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Pirae et Arue "enlisées" dans les eaux usées


Tahiti, le 3 août 2021 – Le dernier rapport de la chambre territoriale des comptes n'est pas tendre avec la gestion du syndicat intercommunal d'étude de l'assainissement des eaux usées de Pirae et Arue. Les retards pris dans le projet sont énormes et les élus sont "enlisés" dans des débats techniques complexes, des changements de stratégie et une succession d'études sans réalisation… La faute à un "portage politique timoré", pointe la chambre.
 
Deux semaines après son rapport sur la SEM Vaitama assurant l'assainissement des eaux usées à Punaauia, la chambre territoriale des comptes a publié lundi son rapport d'observations définitives sur la gestion du syndicat intercommunal d'étude de l'assainissement des eaux usées de Pirae et Arue. Un sujet bien trop souvent assimilé par les communes polynésiennes aux seules difficultés à tenir le calendrier imposé par le Code général des collectivités territoriales (CGCT) pour mettre en place l'assainissement collectif ou non-collectif avant le 31 décembre 2024. Et pourtant, la question de l'assainissement des eaux usées revêt également une importance capitale en terme de "lutte contre la pollution du milieu naturel", rappelle la chambre.
 
Le rapport publié lundi évoque en effet les conclusions d'un diagnostic des installations d'assainissement non collectif –les systèmes de fosses septiques des maisons individuelles ou parfois des immeubles– qui révèlent que seules "11% des installations sont conformes" sur le territoire. Plus inquiétant, 70% de ces installations "présentent un impact sanitaire et un impact environnemental allant de moyen à fort".
 
De reports… en reports
 
Et pourtant, le moins que l'on puisse dire est que la gestion du syndicat d'étude de l'assainissement des eaux usées de Pirae et Arue est loin d'avoir suscité un intérêt majeur pour les deux communes ces dernières années… Initialement, le syndicat créé en 2010 avait prévu de boucler l'ensemble des études préalables à la gestion du service public de l'assainissement "avant la fin de l'année 2015". L'objectif était ensuite de financer les premiers travaux à partir de 2017… Problème, au moment du contrôle par la chambre territoriale des comptes, le syndicat était "encore occupé à conduire des études préparatoires et des opérations de communication".
 
Un nouveau calendrier fourni à la juridiction "pour justifier d'un plan stratégique" prévoyait ensuite la rédaction d'un schéma directeur de l'assainissement des eaux usées courant 2017, le démarrage du service public de l'assainissement non collectif en juin 2019 et le lancement des travaux d'équipements collectifs au cours du premier trimestre 2019… Re-problème, ce schéma directeur "terminé pour l'essentiel en 2017" n'était pas encore clos au moment du contrôle de la chambre en raison "d'obstacles qui semblent indépassables", écrit la juridiction. Résultat, le comité syndical a acté un nouveau report du calendrier en octobre 2020 : Le lancement des travaux d'équipements collectifs a été reporté "entre 2021 et 2026" et le démarrage du service public de l'assainissement non collectif n'est pas envisagé "avant 2027". Autant dire que Arue et Pirae n'ont pas vraiment prévu de respecter les objectifs imposés par le CGCT…
 
Des lacunes à rattraper
 
Reste à savoir quelles sont les raisons de ces retards et blocages ? Sur ce point, la chambre analyse plusieurs lacunes dans le fonctionnement du syndicat intercommunal. En terme de moyens humains et d'expertise tout d'abord, le rapport recommande de renforcer dès cette année "les moyens internes de pilotage et d'ingénierie". Le syndicat fonctionnant jusqu'ici sans recrutement de personnel, mais avec uniquement un agent de Pirae mis à disposition à 20% de temps partiel pour le suivi technique et trois agents de Arue mis à disposition à 5% de temps partiel pour le secrétariat, la comptabilité et le suivi technique. Le syndicat s'est néanmoins engagé à recruter, suite à son examen par la chambre territoriale des comptes, un directeur en catégorie A.
 
