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Rowena Nouveau : "Handicapée, mais tellement plus encore"


TAHITI, le 25 juin 2020 - Sur la page Facebook "Vivre Son Handicap en Polynésie" qu’elle a créée et qu’elle anime, Rowena Nouveau relaie des informations positives en lien avec le handicap. Dotée d’une grande force intérieure et d’une joie de vivre inébranlable, cette Polynésienne de 27 ans participe à la construction d’une société plus tolérante.

"Vivre Son Handicap en Polynésie" témoigne, sensibilise, fait sourire, encourage. Cette page Facebook, créée et animée par Rowena Nouveau, présente des actions et initiatives locales et nationales en lien avec le handicap.

Photographies, coups de cœur, remerciements, focus, coups de projecteur, vidéos documentaire sont postés à bon rythme.

Les informations sont toujours positives. Car Rowena Nouveau, sans gommer les difficultés et obstacles de son quotidien, est heureuse. Son entourage le constate en permanence, ses interventions le prouvent. Comme celle de juin 2019 lors du TEDxPapeete #5 sur le thème Out of shell.

Pendant dix minutes, après une brève explication des origines de son handicap, elle a raconté son parcours.

Rowena Nouveau est une très grande prématurée. Elle est née à 6 mois de grossesse. "Pour faire simple et éviter les termes médicaux compliqués", résume-t-elle, "le fait d’être sortie si tôt n’a pas laissé à mon corps le temps de se développer. En plus, le traumatisme de ma naissance a provoqué un bug qui fait que la partie de mon cerveau censé commander les informations de ma tête à mes jambes ne le fait pas, ou très mal".

En terme médicaux, Rowena Nouveau souffre de la maladie de Little ou diplégie spastique infantile. Elle ne peut pas marcher.

Depuis 27 ans, malgré les obstacles et les moments de tristesse parfois, elle ne se rappelle pas avoir été malheureuse à cause de son handicap. Elle garde plutôt en tête son enfance heureuse, sa famille aimante et combative, ses amis présents, les expériences qui l’ont faite grandir.

Comprendre et s'informer

Selon elle, le handicap est une "différence" et comme toute différence elle "fait peur, intrigue et pousse à un jugement facile et rapide, sans fondement, comme le racisme, l’homophobie". Mais, tout le monde peut changer son regard sur la différence et refréner ses jugements hâtifs, "il suffit de comprendre et de s’informer".

Même avec différence, la vie peut-être belle, répète Rowena Nouveau. "Oui je suis handicapée et oui, c’est un peu plus compliqué." Elle ne peut pas se déplacer librement. Elle doit accepter qu’il y a certaines choses qu’elle ne pourra jamais faire comme courir, danser sur ses deux jambes.

'E e be faaitoito

Elle doit supporter les regards compatissants et les jugements. "J’entends par exemple : ‘e e bé faaitoito, ou bien : ‘c’est bien ce que tu fais, continue !’." Ce qui n’est pas "méchant", mais "gênant, voire déstabilisant". "Imaginez que quelqu’un se mette à juger votre vie, ce n’est pas très agréable, hein ? "

Elle en a pris son parti. Elle ne cache à personne sa situation, qui reste personnelle. Elle insiste : "Je ne veux pas généraliser, je ne prétends pas savoir mieux que les autres ce qu’ils ressentent, leurs difficultés, leurs besoins. Je ne me donne pas le droit de parler pour les autres, pour ceux qui ont un autre handicap que le mien". Aussi encourage-t-elle à la prise de parole.

À ce niveau, elle montre l’exemple. "À force de piquer, je vais bien finir par réussir à faire quelque chose ! "

Pour preuve, en 2012, elle a interpellé les porteurs du projet de nouvelle gare maritime inadaptée pour les personnes en fauteuil. "On est obligé d’emprunter l’accès voiture", rapporte Rowena Nouveau.

En 2017, elle n’a pas hésité à rédiger une lettre au président de la Polynésie française. Elle écrivait : "À 25 ans, je ne peux que constater qu’en Polynésie, très peu de lieux publics prennent la peine de respecter les normes d’accessibilité. Cela n’est malheureusement pas une nouvelle problématique de société mais force est de constater que malgré les années, ce sujet ne connaît pas non plus d’avancée majeure".

