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Portrait: Bayard Gobrait, toute une vie au service du sport

Un homme à l’esprit d’abnégation

A 73 ans, l’un des pionniers de la reconnaissance de la boxe polynésienne continue de « se battre » pour mener cette discipline aussi loin que possible. Mais en réalité, c’est un assoiffé de sport qui a tout pratiqué dans sa vie, ou presque : boxe, football, course au 100 mètres, basket ball, volley-ball et le tennis. Sa vie pourrait être l’histoire d’un livre, voire d’un film. C’est celle d’un jeune tahitien qui se retrouve un beau matin de 1959, seul au port de Marseille. Il a froid. Il finit au commissariat. Tout commence ici…


Bayard Gobrait, à droite de la photo, en compagnie du colonel Valentini à l'occasion de la Saint Geneviève
Bayard Gobrait, à droite de la photo, en compagnie du colonel Valentini à l'occasion de la Saint Geneviève
A notre arrivée, Bayard Gobrait l’œil alerte nous accueille par un salut de l’armée. C’est sa façon, avec une dose d’humour, de dire bonjour. Tout en ouvrant le portail, ses premières paroles sont « te here o te fatu » (Recevez l’amour du Christ). C’est sa façon de nous recevoir. Ce sens de l’accueil, qu’il associe plus à de la fraternité, a toujours fait partie de lui.
Assis là sur sa véranda, le « jeune homme » (eh oui, car il aime à dire qu’en Bretagne d’où est originaire son épouse, il est une tradition qui consiste à inverser les chiffres d’un âge. 73 ans devient donc 37 ans) boit un café bien serré. Une chose est certaine, il n’est pas avare en paroles et en anecdotes. Il a une mémoire « d’éléphant ». Les moindres souvenirs d’un instant en particulier sont contés avec justesse et précision. Il n’a rien oublié de son séjour en France qui a tout de même duré…6 ans.


Des histoires et une vie

Bayard, dans les années 70 avec son fils Patrice qui deviendra un grand champion de boxe en selection nationale.
Bayard, dans les années 70 avec son fils Patrice qui deviendra un grand champion de boxe en selection nationale.
Reprenons donc. Sa vie est un livre entier dont la lecture nous plonge dans une France des années 60 où le jeune Bayard Gobrait découvre le rock’n roll et les slows de Johnny. Né le 14 décembre 1939 à la mission de Pape’ete, il quittera ses manguiers et pistachiers en 1959. Il se souvient encore de ces moments douloureux où il lui a fallu quitter son île et surtout sa famille. Quelques minutes avant d’embarquer sur le paquebot « le tahitien », sa mère « māmā Tehea » lui donna les conseils suivants : « Mon fils, quand tu iras là-bas (en France), va et respecte ! Apprends ! Travaille ! Enrichis-toi (…) quand tu reviendras, tu offriras ton savoir faire et ton expérience ! » Ces paroles raisonneront encore dans sa tête pendant les deux mois que dureront la traversée.

Son séjour sur le vieux continent commença tout de même…au poste de police, mais pas pour les raisons que l’on pourrait croire. « Ce jour-là, à Marseille, il faisait moins deux degrés. Je n’avais jamais connu ça. J’avais juste une chemise et un pantalon. J’étais gelé. On aurait dit une statue (…) heureusement, un « panier à salade » (expression qui désigne les anciennes estafettes de la police nationale) est passé par là et on m’a ramené au poste. Là, j’ai pu me réchauffer. Et le lendemain, je partais à Nîmes (dans le Languedoc Roussillon).»
Après six mois d’instruction militaire, le soldat Bayard est affecté à la cuisine de la caserne. Peu de temps après, il effectue un court séjour à Caen, puis direction la base marine de Cherbourg (en Normandie) toujours en tant que cuisinier. Cette spécialité, bien qu’il préférât le sport, le mènera à exercer au ministère de l’air, à Paris. Entre-temps, il participe à tous les tournois sportifs (football, 100 mètres, tennis et bien sûr la boxe). L’un après l’autre, il bat tous les records, forçant l’admiration des officiers hauts gradés.


A l'Avia Club , en compagnie de l'acteur Jean-Paul Belmondo.
A l'Avia Club , en compagnie de l'acteur Jean-Paul Belmondo.
Mais en 1962, c’est bien la boxe qui le mènera dans un des meilleurs clubs sportifs d’Europe, Avia Club situé à Paris. A cette époque-là, l’entraîneur officiel est Pierre Dupain. Là, il entraînera l'acteur Jean-Paul Belmondo. Pierre Dupain prend très vite le jeune Bayard sous son aile et le suit même lorsque l’entraîneur est nommé à la tête de la branche « boxe » de l’INSEP ('Institut national du sport, de l'expertise et de la performance) une école basé au bois de Vincennes (dans le 12ème arrondissement de Paris).
« C’est là véritablement que j’ai commencé ma carrière internationale car je m’entrainais avec les meilleurs. Et c’est grâce à toute la direction de l’établissement qui a cru en moi, que j’ai pu participer aux jeux du Pacifique, en 1966. J’étais donc en sélection nationale, pas tahitienne. Heureusement que le ministère de la Défense avait donné leur accord. »