Autres difficultés mises en lumière, la "succession de calendriers et d'études" et les changements de stratégie successifs. Le rapport rappelle à ce titre les différentes évolutions du projet : D'abord un partenariat avec Mahina "qui n'a pas donné suite", puis un projet d'équipement propre sur les ex-terrains militaires à Arue ou sur le site de Matatevai à Pirae et, enfin, depuis 2015 le scénario d'une coopération avec Papeete qui s'est doté d'une centrale d'épuration de la Papeava flambant neuve. Sur ce dernier point, un accord de principe a été donné par le maire de Papeete en 2016. Une étude de faisabilité juridique a été réalisée la même année, suivie d'une expertise complémentaire pour estimer le coût financier du rapprochement et notamment son impact sur la tarification aux usagers. Dans le même temps, le syndicat intercommunal de Pirae et Arue a achevé la quasi totalité de son schéma directeur en 2017, mais "sans obtenir de certitudes précises sur le contenu de sa coopération avec Papeete".
 
"Portage politique insuffisant"
 
C'est à partir de cette date que la chambre estime que les élus du syndicat intercommunal se sont "placés dans une situation d’enlisement à l’intérieur d’un débat technique complexe où l’essentiel a été perdu de vue". En effet, la chambre insiste tout particulièrement dans son rapport sur "l'engagement timide des élus" dans ce syndicat présidé alternativement par les maires Philip Schyle et Édouard Fritch. Elle regrette un "portage politique" qu'elle qualifie à plusieurs reprises "d'insuffisant". La juridiction dit avoir identifié "trois obstacles vécus comme insurmontables" : La question du portage de la pose de la conduite entre Pirae et la station de la Papeava, celle du prix de la prestation de traitement au mètre cube facturée par Papeete ainsi que celle de la tarification du service aux usagers sur les trois communes…
 
Depuis 2017, la "succession des études" et la "bonne volonté des techniciens" ne sont pas parvenues à régler ces problèmes préalables, souligne le rapport. "Mais ces actions techniques n’ont pas par nature vocation à se substituer et à compenser un portage politique qu’il est possible de qualifier de timoré." Le syndicat ne dispose donc depuis que d'hypothèses de travail. "Or, le temps des hypothèses doit désormais laisser place au temps des réalisations", tacle la chambre. Elle recommande donc "l’intervention du politique" comme "levier d'action", jugeant indispensable que le président du syndicat, Édouard Fritch, finisse par aboutir à un compromis, ou non, avec les représentants de Papeete.
 
L'urgence d'agir
 
La conclusion du rapport est sans appel : "Dix années après la création du (syndicat), l’état de l’assainissement à Arue et à Pirae n’a pas été amélioré, n’ayant à son actif qu’un schéma directeur dont la fiabilité n’est pas démontrée". La chambre territoriale des comptes met donc en garde les deux communes contre les obligations imposées par le calendrier du CGCT. Et, "à plus court terme", elle souligne que ce projet d'envergure "ne pourra pas pleinement prétendre à s’inscrire dans le plan de relance de l’économie locale décidé par le Pays auquel il pourrait utilement participer".
 

​Assainissement non collectif : Docteur tavana et Mister président

Le rapport insiste sur l'importance pour le syndicat intercommunal de lancer le projet de "service public d'assainissement non collectif", imposé avant la fin 2024 par le CGCT. Un projet fondamental en terme sanitaire et environnemental, mais surtout un "véritable axe de progression pour le syndicat", affirme la chambre territoriale des comptes. En comparaison des "incertitudes de financement" et des "longs délais qui s'annoncent jusqu'en 2040" sur le dossier du réseau collectif d'assainissement, la chambre s'étonne à plusieurs reprises dans son rapport de voir ce projet sur l'assainissement non collectif "représentant des coûts abordables pour le syndicat" être renvoyé jusqu'en 2027.
 
