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Pourquoi la Polynésie est vitale pour les missiles et les sous-marins chinois


Le Yuan Wang-6, officiellement un bateau "scientifique et d'exploration", serait en réalité au cœur du dispositif balistique Chinois dans le Pacifique. (crédit photo : Hiroya.K, Marinetraffic.com)
Le Yuan Wang-6, officiellement un bateau "scientifique et d'exploration", serait en réalité au cœur du dispositif balistique Chinois dans le Pacifique. (crédit photo : Hiroya.K, Marinetraffic.com)
PAPEETE, le 5 décembre 2018 - La Chine est décidément très active dans le Pacifique. Elle est déjà devenue la deuxième puissance en termes d'aides étrangères derrière l'Australie. Autant de cadeaux qui visent à préserver les intérêts de la Chine dans notre région, tant économiques, diplomatiques... que militaires.

Avec plus de 1,2 milliard de dollars d'aides directes versées entre 2011 et 2017 à des pays insulaires du Pacifique (selon la Pacific Aid Map, créée par le think tank australien The Lowy Institute), en plus de dizaines de projets d'infrastructures financés par des entreprises chinoises ou des prêts (voir encadré), la Chine est très active dans notre région et s'y fait de plus en plus d'amis. C'est qu'elle a de nombreux intérêts à y défendre.

Il s'agit d'abord d'intérêts économiques, avec le développement de la nouvelle Route de la Soie du président chinois Xi Jinping. Les îles du pacifique contrôlent les routes commerciales qui traversent notre océan entre l'Asie et le continent américain, et toutes les puissances économiques d'ambition globale se doivent d'y avoir une présence forte. C'était d'ailleurs la principale inspiration derrière la colonisation de nos îles au 19ème siècle... Et la principale inspiration des nouveaux efforts chinois. On peut analyser le projet aquacole de Hao à cette lumière : il donnera accès aux entreprises chinoises à un port en eaux profondes et à un aéroport international dans le Pacifique Sud sur une île amicale, une ressource qui n'existe pas actuellement.

Les investissements chinois dans les infrastructures d'autres îles du Pacifique, comme les îles Marshall en Micronésie dans le Pacifique Nord, les Fidji en Polynésie ou encore les Vanuatu dans l'Ouest de notre océan, pourraient à terme avoir le même objectif. Des efforts qui, bien que très bien dotés financièrement, se heurtent cependant à des oppositions politiques.

Ainsi aux îles Marshall, Hilda Heine, la présidente de l'archipel, dénonçait en novembre dernier une machination chinoise derrière une motion de censure qui a failli faire tomber son gouvernement. Selon elle, le texte était motivé par son refus de soutenir la création d'un paradis fiscal géré de manière indépendante sur un des atolls des Marshall, un projet de territoire autonome et totalement exempté d'impôts afin d'y attirer des entreprises high-tech. C'était l'idée de Cary Yan, un homme d'affaires chinois et ressortissant des Iles Marshall. La motion de censure "est une tentative de certains intérêts étrangers pour contrôler nos atolls et en faire un pays au sein de notre pays", avait-elle alors déclaré à Radio New Zealand. "Nous devons être prudents connaissant la situation géopolitique de la région Pacifique", ajoutait-elle. "Le gouvernement doit mener ses propres recherches et assurer la sécurité de la souveraineté du pays".

La situation aux Vanuatu est tout aussi compliquée. En avril dernier, le Sydney Morning Herald affirmait que selon plusieurs sources, la Chine et le Vanuatu venaient d’entamer des négociations en vue de la construction d’une base militaire chinoise dans l’archipel. De quoi "bouleverser l’équilibre géostratégique" dans la région estimait le journal, les Vanuatu étant très bien situés près de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les trois plus importants pays océaniens. La nouvelle de la création d'une base militaire chinoise a cependant rapidement été démentie par le Vanuatu... Qui reste pourtant proche de la Chine. L'Empire du Milieu a offert au petit pays mélanésien une nouvelle résidence pour son premier ministre et un palais des congrès flambant neuf pour sa population.