Du poisson cru pour le général Mitterrand

« Mais avant tout cela, j’ai été muté à Taverny (dans le département du Val d’Oise). C’est là que se trouve le centre de commandement aérien. Et j’y ai donc exercé en tant que chef de cuisine adjoint. Il s’appelait Cartier. C’était un maître. Dans le menu, on y trouvait du homard à l’armoricaine, des pommes de terre rissolés. En dessert, il y avait le gâteau préféré du général De Gaulle, le « Montmorency ». Mais aussi du canard à l’orange. Eh oui, j’ai eu cet honneur de faire à manger pour le général De Gaulle. ».
Plus tard, en 1963, toujours entre séances d’entraînement et lustrage de la cuisine, Bayard devient maître d’hôtel et sera attaché au service du général Jacques Mitterrand qui n’est autre que le frère du président français du même nom. Une anecdote nous est contée : « un jour, on me dit : « Bayard il faut préparer un menu » ! Et moi, je n’ai pas cherché à comprendre. Je me suis dit que j’aillais leur faire une surprise. J’ai tout simplement fait un menu « spécial ». J’ai pris une dorade et découpé sa chair en lamelle. J’y ai ajouté du jus de citron. (…) peu après, je vois le serveur qui revient en me disant que le général me demandait. Inutile de vous dire que j’avais un peu peur, mais ce fut tout le contraire. Le général me demanda : « Mais quel est donc ce plat ? » et je lui répondis simplement qu’il s’agissait d’une spécialité bien polynésienne : « Du poisson cru mon général ! ». En vérité, ils n’avaient jamais mangé un plat à base de poisson aussi bon ! » avait-il ajouté. Au fond de moi, je savais que ça allait plaire. Ce fut le cas. »



Retour à Tahiti

Bayard en 1966 participe à la seconde édition des jeux du pacifique
Bayard en 1966 participe à la seconde édition des jeux du pacifique
« En 1966, lorsque j’ai participé aux jeux du pacifique, j’ai obtenu la médaille de bronze. De retour à Tahiti, j’ai essuyé beaucoup de critiques. Les gens d’ici avaient préféré Siki Vahapata, un boxeur de la sélection tahitienne. »
Ce dernier avait même proposé une rencontre sur le ring. Tout D’abord, Bayard refuse et suit les conseils d’entraîneurs locaux et nationaux qui le dissuadent car n’ayant rien à prouver. Mais la donne va changer lorsque le nom de la famille Gobrait va subir l’ostracisme populaire. Bayard finit par accepter un match contre « le puncheur » (Vahapata était réputé d’expédier ses adversaires au tapis en mois de deux ou trois rounds). La suite, c’est lui qui la raconte : « J’en avais assez d’entendre que j’avais peur. Le match n’a pas duré longtemps, j’expédiai mon adversaire au tapis. J’étais rapide et il faut dire aussi que la mauvaise expérience que j’avais eu lors de ma participation aux jeux du pacifique, m’a servi. J’avais compris qu’il ne fallait pas attaquer de front, mais de biais. J’ai bien fait. Un peu plus tard, dans les vestiaires, je l’ai vu en larmes et il m’a demandé pardon. J’étais ému.»
Aujourd’hui, quelques trente ans plus tard, Bayard nous confie : « j’ai continué la boxe en devenant entraineur. Je passe mon palmarès. Plus tard, mes 4 fils ont suivi mes traces. Je les ai toujours suivi et je leur ai inculqué la discipline. Je me suis battu pour qu’ils réussissent et j’estime que j’ai fait ce qu’il fallait. Etant directeur technique de la fédération polynésienne de boxe, nous avons une bonne équipe. Mon fils Patrice a d’ailleurs été à l’INSEP également. On va mener notre équipe au plus haut niveau car c’est le souhait du ministre des sports. Objectif : les prochains jeux olympiques en 2016, au Brésil. »
L’interview se termine, mais il a encore tant de choses à raconter, notamment sur tante Maadi Gobrait, une grande figure de l’armée française connue et respectée par les plus hauts gradés. Elle quitta ce monde l’âme en paix, comme elle l’avait demandé, sur le même lit de l’hôpital Val de Grâce, où quelques années plus tôt, madame De Gaulle rendit son dernier souffle.

TP


Maadi Gobrayt

Portrait: Bayard Gobrait, toute une vie au service du sport
Maadi Gobrait (Gobray sur les registres de la France libre) (1909 – 1980) s'était engagée dans la France combattante en janvier 1941 et était devenue membre de l'AFAT (Auxiliaires féminines de l'Armée de Terre). Elle faisait partie de ces polynésiens qui étaient présents en Afrique du Nord, au nom du bataillon du Pacifique. A son retour au fenua en 1946, elle fut nommée infirmière major de l’hôpital de Papeete, puis chef des services sociaux.
Proche du Général De Gaulle, elle correspondra avec lui jusqu'à sa mort. Cette polynésienne avait su s’imposer dans ce monde principalement masculin. Les hauts gradés de l’époque la respectaient. Il n’était pas rare qu’elle fut sollicitée pour certaines affaires de l’Etat. Son avis était aussi important que celui du premier ministre du général. Preuve que son influence était indiscutable. A noter que vous pouvez consulter son histoire dans le livre de Patrick Schlouch.
Elle était la sœur du père de Bayard. Lorsqu’il lui rendait visite, cette dame au grand cœur avait toujours une parole douce pour les autres polynésiens « qui avaient le cafard » dit Bayard.

Rédigé par TP le Samedi 26 Janvier 2013 à 07:01 | Lu 3313 fois