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Quand nos dirigeants retournent à l'école


PAPEETE, le 7 juillet 2015 - Le programme Executive Premium de la CCISM forme une dizaine de dirigeants d'entreprises et hauts-fonctionnaires aux dernières techniques de management. En juin, ils ont eu 35 heures de cours avec un spécialiste canadien de la gestion de projet.

La CCISM a ouvert depuis septembre dernier son service "Executive Premium", qui propose des programmes certifiants et diplômants dédiés aux sciences de la gestion. Ils sont destinés aux entreprises et administrations polynésiennes. La CCISM a signé pour ce faire un partenariat avec le centre de perfectionnement de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), une grande école de gestion francophone avec l'esprit nord-américain.

Leur première formation concernait la gestion de projet, afin d'aider à "planifier et gérer les projets structurant pour le Pays" explique Christophe Gomez, directeur du pôle formation de la CCISM. Elle se déroule en cinq modules de 35 heures chacun, dont l'un va permettre l'obtention d'une certification internationale sur la gestion de projet. C'est un professeur canadien, Benoît Lalonde, qui a assuré ce module. 5 élèves viennent des communes, et les autres viennent du privé.

Le coût de la formation est de 990 000 Fcfp, financées par le fonds paritaire pour les communes et certaines entreprises. La seule condition pour l'intégrer : avoir 4500 heures d'expérience professionnelles.



Parole à Benoît Lalonde

Benoît Lalonde, chargé de cours à l'école de Sciences de gestion de l'UQAM, est également président du chapitre montréalais de l'institut mondial dédié à l'amélioration des techniques de gestion (le PMI) et président fondateur de GPBL, une entreprise de consulting canadienne. Nous l'avons rencontré lors de son dernier jour de cours.

Sous quelle casquette êtes-vous en Polynésie ?
"Je suis là en tant que chargé de cours à l'ESG-UQAM et de président du Project Management Institute, le PMI. La raison d'être du PMI est de faire la promotion des meilleures pratiques reconnues internationalement dans les organisations, autant gouvernementales que privées. Nous les accompagnons dans l'implantation des meilleures pratiques, des gouvernances, des portefeuilles de projets, des bureaux de projet… Il s'agit vraiment de développer les profils de compétence."

"Là je suis à Tahiti pour former des professionnels à la gestion de projet, pour leur permettre d'obtenir leur titre international de PMP, c'est-à-dire Project Management Professional. Il y avait 50 000 PMP il y a 10 ans, il y en a 500 000 aujourd'hui à travers le monde, et ça augmente encore."

Que leur as-tu appris, de façon très pratique ?
"85% des erreurs arrivent parce que les gens identifient mal leur projet. Donc on a passé cinq jours à leur montrer comment bien identifier un projet, comment bien le planifier, et comment le suivre. Aujourd'hui les gens improvisent les projets, de sorte que l'on prend un gestionnaire, un informaticien, et on le parachute chef de projet sans formation, sans outils, sans méthodologie. La tendance maintenant c'est d'arrêter l'improvisation et de mettre de l'expertise sur le projet."

"Avec cette formation, en pratique ils pourront respecter les échéanciers et les budgets prévus. Le but est d'améliorer la façon dont on identifie proprement les projets, dont on les planifie… Là c'est du n'importe quoi, monsieur le maire dit qu'on va sortir le centre culturel pour telle date avec tel budget. Ça vient d'où ? Chez nous c'est comme ça aussi, et il faut changer cette manière de faire."

"La grande difficulté, c'est que les villes et les organisations développent une planification stratégique, 'on sera là dans cinq ans, là dans 10 ans…' La seule façon d'être là dans 5 ans ce n'est pas par de l'opérationnel, ce sont des projets. C'est développer un centre communautaire, c'est développer des services aux citoyens. Dans les communes, une bonne organisation c'est 80% des gens sur les opérations, et 20% sur les projets."

Quel est le profil de tes élèves ?
"Là j'ai un directeur général, j'ai un chef de section, j'ai du monde qui vient de l'entreprenariat, cinq qui viennent des communes. J'en ai de Air Tahiti Nui, de Vodafone… On voit que les gens sont formés pour diriger les opérations, mais ne sont pas formés pour gérer les projets et la difficulté des projets c'est que dans les organisations, ce sont les même qui ont un pied dans les projets et un pied dans les opérations. C'est la problématique des communes ou organisations comme ça, qui n'ont pas assez de monde pour séparer les fonctions, donc les gens font les deux."

"Idéalement, ce serait séparé, parce que quand on a un pied dans chaque, les opérations vont toujours gagner : un citoyen se plaint, il y a un problème, monsieur le maire débarque… Donc qu'est-ce qu'il se passe ? On laisse le projet, on règle la problématique opérationnelle, puis on revient dans le projet. Mais le problème c'est qu'on ne change pas la date butoir, on écrase et on écrase. Mais les organisations sont très sympas, elles vous donnent un laptop, un téléphone intelligent, et vous pouvez travailler chez vous tard le soir…"


Ces dernières années, les gouvernements polynésiens promettent une meilleure gouvernance, qui passerait pas l'emploi de beaucoup de cabinets de consultants internationaux. Est-ce une pratique standard ?
"Standard je ne sais pas. Mais le bon côté du consultant c'est qu'on arrive toujours de l'extérieur. Les gens ont l'impression qu'on arrive avec la science infuse, ce n'est pas le cas mais on arrive avec des pratiques qui viennent d'ailleurs, donc on est capables de dire : 'chez nous au Québec on fait comme ça, dans d'autres organisations comme-ci…' Donc c'est intéressant de voir le balisage qu'un consultant peut amener, alors qu'en interne ils ont une vision unidirectionnelle de ce qu'il se passe. Il faut les deux."

"Mais en parlant de gouvernance, c'est un sujet très chaud, partout. Il s'agit de rendre compte aux citoyens et aux organisations, de sorte qu'il faut changer notre manière de faire, et la gestion de projet est le véhicule privilégié."


Il y a justement eu de gigantesques scandales de corruption à Montréal ces toutes dernières années avec la commission Charbonneau qui enquête sur des contrats truqués qui ont coûté des milliards à la ville… En avez-vous appris de nouvelles pratiques ?
"Je ne pense pas que la gestion de projet va empêcher la corruption ou la collusion. Sauf que si on met en place des modèles de gouvernance avec des commissions multipartites, avec des portes décisionnelles pour approuver le projet, et respecter certaines étapes, là on va empêcher la collusion. C'est aussi ce que je leur ai appris. Mais même en faisant de la gestion de projet dans les règles de l'art, ça n'empêchera pas les gens de se parler le soir et de s'entendre sur les taux… Ce n'est pas parfait, mais ça apporte une certaine rigueur et une capacité à rendre compte."


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 7 Juillet 2015 à 18:48 | Lu 2643 fois