UNE OFFENSIVE DIPLOMATIQUE CONTRE TAIWAN

Au niveau diplomatique, la Chine a un autre intérêt très fort à investir dans notre région : Taïwan. Vous vous souvenez que la Chine refuse de reconnaître l'indépendance de Taïwan et continue de réclamer le retour de ce territoire au sein de la République Populaire. Tous les pays du monde doivent donc choisir entre reconnaître Taïwan, ou avoir des relations diplomatiques avec le géant chinois. Aujourd'hui, ils ne sont plus très nombreux à soutenir la petite île... Or, près d'un tiers des pays qui reconnaissent encore Taïwan comme un pays indépendant et non comme une province rebelle de la Chine sont des petits pays du pacifique. Il s'agit de Kiribati, des îles Marshall, de Nauru, de Palau, des îles Salomon et de Tuvalu.

Pourtant, depuis 2016 et l'arrivée au pouvoir à Taïwan d'une présidente résolument anti-chinois, la Chine a engagé une grande offensive diplomatique mondiale pour retourner les derniers alliés internationaux de Taïwan. L'année dernière, elle en a converti trois en Amérique et en Afrique, laissant sa "province rebelle" avec seulement 17 amis dans le monde (dont le Vatican)... Mais elle n'a pas réussi à retourner un seul pays du Pacifique, malgré ses 1,26 milliards de dollars d'aides directes dans la région. Il faut dire que Taïwan a dépensé 190 millions de dollars d'aides chez ses six amis du Pacifique, soit deux fois plus que la Chine (il est plus facile de faire des gros cadeaux à quelques petits pays qu'à toute une région...). Ces alliés océaniens font même preuve d'une fidélité à toute épreuve, au point que Nauru a frôlé l'incident diplomatique en septembre dernier lors du Pacific Islands Forum en snobant le représentant chinois à plusieurs reprises...

Le dernier intérêt chinois dans le Pacifique est militaire. Si les tensions avec les forces de l'OTAN sont déjà au maximum dans la Mer de Chine (Lisez l'article Wikipedia sur les tensions en Mer de Chine pour vous remémorer les détails de la situation militaire et diplomatique tendue dans cette mer à l'ouest du Pacifique), où l'Empire du milieu a même construit des îles artificielles dans les eaux internationales pour y installer des bases militaires et tenter d'y instaurer sa souveraineté, les îles polynésiennes ne sont pas épargnées par ces grandes manœuvres.

SUIVIS DE MISSILES ET SOUS-MARINS EN TRANSIT EN POLYNÉSIE

Ainsi, comme le notait un article publié dans la "Lettre d'informations stratégiques et de défense" d'avril dernier, "au cours de cette année, près de 18 satellites Beidou-3 seront mis en orbite pour permettre à Pékin de disposer de son propre système GPS destiné au guidage de ses missiles et à son dispositif C4ISR. Or, c’est depuis la Polynésie que le suivi de ces satellites, et des missiles balistiques adverses, sera assuré pour l’hémisphère sud par le bâtiment de renseignement de 11 000 tonnes, le 'Yuan Wang-6', qui, avec quatre radars de trajectographie, constitue l’équivalent du 'Monge' français. Un navire qui fait régulièrement escale à Papeete." Effectivement, le navire inoubliable avec ses quatre paraboles pointées vers le ciel (voir photo d'illustration) passe régulièrement par nos eaux, et se promène également chez les autres pays du triangle polynésien.

