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Sur les routes entre France et Espagne, le trafic de cocaïne en plein boom


Pascal GUYOT / AFP
Pascal GUYOT / AFP
Narbonne, France | AFP | vendredi 03/07/2025 - Sur l'autoroute longeant le littoral méditerranéen, les douaniers de Narbonne rabattent, sirènes hurlantes, des véhicules suspects à la recherche de trafiquants de cocaïne qui empruntent toujours davantage cet axe majeur par lequel transitent les deux tiers des stupéfiants entre Espagne et France.

"A chaque prise de service, on espère en trouver", explique à l'AFP Julien Estrampes, adjoint au chef de la brigade des douanes de Narbonne. "Il y a quelques années, si on faisait quinze kilos de cocaïne sur l'année, c'était le bout du monde." 

Désormais, les quantités saisies explosent sur la route d'Espagne. "On est au-delà de 1.000%" de hausse, souligne le directeur régional des douanes de Perpignan, David Cugnetti, selon lequel la frontière terrestre est devenue la "troisième voie de pénétration de la cocaïne après les ports et les aéroports".

Selon un comptage de l'AFP à partir de chiffres des douanes, de la gendarmerie et de la police, 400 kilos de cocaïne ont été saisis en 2023, 495 en 2024, et déjà 545 sur les deux premiers mois de 2025. 

La nouvelle route de la cocaïne est déjà très prisée des trafiquants. Entre 65 et 68% des stupéfiants qui rentrent en France transitent par là, selon l'ex procureur de la République de Perpignan, Jean-David Cavaillé. Avec une prédominance du cannabis.

- "Contrôles des ports" -

"La cocaïne, c'est pas tous les jours, c'est pas comme la cueillette de champignons", lâche Laurent, au volant de son véhicule des douanes qui fait une pointe à 220 km/h sur l'A9. 

Ce douanier, qui tient à taire son nom, a participé à la saisie récente de 56 kilos de cocaïne dans un fourgon immatriculé en Pologne. La poudre blanche, "à 85% pure", était dissimulée dans un double plancher de la couchette, que l'AFP a pu voir. Le camion roulait sur l'autoroute en direction de l'Allemagne.

C'est sur cet "axe majeur des trafiquants" qui relie la frontière à la vallée du Rhône qu'ont eu lieu les dernières saisies. Les 37 douaniers de Narbonne, qui en ont effectué plusieurs, le sillonnent quotidiennement avec leurs chiens, ainsi que le réseau secondaire. 

Le mois dernier, Fanny, douanière qui reste également anonyme, a arrêté sur la route nationale une voiture immatriculée en Bretagne. Sa conductrice, "très fébrile" et "confuse", "tremblait énormément" quand le chien est passé dans l'habitacle, se souvient la cheffe d'équipe. "On est rentré à la brigade et on a démonté la voiture: la cocaïne était dissimulée dans les portières." 7,5 kilos, conclut-elle, précisant que le compagnon albanais de l'interpellée était impliqué dans le trafic de drogue.

"Faire passer de la coke par une voiture, ça ne se voyait pas avant. Maintenant, ça se fait", explique à l'AFP Patrick Léonard, chef du service interdépartemental de la PJ de Toulouse, dont les hommes ont saisi près de 400 kilos. 

Car les ports du Havre, de Dunkerque, mais aussi de Rotterdam et d'Anvers "font l'objet de contrôles plus serrés, du coup les trafiquants choisissent d'autres ports", comme celui de Barcelone, ajoute le chef de l'OFAST de Toulouse, sous couvert d'anonymat.

M. Estrampes "pense que c'est à cause de la politique nord-américaine qui a blindé ses frontières que les cartels mexicains ont cherché de nouveaux marchés".

- Caches inventives -

Sur le parking des trophées des douanes, au milieu des herbes hautes, une quinzaine de véhicules avec des caches toutes plus inventives les unes que les autres: un espace dans la garniture des roues, un caisson aménagé dans le parechoc arrière, un plancher encombré... "Si on trouve quelque chose, on désosse complètement le véhicule", explique M. Estrampes. A la disqueuse parfois, ils vont mettre au jour plusieurs caches que le chien n'a pas marquées.

Parmi les véhicules ainsi désossés, l'AFP observe une majorité d'immatriculations étrangères, beaucoup en Allemagne. C'est un des critères que retiennent les douaniers pour rabattre un fourgon immatriculé à Dortmund ou une Clio avec une plaque roumaine. Mais pas seulement. "On travaille beaucoup au ressenti", explique Marie, deuxième adjointe de la brigade, qui ne livrera pas plus son nom que les critères de choix de la prochaine voiture qu'ils arrêteront.

Elle évoque seulement le nombre de personnes à bord, le modèle et l'état des véhicules, parfois même leur couleur, le comportement du chauffeur, l'allure avec laquelle il roule mais aussi sa "fébrilité" ou au contraire sa "désinvolture" lorsqu'il est interrogé.

- "Coopération transfrontalière" -

Et puis, il y a le renseignement. "Nous avons toute une série d'échanges et de proximité avec les autorités espagnoles sur un spectre très large qui va de la connaissance de ce qui se passe globalement jusqu'à des opérations plus fines liées à l’appréhension d'un véhicule suspect", déclare M. Cugnetti. En plusieurs points de la frontière et du littoral, les forces de l'ordre françaises partagent leurs informations avec la Garde civile espagnole.

Comme au Centre de coopération policière et douanière (CCPD) de Melles-Pont-du-Roy, où Français et Espagnols mutualisent leurs renseignements et supervisent des opérations conjointes sur les petites routes de montagne. 

Les gendarmes à bord de motos et voitures banalisées rabattent les camions qui ont pu être signalés par le renseignement espagnol, sur le parking face au CCPD, où ils sont fouillés.

"Nous pouvons avoir du passage de cocaïne. Nous sommes là pour le déceler et donc pour le traquer", déclare le colonel de gendarmerie Stéphane Dallongeville. "Nous tenons le terrain pour lutter et, à minima, pour prévenir le trafic."

D'où l'importance "d'identifier les routes de passage pour déstabiliser ceux qui testent des routes avec des petites quantités pour ensuite faire passer des grosses quantités", assure à l'AFP le général Thibaut Lagrange, commandant de la région de gendarmerie, insistant sur la "coopération transfrontalière très marquée" en Occitanie.

"Quand vous êtes routier et que vous êtes sur des routes tout le temps, on vous propose de temps en temps un petit billet pour que dans le fond de votre cabine, vous remontiez un kilo", dit-il. "Sur un 38 tonnes, c'est discret" mais "vous aidez les gros trafiquants à tester des routes où on ne nous attend pas".

Rédigé par RB le Jeudi 3 Juillet 2025 à 23:22 | Lu 429 fois