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Relance, Hao, OPT : le point de Teva Rohfritsch


Teva Rohfritsch, numéro 4 du gouvernement Fritch et ministre de la Relance économique, à la sortie du comité de pilotage du Mahana Beach à la mairie de Punaauia le 9 juillet
Teva Rohfritsch, numéro 4 du gouvernement Fritch et ministre de la Relance économique, à la sortie du comité de pilotage du Mahana Beach à la mairie de Punaauia le 9 juillet
PAPEETE, le 9 juillet 2015 - Lors d'un entretien exclusif, Teva Rohfritsch, ministre de la Relance économique, a fait le point sur tous les grands dossiers dont il hérite. S'il continue à porter et encourager les grands projets, il veut réorienter les efforts du gouvernement vers des projets locaux qui seront mis en place plus vite.

Teva Rohfritsch est le ministre de la Relance économique, de l'Économie bleue, de la Politique numérique, chargé de la promotion des investissements. Il nous a reçus ce mercredi 8 juillet pour faire le point sur les dossiers dont il hérite. En plus de faire le point sur l'Autorité de la concurrence, il aborde la nouvelle stratégie d'investissements publics du gouvernement, la ferme aquacole de Hao, les changements de gouvernance pour l'OPT, et plus encore.

Car ses portefeuilles éclectiques lui permettent de toucher à la plupart des grands sujets économiques du Pays, même si des dossiers capitaux restent sous la tutelle d'autres membres du gouvernement, comme le Mahana Beach (géré par le ministre du Tourisme Jean-Christophe Bouissou), la fiscalité des entreprises (sous le vice-président et sénateur Nuihau Laurey) ou les investissements publics (sous le ministre de l'Équipement Albert Solia et celui du logement Tearii Alpha). Mais "de toute façon nous sommes une équipe" note le ministre.

MOINS DE ROUTES, PLUS DE LOGEMENTS SOCIAUX

Les comptes économiques provisoires publiés cette semaine par le CEROM et l'ISPF indiquent une croissance de 1% en 2014 après cinq ans de récession. Qu'en pensez-vous ?

Je me réjouis déjà que ces comptes sortent, six mois après la fin de l'année c'est déjà une performance. Il faudra voir après comment ils sont confirmés dans le temps. Néanmoins les indicateurs, en particulier le PIB, sont à nouveau à la hausse, ce qui est une bonne nouvelle. Contrairement à ce que j'ai pu lire, il y a de la création d'emploi qui est liée à ce PIB, mais pas suffisamment pour inverser totalement les tendances. Il y a eu des créations d'emplois notamment par des mesures prises par le précédent gouvernement, mais pas encore assez.

L'Institut de la statistique souligne que la hausse du PIB est liée à des investissements massifs dans les routes, ce qui ne crée pas d'effets durables. Faut-il réorienter l'effort public ?

Je pense que ce qui a été fait par l'ancien président était destiné à relancer rapidement l'activité, et ce qui va le plus vite c'est la route. Le domaine est maitrisé, les entreprises sont là, il fallait simplement relancer cette activité. Par contre on ne va pas faire de la route pendant 5 ans, et c'est tout le challenge du gouvernement aujourd'hui, c'est de pouvoir d'abord réorienter l'investissement public vers peut-être plus de bâtiments, ce qui est pourvoyeur d'emplois et est structurant. Mais c'est le ministère de l'Équipement qui est sur le sujet.

En ce qui me concerne un peu plus, c'est bien sûr tout ce qui va être la problématique du logement social, donc là aussi il y a un coup d'accélérateur qui est donné, d'ailleurs le ministre en charge du Logement communiquera bientôt. (…) En collaboration avec Tearii Alpha, nous souhaitons aussi soutenir plus activement les opérateurs de logements sociaux privés, pour qu'ils créent aussi de l'emploi et de l'activité et que le privé puisse aussi prendre une part importante dans le logement social.

Enfin, et c'est là plus ma fonction, il y a tout ce qui va concerner les filières économiques, les grands projets dont je suis chargé de la coordination, mais aussi les projets de moindre envergure mais qui à l'échelle de l'économie polynésienne sont importants. Je suis en train de faire le tour de tous nos investisseurs locaux, qui ont peut-être été un peu écartés parce qu'on a beaucoup parlé des Mahana Beach et autres, qui sont importants. Mais vous savez, 10 projets à 10 milliards, ça fait 100 milliards, et je crois qu'on a quand même chez nos investisseurs locaux des capacités d'investissement importantes. Certains se sont diversifiés en Nouvelle-Zélande et en Calédonie, mais je vais les voir pour leur dire : "Il faut croire en notre Pays, et investissez avec nous en Polynésie".

Qu'est-ce qu'ils vous demandent pour rentrer ? De quoi ont-ils besoin ?

