, avec 34,1% de fumeurs quotidiens. Et il souligne que le tabagisme a quasiment doublé chez les jeunes qui fument davantage que leurs aînés et chez qui l'expérience du tabac commence de plus en plus tôt. Quant aux femmes, elles fument plus (43,6%) que les hommes (38,5%). Et le rapport souligne que “comparé aux autres territoires du Pacifique, le taux de fumeurs polynésiens est parmi les plus élevés pour les femmes”. Au mois de mars, le ministre de la Santé, Jacques Raynal, avait d'ailleurs fait part de son inquiétude lors d'une communication en conseil des ministres. L'Institut de la statistique avait en effet relevé que les importations de produits du tabac avaient bondi de 130% depuis 2015 sur le territoire et qu'on observait, parallèlement, une augmentation importante des produits de vapotage.
 
En termes de cancers, celui du poumon, dont l'une des causes principales est le tabagisme, fait partie des plus importants, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. En 2017, les affections pulmonaires touchaient plus de 6 500 personnes et se plaçaient en troisième position des "longues maladies" (16,1%), derrière l'hypertension artérielle (à laquelle le tabagisme contribue également) et le diabète. Cependant, l'incidence des cancers, toutes pathologies confondues, apparaît “nettement inférieure à celle de la métropole”, notamment chez les hommes (249 cas pour 100 000 personnes par an en 2016 contre 330,2 en métropole en 2018, et chez les femmes dans une moindre mesure (266 cas pour 100 000 personnes par an en 2016 contre 274 en métropole en 2018). L'INCa souligne également que l'incidence est inférieure à celle de la population des Maori de Nouvelle-Zélande, “population la plus proche de celle de Polynésie française”, et à celle des Hawaiiens de Hawaii.

La prévention, 3% des dépenses de santé

Si les chiffres sont inquiétants, un est peut-être trop faible. C'est celui de la prévention institutionnelle qui représente seulement 3% des dépenses de santé. Cela “marque vraiment le fait que la prévention n'est pas une réelle priorité”, indique l'Institut national du cancer, même s'il souligne que “cette part réduite n'est pas propre à la Polynésie française”.
 
L'INCa note néanmoins des efforts faits par le Pays en matière de prévention et de lutte contre le tabagisme. Tout d'abord, la Polynésie est le premier pays du Pacifique à avoir adopté, en 1982, une réglementation propre à son territoire avec une délibération portant sur l'organisation de la lutte contre le tabagisme. “Depuis, cette législation a été régulièrement renforcée, y compris par une augmentation des prix”, souligne le rapport. Deux ans plus tard, le Centre de prévention et de soins des addictions a été créé, proposant notamment des accompagnements au sevrage tabagique. Un programme de lutte contre le tabac existe depuis 2003 avec divers moyens d'action, comme des campagnes d'information et de sensibilisation, des programmes d'aide au sevrage ou des hausses du prix du tabac. Si la mission souligne “la volonté réelle de s'attaquer aux principaux facteurs de risque, l'existence de programmes sur le sujet et des initiatives intéressantes”, elle considère néanmoins “nécessaire de renforcer le dispositif mis en place”. Elle recommande notamment, entre autres, d'agir encore plus sur les prix et d'encadrer les lieux de vente. Car si la Polynésie s'est fixé l'objectif de “réduire le tabagisme de 10%”, force est de constater, chiffres à l'appui, que la tendance va dans le sens contraire.

Recommandations

Le rapport de la mission de l'Institut du cancer note que les “Polynésiens ont une relation particulière à la santé, très marquée par une distance importante qui les conduit à n'y porter attention qu'une fois malades et pas avant d'être 'incapables d'aller travailler'”. Aussi, la mission recommande au Pays de renforcer son action en matière de lutte contre le tabagisme, notamment en agissant sur les prix, en encadrant les lieux de vente ainsi que les normes de qualité.
Elle recommande également d'adopter un programme de lutte qui “poserait l'objectif d'une Polynésie sans tabac”. Celui-ci pourrait, selon le rapport :
- fixer un objectif de dénormalisation totale du tabac, en mettant aussi en avant l’effet polluant très fort du tabac, et la dimension éthique ;
- renforcer les actions de communication et leur impact ;
- encadrer les lieux de vente, en particulier la vente en supermarché ;
- tenir compte de normes sur la qualité des produits commercialisés ;
- étendre les espaces sans tabac, en particulier concernant les établissements publics ;
- rendre l’accompagnement au sevrage plus accessible en associant les médecins généralistes et le CHPF ;
- rembourser les substituts nicotiniques, jusqu’ici pris en charge seulement dans le centre de santé financé par la Direction de la santé ;
- évaluer la mise en œuvre du mois sans tabac ;
- expérimenter la transférabilité de l’opération Tabado déployée en métropole au profit des adolescents et jeunes adultes fumeurs ;
- mettre en place un fonds financé par les recettes fiscales liées à la consommation du tabac ;
- mettre en place un comité de pilotage opérationnel ad hoc au niveau interministériel, sous la présidence du ministère de la Santé ;
- établir un rapport annuel de mise en œuvre du plan.

Se faire accompagner pour arrêter de fumer

Le tabac, drogue légale, fait partie des addictions les plus répandues avec l'alcool. Le Centre de prévention et de soin des addictions propose un accompagnement au sevrage, avec des consultations anonymes et gratuites.
Adresse : Direction de la santé, rue des Poilus tahitiens, à Papeete
Horaires de consultations : du lundi au jeudi, de 7h30 à 15h30, et le vendredi de 7h30 à 14h30
Tél. : 40 46 00 67
Mail : [email protected]

Soleil et alcool, deux problématiques importantes

Dans son rapport sur la lutte contre les cancers en Polynésie française, l'Institut national du cancer évoque également l'alcool, qui peut être notamment à l'origine de cancers des voies digestives, de l'œsophage, du foie, du sein et colorectaux, ainsi que les risques liés au soleil.

Tout comme le tabac, la consommation d'alcool en Polynésie est elle aussi fortement en hausse. Elle a doublé entre 1995 et 2010, où elle atteint 66,8% de la population générale, note le rapport. Parmi les buveurs d'alcool, 22,9% sont des consommateurs réguliers et 73% occasionnels. La consommation moyenne en une occasion est de 10,8 verres standards (données de 2013). Contrairement au tabac, ce sont les hommes qui sont les plus concernés. L'INCa souligne que par rapport aux autres territoires du Pacifique, la Polynésie a une consommation d'alcool parmi les plus élevées. Et si les jeunes semblent consommer “moins fréquemment des boissons alcoolisées qu'en métropole”, ils le font “de manière plus excessive”.

Autre problématique importante, notamment sous nos latitudes, l'exposition au soleil. L'INCa note que les Polynésiens “ne se protègent pas particulièrement du risque solaire, alors que leur exposition est importante”. Une trop forte exposition au soleil peut notamment entraîner des cancers de la peau. L'institut recommande de concevoir et déployer des actions de lutte contre le risque solaire, “jusqu'ici inexistantes dans la politique de lutte contre les cancers de la Polynésie”.

Rédigé par Anne-Laure Guffroy le Mercredi 30 Novembre 2022 à 17:26 | Lu 2212 fois