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Révision du procès Pouvanaa : "le doute doit bénéficier à l'accusé", rappelle Jean-Marc Régnault


Jean-Marc Régnault
Jean-Marc Régnault
Jean-Marc Régnault apporte un certain nombre d'indices nouveaux et concordants qui appuient la thèse d'un procès politique dont aurait été victime le député polynésien Pouvanaa Oopa, en octobre 1959.

L'historien estime que tous ces élements sont de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du "metua" et accréditent l'idée d'une conspiration pour attirer Pouvanaa dans un piège.

L'Assemblée de la Polynésie s'est appuyée sur ses récents travaux pour rédiger le projet de résolution sollicitant le Garde des Sceaux pour l'ouverture d'une procédure conduisant à la révision du procès de 59. La résolution a été adoptée vendredi 15 février à l'unanimité, en séance plénière.


Tahiti infos : Pensez-vous que cette demande de révision a de bonnes chances d’aboutir, compte tenu des éléments nouveaux que vous avez pu mettre à jour ?

Jean-Marc Régnault : La décision de saisir la cour de cassation est discrétionnaire et personnelle, la Garde des Sceaux pourrait, avec les meilleures preuves du monde, ne pas donner suite à cette demande.
Dans une affaire comme celle-là, il y a un volet juridique et il y un volet politique, tout le temps. La commission de révision des condamnations pénales se prononcera aux vues du dossier, de façon juridique ; mais en même temps, il y a toujours une part d’opportunité. Est-ce que c’est le moment ? Est-ce utile ? C’est ça la difficulté d’un dossier comme celui-là : l’objectivité n’existe pas tout à fait.


Pensez-vous, cependant, que les éléments historiques nouveaux que vous apportez sont de nature à justifier la révision du procès Pouvanaa ?

Jean-Marc Régnault : Oui, tout à fait. Il y a toute une série d’éléments. Le projet de résolution est édulcoré par rapport au document primitif que j’ai transmis à l’Assemblée. On ne cite pas de nom, on n’évoque pas les turpitudes des hommes politiques locaux de l’époque. On s’en tient à quelque chose de général, à savoir : des documents qui attestent que l’Etat a voulu se débarrasser de Pouvanaa ; que l’élite locale voulait se débarrasser de Pouvanaa ; et que ces phénomènes se sont conjugués dans le même sens.
Ensuite il faut donner l’explication de cela et notamment les raisons d’Etat : la volonté assez difficile à imaginer de vouloir garder à toutes fins la Polynésie française, ce qui interpelle au moment où on lâche l’Afrique.

Le premier élément de raison d’Etat que l’on peut donner est que la France avait besoin de garder outre-mer, très loin, des bases, parce que De Gaulle pensait qu’il y aurait une 3e guerre mondiale et qu’il fallait trouver des terres françaises qui soient épargnées par ce conflit. L’idée que la Polynésie soit protégée par ses "immensités océaniques" est évoquée dans une note manuscrite de novembre 58 et un peu plus tard il précise même "Nouméa, Papeete". Il y a l’idée que la civilisation pourrait renaître à partir de l’Océanie, une fois le conflit dissipé.
Un autre élément est que depuis 1957, la Polynésie était considérée comme l’endroit idéal pour procéder aux essais nucléaires de grande puissance, qu’il était impossible de réaliser au Sahara. La décision officielle d’implanter le centre d’essais atomiques date de 1962, mais entre 57 et 62, une série de documents montre que c’est en Polynésie que ces essais doivent avoir lieu.


Ces éléments, vous les évoquiez déjà dans l’ouvrage que vous avez écrit avec Catherine Vannier. Quels sont les éléments nouveaux et déterminants que vous apportez aujourd’hui ?

Jean-Marc Régnault : Des précisions. Notamment sur la volonté de l’Etat de se séparer de Pouvanaa. Il y a un texte très clair, en Conseil des ministres, trois jours avant son arrestation, le 7 octobre 1958. Il dit en substance : "nous ne pouvons pas garder un tel vice-président. Nous pourrions le faire tomber par une motion de censure. Mais compte tenu de la dispersion du pays, il faudrait trois semaines pour réunir les conseillers. Nous ne pouvons pas attendre". L’après-midi même, le ministre envoie un télégramme au gouverneur Bailly, lui demandant de prendre toutes les mesures possibles pour se débarrasser de Pouvanaa.

Nous avons aussi le témoignage Jacques Bruneau, envoyé par le général De Gaulle et Jacques Foccart avec pour mission de faire en sorte que la Polynésie reste française. Il arrive ici le 4 octobre 1958 et on voit tout de suite que c’est lui qui tire les ficelles. Il rend des comptes circonstanciés et réguliers à Jacques Foccart.
La grande peur de la France à cette époque-là était que Pouvanaa, toujours majoritaire à l’Assemblée, choisisse le statut d’Etat de la communauté qui aurait permis au Territoire de devenir indépendant quand il le voulait. Il fallait donc éliminer Pouvanaa, ses amis et faire en sorte que la Polynésie reste française.

(…) C’est vrai que je doute que l’on trouve un jour un document officiel qui dit : "On doit éliminer Pouvanaa en raison des essais nucléaires". Mais on démonte peu à peu le mécanisme.
Prenons par exemple l’aéroport de Tahiti-Faa’a : c’est curieux, parce que lorsqu’en janvier 57 on a la conviction que les essais thermo nucléaires devront avoir lieu en Polynésie, mais qu’un aéroport est nécessaire, il ne faut attendre que quelques semaines, le 15 mai 1957, pour que le projet soit annoncé, alors que l'on ne parvenait pas à le financer auparavant. Le directeur de l’aviation civile reconnait d'ailleurs aisément à l'époque que la décision n’a rien d’économique mais qu’elle est politique. Les premiers atterrissages auront lieu en 1960.

Maintenant, nous avons clairement l’explication qui nous permet de comprendre pourquoi la France a choisi de garder la Polynésie : elle est évidemment d’ordre stratégique.

(...) Le principe général dans le droit français est que le doute doit bénéficier à l’accusé. Nous avons aujourd’hui suffisamment d’éléments qui montrent que l’on peut avoir un doute sur la volonté de Pouvanaa d’incendier la ville. Et bien plus que cela, on sait qu’il avait été décidé de l’éliminer de la vie politique.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Vendredi 15 Février 2013 à 15:01 | Lu 2029 fois