D'une part ils sont contents que l'on vienne les voir, parce qu'ils disent "vous savez on a beaucoup parlé des Chinois, des Mexicains et autres, mais nous on est là, on est restés, nos actifs et nos familles sont ici." Donc ils souhaitent bien entendu aussi, mais pas dans les même proportions, qu'il y ait un système incitatif qui soit mis en place pour pouvoir les accompagner. Il n'y a plus de défiscalisation locale, mais la Polynésie n'a plus les moyens d'en remettre. Il reste de la LODEOM, donc de la défiscalisation nationale, au moins jusqu'en 2017, mais on ne l'exploite pas assez à mon avis donc il faut qu'on aide les entreprises à en bénéficier, parce que c'est aussi de l'argent extérieur.

Et puis surtout il faut ce qu'on regarde ce qu'on peut faire pour les accompagner, peut-être repenser ce qu'on a pu faire ces dernières années autour du Code des investissements qui existait avant la défiscalisation locale, c’est-à-dire une série de mesure d'exonérations fiscales ou d'avantages fiscaux qui pourraient être octroyés pour des projets non pas de plus de 40 milliards comme le dit la loi de Pays existante, mais des projets de "moindre importance". Car je préfère plusieurs petits projets qui peuvent démarrer vite, qu'un très grand projet qui va mettre un peu de temps. Car il y a plusieurs petits projets qui ne démarrent pas, et je pense que c'est avec ces petits projets là qu'on va passer le temps qu'il nous reste pour bien définir les grands.

Pouvez-vous en citer quelques-uns ?

Je ne peux pas citer les projets des privés, mais je peux dire qu'il y en a dans l'agroalimentaire, dans le domaine maritime, il y a une grosse restructuration dans la perliculture avec des gens qui souhaitent se réinvestir dans le secteur, tout ce qui est autosuffisance alimentaire et substitution aux importations sur le modèle de ce qui s'est fait en Nouvelle Calédonie… Donc ce sont des projets de 500 millions à 1,5 milliard, donc de grands projets pour les acteurs locaux même s'ils sont petits à côté du Mahana Beach, mais à mon avis ils méritent toute l'attention du gouvernement, mais c'est par ces petits projets qu'on va relancer l'économie. Et puis il y a les projets plus structurants, on reparle du SWAC de l'hôpital, et de tout ce qu'on avait pu initier à un moment.


À HAO "JE SERAI TRÈS VIGILANT SUR L'ENVIRONNEMENT ET L'EMPLOI LOCAL"

En parlant de gros investissement, avec l'Économie bleue vous avez le projet d'aquaculture à Hao dans votre portefeuille. C'est un gros projet où des polémiques émergent sur les retards dans les études d'impact environnementaux. Le projet reste-t-il dans les clous ?

Que ce soit sur le Mahana Beach ou Hao, je souhaiterais via cette interview corriger certaines choses. Ils ne sont pas en retard, il y a eu beaucoup d'effets d'annonces de la part de l'ancien gouvernement qui a prétendu des choses qui n'étaient pas vraies. Les projets n'étaient pas encore matures à l'époque. La démarche d'Édouard Fritch, que tout le gouvernement soutient, est une démarche formelle, rigoureuse, mais nécessaire. Car lorsqu'on parle de 100, 150 ou 250 milliards, et bien il faut bien réfléchir à ce qu'on fait, aux avantages qu'on accorde et à l'économie du projet. Parce que rien ne serait pire que de lancer des choses rapidement parce qu'on se laisse enfermer dans la course imposée à l'époque par Gaston Flosse pour ne pas le citer.

Sur l'impact environnemental, c'est tout de même une nécessité quand on parle d'un projet qui porte sur 30 000 tonnes de poisson par an, de bien vérifier que ceci peut se faire dans l'écosystème polynésien, qu'on ne va pas dégrader nos lagons, qu'on va faire en sorte que les capacités à terre puissent les accueillir sans dégrader nos atolls, que les populations soient associées à l'économie du projet… Tout ça ce sont des étapes importantes avant un premier coup de pioche.

Justement, des dizaines de millions de poissons élevés dans le lagon de Hao ça parait peu crédible…

Alors on est encore en train de définir complètement le projet. Les 30 000 tonnes à mon avis ne seront pas à Hao seulement. L'idée est d'avoir la plate-forme logistique sur Hao, avec à la fois la production des alevins, peut-être la centralisation de l'alimentation et des cages puisque tout ça sera mis à la disposition des fermiers, et le rachat des poissons adultes se fera pas la suite par la société.

