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Première implantation du coeur artificiel français Carmat


PARIS, 20 décembre 2013 (AFP) - Un coeur artificiel autonome, conçu par la société française Carmat, a été implanté pour la première fois, mercredi à Paris, dans la poitrine d'un patient souffrant d'insuffisance cardiaque terminale, une nouvelle génération de prothèse qui veut pallier le manque de coeur à greffer.

"Cette première implantation s'est déroulée de façon satisfaisante, la prothèse assurant automatiquement une circulation normale à un débit physiologique", ont nnoncé vendredi de conserve la société Carmat et les chirurgiens qui ont procédé à l'intervention, sous la direction du Pr Alain Carpentier, concepteur du projet, à l'Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP).

"Le patient est actuellement sous surveillance en réanimation, réveillé et dialoguant avec sa famille", ont-ils précisé en qualifiant l'opération de première mondiale.

L'intervention a été réalisée par les professeurs Christian Latrémouille et Daniel Duveau dans le service du Pr Jean-Noël Fabiani.

Elle a été saluée par la ministre de la Santé : c'est "une grande fierté pour la France", a dit Marisol Touraine.

"Il faut rester prudent, c'est un premier malade. Le recul est encore bref", a tempéré le Dr Philippe Pouletty, cofondateur de Carmat.

Les autorités sanitaires françaises avaient donné leur feu vert fin septembre à ce premier test clinique sur l'homme.

La prothèse "mime totalement un coeur humain normal avec deux ventricules qui mobilisent le sang comme le ferait le muscle cardiaque, avec des capteurs qui permettent d'accélerer le coeur, d'augmenter ou diminuer le débit. Le malade dort, ça diminue. Il monte les escaliers, ça accélère, donc ça n'a rien à voir avec une pompe mécanique", avait expliqué en septembre Philippe Pouletty, le co-fondateur du groupe.

Sauver des dizaines de milliers de patients

Le patient implanté, dont l'identité n'a pas été rendue publique, devait souffrir, pour être opéré, d'une insuffisance cardiaque terminale, avec un pronostic vital engagé et ne bénéficiant d'aucune alternative thérapeutique, selon les conditions posées par les autorités sanitaires françaises.

Carmat assure que son coeur artificiel pourrait sauver chaque année la vie de dizaines de milliers de patients sans risque de rejet et en leur assurant une qualité de vie sans précédent.

Développée avec le professeur Alain Carpentier, spécialiste de chirurgie cardio-vasculaire, la bioprothèse vise à pallier la pénurie de coeurs à greffer mais aussi à apporter une solution aux contre-indications à la transplantation (antécédent de cancer par exemple).

Ce coeur artificiel, à armature de plastique dur comme le métal, reproduit la physiologie de l'organe normal avec ses deux ventricules et ses battements, à l'aide de moto-pompes. Il a la capacité de s'adapter aux conditions de vie habituelle d'une personne grâce à un système électronique embarqué extrêmement sophistiqué qui s'adapte aux besoins de l'organisme en fonction de son activité.

Le prix de ce coeur à batterie externe est de l'ordre de 140.000 à 180.000 euros.

Pour éviter le problème de formation de caillots auquel se sont heurtés des modèles concurrents, des biomatériaux éprouvés dans les valves cardiaques, inventées il y a trente ans par le Pr Carpentier et vendues dans le monde entier, sont utilisés.

Il s'agit de tissus animaux traités chimiquement pour éviter le rejet. Grâce à ces tissus, "les malades n'ont pas besoin d'anticoagulants", avait affirmé le Pr Carpentier.

Le prototype de 900 grammes est compatible avec 70% des thorax d'hommes et 25% de ceux des femmes, avaient expliqué des spécialistes lors de l'entrée en Bourse de Carmat en 2010.

L'utilisation de coeurs artificiels n'est pas nouvelle. Des tentatives datent de plusieurs décennies (JarviK 7...).

Mais, depuis, le terme sert souvent à désigner des pompes ventriculaires d'assistance cardiaque, essentiellement utilisées comme solution transitoire.

Un rival de Carmat, AbioCor de la firme Abiomed a été autorisé aux Etats-Unis pour des patients au coeur en bout de course, avec une espérance de vie inférieure à un mois et n'ayant pas d'autres options (greffe ou autres).