Quelques jours auparavant, elle avait souhaité aller au cinéma. Rénové, l’établissement n’avait pas tenu compte des contraintes de toutes les personnes fréquentant ses salles. Une loi oblige pourtant à l’accessibilité pour tous. "Ce cinéma avait obtenu une autorisation d’ouverture sans respecter la loi, et ça m’avait exaspéré".

Son indignation est restée vaine. "Je n’ai eu qu’une réponse administrative. Depuis rien n’a bougé. En février 2019, des nouveaux bus de la société RTCT sont arrivés sur le territoire. Ils n’étaient pas équipés pour recevoir des personnes en fauteuil roulant. La considération n’a pas grandi."

À ceux qui répondent que les personnes handicapées sont finalement trop peu nombreuses pour justifier des investissements et surcoûts d’aménagement, Rowena Nouveau répond que les aménagements serviraient à une grande partie de la population : personnes âgées, poussettes, handicapés temporaires…

Rester optimiste

Les obstacles persistent donc. Pour aller faire une course en ville, elle doit trouver un conducteur pour l’accompagner, "Bon, là, c’est un handicap que j’ai choisi. Je pourrais passer le permis mais je fais un blocage", reconnaît-elle en souriant. Si elle opte pour un voyage en bus, il lui faut trouver un arrêt de bus adapté puis attendre qu’un bus équipé pour l’accueil des personnes en fauteuil s’arrête.

Une fois en ville, elle doit réussir à monter et descendre les trottoirs, faire attention en certains endroits au revêtement de la route, aux trous et aux bosses, aux pentes. Elle doit choisir un distributeur automatique de monnaie adapté et sélectionner les magasins accessibles. Pour profiter de la mer, elle doit être accompagnée sans quoi elle s’arrête en bordure de plage.

Pour autant, Rowena Nouveau ne baisse pas les bras. "Je suis handicapée", reprend-elle "mais tellement plus encore".

En savoir plus

Pour voir l'intervention TEDx Papeete, suivez ce lien.



Te niu o te huma, une fédération engagée

En Polynésie, 17 000 personnes seraient atteintes d’un handicap, soit 6% de la population. Pour eux, Te niu o te huma a vu le jour en janvier 1993, sous le nom de "Union des Personnes Handicapées de Polynésie française". L'association a pris le nom de Te niu o te huma en 1998.

Depuis sa création, elle agit pour la défense et la reconnaissance des droits des personnes handicapées. Elle a commencé par soutenir les associations œuvrant dans le domaine du handicap. Les handicaps sont très divers et apparaissent inégalement graves. Quel que soit le type de handicap supporté, l'aggravation ne se fait pas forcément par la maladie mais aussi par l'indifférence, l'incompréhension et le rejet. La société marginalisante et inadaptée provoque des souffrances. Les enfants, les jeunes et les adultes qui présentent des handicaps lourds, non intégrables en milieu ordinaire, ont besoin de centres d'accueil pour qu'ils puissent évoluer et sortir du contexte familial, sinon, ils se retrouvent confinés.

Le rôle de Te Niu est de promouvoir le développement des associations œuvrant en faveur des personnes handicapées par la mise en place d'une structure de soutien et d'action, de conseil, de réflexion et d'analyse, de propositions, d'études, d'informations, de représentation auprès des organismes institutionnels ainsi que des organismes de tutelle.

Te niu o te huma a progressivement élargi ses actions à la prise en considération de l’ensemble des difficultés que rencontrent au quotidien les personnes handicapées. Par ailleurs, la fédération s’engage pour l’inclusion numérique, pour la formation et l’insertion des travailleurs handicapés…

Elle est installée depuis 2002 à Fare Ute où elle accueille, renseigne, intervient auprès des instances pour améliorer la situation des personnes handicapées (intégration scolaire des plus jeunes, formation des adolescents et des adultes, reconnaissance de leur droit à un travail et à une rémunération, prise en compte des difficultés rencontrées par nos matahiapo, etc.)

Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 25 Juin 2020 à 11:47 | Lu 3324 fois