Mais on doit mesurer ce qui est acceptable de mettre dans le lagon de Hao, avec peut-être un projet pilote, et qu'ensuite on regarde ce qu'on pourra aussi placer dans d'autres atolls qui souhaiteraient le faire, et ça a une logique économique de créer de l'emploi ailleurs. Ce que je sais des discutions aujourd'hui – encore une fois j'arrive dans les sujets – c'est que l'investisseur est là pour le long terme; Il ne veut pas saccager, il ne veut pas s'imposer, il veut construire avec les polynésiens. Et donc il est prêt à investir aussi en ayant des rendements qui ne sont pas ceux qu'il a pu connaitre ailleurs, car d'autres investisseurs ont eu des expériences ailleurs qui n'ont pas forcément été heureuses.

Le message important que l'on donne aussi c'est que la Polynésie est un pays de règle, soucieux de son environnement, et que la Polynésie c'est aussi la France, donc on ne vient pas faire n'importe quoi en Polynésie. Mais par contre la Polynésie a, c'est vrai, besoin d'emplois, mais on ne le fera pas à n'importe quel prix. En tout cas je serai très vigilant sur la protection de nos lagons et de nos ressources, Édouard Fritch me l'a demandé. On ne va pas brader la Polynésie aux Chinois.

Concernant les avantages accordés à ces grands projets, si tout est détaxé quel sera le retour pour le budget du Pays ?

D'abord les détaxes qui sont prévues par les dispositifs en cours sont sur un temps donné, et les projets s'inscrivent sur un temps beaucoup plus long. N'oublions pas qu'à un moment un groupe d'investisseur va mettre 100 ou 200 milliards Fcfp sur la table. Ces gens-là sont les premiers à vouloir rentabiliser leurs investissements, et ça ne se fera pas sur 10 ans, ça se fera sur le long terme. Les exonérations du démarrage comptent pour démarrer la machine, mais ensuite il n'y a plus d'exonérations et le budget du Pays va en bénéficier.

A l'inverse, c'est au-delà de raisonner pour les finances du Pays, pour moi le plus important aujourd'hui c'est l'emploi et de l'activité pour les entreprises. Et s'il y de l'emploi ça fait des charges en moins au RSPF, plus de rentrées à la PS pour la PSG et les retraites, et ça allège on l'espère à terme le coût du travail pour les entreprises polynésiennes. Et quand les entreprises ont rempli leurs carnets de commande, on a besoin de moins d'impôts pour les subventionner. C'est tout le travail que je suis chargé de faire au gouvernement.


OPT : UNE MEILLEURE RÉGULATION MAIS PAS DE SÉPARATION

Vous êtes justement ministre de la Régulation numérique et avez beaucoup travaillé sur ces sujets. Allez-vous pousser à une séparation des activités d'opérateur, Mana et Vini, et celles d'infrastructure réseau, Honotua en particulier ?

J'étais ministre il y a quelques années, donc j'ai fait l'ouverture à la concurrence puisque c'était l'installation de Vodafone et de Viti. Donc je suis très sensible à cette ouverture, qu'il nous faut poursuivre et consolider. Après je tiens aussi à dire, à l'inverse, que l'OPT est souvent le bouc émissaire, mais n'oublions pas que nous sommes sur un marché de 270 000 habitants. Beaucoup ont eu des fantasmes autour de l'ouverture à la concurrence, dans le sens où on voit bien que les prix ont certes beaucoup baissé, mais on ne pourra pas prétendre à avoir des prix comme ceux d'un marché de million d'habitants, comme en France, en Europe ou aux Etats-Unis. Il faut rester cohérant, avec des infrastructures qui sont à notre charge, même si la défiscalisation a aidé pour le câble notamment.

Mais le câble c'est un investissement de 10 milliards, porté en partie par la défisc, mais surotut par l'OPT, avec des débits aujourd'hui beaucoup plus important qu'à l'époque du satellite, mais encore relativement faibles par rapport aux capacités du câble. Mais ce n'est pas seulement un problème de concurrence, c'est aussi parce qu'il faut créer du contenu et une vraie économie numérique autour de ça. Ce n'est pas le particulier qui est le premier à créer le contenu. Il faut donc un tissu d'entreprises.

Après est-ce que l'OPT peut continuer à faire des efforts et plus favoriser la concurrence, certainement, c'est le rôle qu'on m'a confié. Ce qui est un petit peu particulier c'est que le président est en charge de l'OPT et moi de sa régulation, mais ça se passe très bien, et il me laisse jouer mon rôle de régulateur, ce qui fait que quand j'ai des rappels à l'ordre à adresser à l'OPT je lui envoie un courrier et ça se passe très bien, car il ne faut pas oublier c'est Édouard Fritch qui est le premier à avoir voulu séparer le régulateur de la tutelle de l'OPT.

Donc quelle votre la vision globale du secteur ?