En 2001, un patient de 59 ans, mourrait aux Etats-Unis des suites d'une importante hémorragie abdominale 152 jours après l'implantation d'un coeur artificiel AbioCor qualifié d'autonome.

D'autres coeurs Carmat bientôt implantés, un espoir pour des milliers de patients

L'implantation mercredi dans un hôpital parisien d'un coeur artificiel définitif de la société Carmat, une première mondiale, sera suivie de plusieurs autres dès les prochaines semaines, un succès porteur d'espoir pour des milliers de patients.

"Un certain nombre de malades sont en train d'être sélectionnés, il est probable que dans les semaines qui viennent d'autres implantations soient faites", soit à l'hôpital Georges-Pompidou (à Paris), soit à Marie-Lannelongue (au Plessis-Robinson, en banlieue parisienne), ou encore au CHU de Nantes, a déclaré samedi sur Europe 1 le Dr Philippe Pouletty, cofondateur de Carmat.

"Il est possible aussi que des implantations se fassent en Pologne", a-t-il dit. Quatre centres hospitaliers en Belgique, Pologne, Slovénie et Arabie Saoudite sont en effet habilités pour l'opération.

Trois jours après l'opération, le patient porteur du coeur Carmat, un homme âgé de 75 ans, "va très très bien", s'est réjoui sur Europe 1 le professeur Jean-Noël Fabiani, chef du service de chirurgie cardiovasculaire de l'hôpital Georges-Pompidou, où s'est déroulée l'intervention.

Les médecins espèrent apporter au malade au minimum cinq ans d'espérance de vie.

Des coeurs artificiels sont implantés dans le monde depuis une dizaine d'années, mais il s'agissait de machines temporaires, posés dans l'attente d'une greffe.

Avec le coeur Carmat, "le but est d'obtenir une vie normale avec un coeur artificiel. Ce n'est pas une vie complètement normale, car il y a quelques contraintes, comme celles liées à l'alimentation électrique indispensable pour faire fonctionner une telle machine", a commenté le Pr Fabiani.

Ce coeur est destiné aux malades en assistance cardiaque terminale, trop âgés pour espérer une greffe. Un marché colossal s'ouvre pour Carmat: environ 100.000 malades en Europe et aux États-Unis ne pourront pas recevoir une transplantation, faute de greffons.

Mais tous ne pourront en bénéficier. Cet appareil de 900 grammes, plus lourd qu'un coeur humain (300 g), ne peut être implanté que chez des personnes corpulentes : il est compatible avec 70% des thorax des hommes et 25% de ceux des femmes.

Autre obstacle, le prix. Ce coeur high-tech coûte environ 160.000 euros, autant qu'une greffe et ses suites opératoires. Seuls les plus fortunés, sauf si la Sécurité sociale le rembourse, pourront se l'offrir.

25 ans d'acharnement

Le coeur Carmat est le fruit de l'obstination d'Alain Carpentier, 80 ans, génial inventeur à la fin des années 60 des valves en tissus animaux, qui ont révolutionné le marché des valves cardiaques.

A l'époque, faute d'avoir convaincu Rhône-Poulenc, il avait vendu son invention en Californie et fait, depuis 1968, la fortune des laboratoires Edwards et la sienne.

Sa grande ambition est de créer un coeur artificiel similaire au coeur humain. A la fin des années 80, comme il l'a raconté au Nouvel Observateur, il rencontre Jean-Luc Lagardère, patron de Matra (futur EADS) qui décide de l'aider, avec ses ingénieurs, à créer un coeur artificiel français. Il confie le projet à une demi-douzaine de génies en mécanique, hydraulique, électronique, informatique.

Commencent alors vingt ans de recherches. Après le décès de Jean-Luc Lagardère en 2003, EADS continue à soutenir Carpentier et en 2008 crée Carmat, contraction de Carpentier et de Matra, en y détachant les ingénieurs d'EADS qui travaillaient sur le coeur artificiel.

Aidée par de nouveaux financements du fonds Truffle et 33 millions d'euros d'aides publiques, puis cotée en Bourse, la société de Velizy, qui aura coûté plus de 100 millions à ses investisseurs, se rapprochait du but ces dernières années. Depuis trois ans, elle multipliait les implantations-tests sur des animaux, notamment des veaux. Alain Carpentier a vu mercredi le couronnement de 25 ans d'efforts.

Rédigé par () le Vendredi 20 Décembre 2013 à 10:11 | Lu 697 fois