Le même article affirme que les intérêts militaires chinois dans nos îles ne s'arrêtent pas là : "En outre, d’autres bâtiments d’exploration océanographique croisent dans la zone. Pour permettre à sa sous-marinade d’échapper aux barrières de sonars et ainsi bénéficier de l’effet de surprise en mer de Chine, l’APL (NDLR : Armée Populaire de Libération) est contrainte de les faire transiter par le nord du Japon, l’océan Pacifique et ce jusqu’à la pointe sud de l’Australie pour resurgir par le sud. Pour cela s’impose à elle une connaissance précise des reliefs sous-marins, ainsi que des couches de températures comme de salinité." Les navires océanographes chinois n'ont donc pas uniquement un but scientifique. Connaitre nos fonds marins sera indispensable si l'Armée Populaire de Libération espère développer une flotte de sous-marins capable de sortir de la mer de Chine...

À noter que la France elle-même réalise des cartes très précises de nos fonds marins avec le Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM). Nous avions ainsi visité le navire Atalante en 2015 en escale à Papeete, un bateau très high-tech qui voyage à travers le monde pour établir ses cartes sous-marines pour la marine française, ainsi que pour des missions civiles. Des missions civiles qui nous intéressent également, puisqu'elles viennent appuyer nos ambitions pour étendre notre ZEE, mieux anticiper le risque de tsunamis... mais qui viennent aussi ouvrir la voie aux sous-marins nucléaires français !


L'Australie et la Chine rivalisent d'aides et d'investissements dans le Pacifique

Ces dernières années, il est bien bon être un état du Pacifique. Les plages, le cocotier, le soleil... Et surtout les milliards de dollars d'aide au développement et d'investissement étrangers qui semblent tomber du ciel. Selon des chiffres compilés par le think tank australien The Lowy Institute, c'est l'Australie qui a été la plus généreuse en 2011 et 2017, distribuant 6,5 milliards de dollars US d'aide étrangère à la région, loin devant les autres grands pays de notre océan. C'est l'équivalent de 3% du PIB de la région. Ce sont les voisins les plus proches et les plus gros de l'île-continent qui ont reçu le plus de soutien, avec par exemple 376 millions de dollars juste pour la Papouasie-Nouvelle-Guinée. À égalité en deuxième et troisième place des donateurs se trouvent la Nouvelle-Zélande et la Chine, avec 1,2 milliard de dollars chacun. Suivent le Japon et les États-Unis.

Mais les aides australiennes sont en baisse, et ne semblent pas avoir l'impact diplomatique espéré. Les pays du Pacifique se rapprochent en effet de plus en plus de la Chine, que l'Australie et son allié américain considèrent désormais comme un rival stratégique. Il faut dire que les aides australiennes se dispersent en de multiples petits projets socio-économiques, environnementaux, de santé ou de développement des communautés. Les aides chinoises, elles, sont accompagnées d'investissements privés par des entreprises chinoises ou par des prêts importants de sa banque publique d'investissement, de la Banque mondiale ou de la Banque de développement asiatique. Surtout, ces aides, prêts et investissements se concentrent sur des projets d'infrastructure colossaux à fort impact stratégique. Par exemple citons l'énorme nouveau siège du gouvernement des Tonga, le nouveau palais de justice des Samoa, le nouvel aéroport des Fidji... Ou le projet aquacole de Hao en Polynésie française, incluant la rénovation de son aéroport international pour permettre des vols directs vers la Chine, officiellement pour exporter du poisson frais produit dans les fermes aquacoles.

L'Australie a d'ailleurs commencé à ajuster sa politique d'aides en réponse aux efforts chinois. Par exemple en 2018, le gouvernement australien a accepté de financer à hauteur de 100 millions de dollars un câble sous-marin entre Sydney et les îles Salomon... Pour contrer un projet de Huawei soutenu par le gouvernement chinois. L'Australie commence aussi à proposer des prêts pour des projets d'investissements, mais comme le note The Lowy Institute, la capacité d'emprunt des pays du pacifique a désormais atteint sa limite et de nouveaux prêts australiens risquent surtout de servir à... rembourser les prêts chinois !


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mercredi 5 Décembre 2018 à 17:22 | Lu 9868 fois