Or, les explications du président du syndicat et maire de Pirae sur ce sujet ont visiblement surpris la chambre… Édouard Fritch a en effet indiqué au cours de l'instruction que la mise en place de ce projet de service public se "heurtait à une réglementation incomplète en la matière". Visiblement, il subsisterait une question non tranchée de répartition des compétences entre les commues et le Pays sur le sujet… Édouard Fritch a donc expliqué avoir sollicité le Centre d'hygiène et de salubrité publique en 2019, mais sans obtenir de position claire de celui-ci. Au détour de son commentaire face à cette situation assez ubuesque, la chambre rappelle au maire de Pirae qu'il est également président du Pays, et insiste sur "la nécessité d'une politique environnementale ambitieuse".
 
Plus cocasse encore, le rapport indique qu'en réponse aux observations de la chambre, le Pays a saisi le tribunal administratif pour demander un avis sur le droit applicable en matière de service public d'assainissement non collectif. La chambre dit "prendre acte" de cette procédure. Mais elle relève tout de même, d'une part, que cette question est posée "depuis octobre 2007" et, d'autre part, que "le document préparatoire de la politique de l’eau rédigé par le Pays considère comme acquise la compétence des communes en matière de service public d'assainissement non collectif"… Le maire Édouard Fritch n'est visiblement pas toujours en phase avec le président Édouard Fritch.
 

​Des études, encore des études…

La station d'épuration de Papeete à laquelle pourraient se raccorder les communes de Pirae et Arue.
La station d'épuration de Papeete à laquelle pourraient se raccorder les communes de Pirae et Arue.
La chambre liste "l'ensemble foisonnant d'études" réalisées par le syndicat intercommunal. D'abord en 2013, une "prestation d'assistance à maîtrise d'ouvrage" chiffrée à près de 10 millions de Fcfp pour définir son schéma directeur, passée directement auprès du haut-commissariat. Prestation pour laquelle la juridiction relève au passage une absence de mise en concurrence pour le choix du prestataire. Critique reconnue par le haut-commissariat… En 2014, le syndicat a ensuite réalisé une "étude de définition du schéma directeur de l'assainissement des eaux usées", prévue pour 35 millions de Fcfp. Une prestation qui a évolué avec l'émergence du scénario de raccordement à l'assainissement collectif de Papeete, auquel a été ajouté un projet de communication.
 
Les conditions de réalisation de cette dernière étude font l'objet d'un point complet du rapport. Sur les quatre phases prévues dans le contrat, le syndicat a souhaité relancer entièrement la dernière partie sur les études juridiques. Le marché d'étude de la phase 4 a donc été résilié en 2017, en raison de la coopération possible avec Papeete, et des études complémentaires ont été engagées. "La Chambre estime que c’est à partir de cette époque que la disjonction entre le portage politique et le suivi technique a eu des effets délétères. Le syndicat s’est en effet engouffré dans une série d’études, pour un montant prévisionnel de 174 millions de Fcfp, alors que les options politiques fondamentales avec la commune de Papeete n’avaient été qu’effleurées", écrit la chambre, qui s'interroge sur la fonction de vigie des services de l'État découlant de sa mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage.
 
Pour mener ces études complémentaires, le syndicat a passé un "marché de maîtrise d'œuvre partielle pour la mise en œuvre de la première tranche de travaux" en 2017 pour 36,5 millions de Fcfp avec un prestataire local. Mais ce marché a été résilié l'année suivante, pour prendre en compte l'évolution du périmètre liée au projet de coopération avec Papeete. Le syndicat a notamment indiqué que "la prestation ne correspondait pas à ses attentes, notamment en matière de projection de coûts qu'il jugeait trop élevés". Un nouveau marché a donc été passé l'année suivante pour un montant de 30,8 millions de Fcfp. "Or, le syndicat a indiqué en cours d’instruction que les expertises qu’il conduit depuis, confirment plutôt les hypothèses de coût formulées par le bureau d’étude retenu en 2017", écrit la chambre. En réponse aux observations de la juridiction, le syndicat a justifié toutes ces études par leur "complémentarité", mettant néanmoins ses incohérences sur le compte de "l'insuffisance de ses moyens internes de suivi" et assurant avoir revu depuis en profondeur son programme de travaux.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 3 Août 2021 à 20:37 | Lu 3306 fois