Mon rôle va certainement être de veiller à ce que des règles claires et transparentes soient établies entre les utilisateurs de toutes les infrastructures télécoms que nous avons en Polynésie. L'Autorité indépendante qui va arriver va également très vite prendre le relais sur ce sujet des télécoms.

Après mon challenge, puisque je suis aussi en charge de la politique numérique globalement, c'est qu'on arrive à construire une vraie économique numérique. Je pense qu'on a une position géographique très intéressante. Il fait jour quand il fait nuit en métropole. Donc du côté de l'informatique, ou pourquoi pas des call centers comme ça se fait en Afrique Nord… on a une position à trouver avec ce décalage horaire.

Nous avons avant tout un pays paisible, dieu nous en préserve on a pas de terrorisme, de guerres et ces grandes tensions qui existent en Europe et ailleurs…

Mais ces avantages disparaissent si la connexion n'est pas fiable et abordable

Oui mais Rome ne s'est pas faites en un jour, vous ne pouvez pas non plus à 270 000 habitants prétendre aux même débits qu'à Paris, c'est ce que je rappelle à beaucoup de monde.

Pourtant on utilise 1% du câble, et on paie déjà très cher…

A l'échelle de 270 000 habitants, et tout le monde n'est pas connecté, il faut faire attention. Faites la division de 10 milliards par 270 000 habitants (NdA : 37 037 Fcfp par habitant) et on en reparle… Bien sûr qu'on a tous envie de payer le même tarif qu'en France, mais attention. Parce que les opérateurs, je les avais pris déjà au mot la dernière fois que j'étais ministre. J'ai dit "Ok, tout le monde veut accéder au câble, mais attention, parce qu'il y a un réflexe que j'ai entendu souvent, c'est que comme c'est l'OPT qui a payé, c'est public, donc ça doit être gratuit. Mais rien que pour la maintenance du câble il y a un milliard de frais par an, il faut bien que ce soit supporté. Donc ouvrir à plus de débit oui, mais attention aux échelles.

Nous on a tous envie d'avoir plus de débit pour surfer plus vite sur nos téléphones, télécharger plus de films, c’est-à-dire notre vie quotidienne. Mais c'est pas ça qui va faire de la croissance, c'est vraiment créer du flux numérique, et ça on est encore loin d'y être arrivé. Je recevais cette après-midi le vice-président d'OPEN, l'organisation de l'économie numérique. Je lui ai dit que nous avons conçu, et ce n'est pas le plan de Teva, on avait conçus ensemble, à l'époque des États généraux du numérique, le Plan de développement de l'économie numérique. Malheureusement les gouvernements qui se sont succédés n'ont pas souhaité le mettre en œuvre, peut-être pour des raisons politiques. Alors que c'était avant tout le plan des professionnels du numérique.

Donc moi j'ai passé une commande très claire : "je souhaiterais que vous vous réunissiez, sur la base de ce plan, et que vous me disiez à ce jour quelles sont vos priorités et qu'on les croise avec les nôtres." Il y avait une centaine de projets dans ce plan, dont certains très concrets, qu'on pourrait démarrer immédiatement.

Ce plan prônait aussi un développement de la e-administration, où en êtes-vous ?

Justement, j'ai sous ma tutelle le service d'informatique du Territoire, ce qui va nous permettre aussi de donner l'exemple. L'e-administration doit devenir une réalité, parce qu'aujourd'hui il y a trop de paperasse dans les administrations, et aux affaires économiques on est les premiers.

Je fais le constat simple qu'avec les politiques de rigueur de ces dernières années on a réduit les effectifs dans l'administartion avec les départs en retraite et les CDD non renouvelés, par contre on n'a pas changé la réglementation. Dans des cellules ou services où ils étaient 5 à traiter des sujets, aujourd'hui ils sont deux, et parfois un. Mais la réglementation n'a pas changé, donc ça a rallongé le temps de réponse.

Enfin, à quand une simplification du labyrinthe administratif pour faciliter la vie des entreprises et des citoyens ?

C'est ma priorité. Au-delà de la e-administration, on va alléger les procédures et simplifier au maximum. En faisant le tour des services, il y a des listes de papiers qu'on demande aux porteurs de projets, on ne sait même plus pourquoi on les demande. Je souhaite qu'on vienne à l'essentiel, et c'est le message que j'ai fait passer dans les services que je dirige. Il faut redonner de l'oxygène à l'économie.

Doit-on attendre une grande loi de simplification administrative pour la rentrée ?

Ce sera une loi du gouvernement, pour le deuxième semestre avec le Président nous allons pousser ça. Le Président a demandé à ce que tous les ministres réfléchissent de la même façon de manière à ce qu'on libère les énergies. Je crois que s'il y a un mot à retenir, c'est "libérer les énergies".


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 9 Juillet 2015 à 17:56 | Lu 3360 fois