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Pas d'inéligibilité requise contre Oscar Temaru


PAPEETE, le 21 juin 2019 - Le procureur de la République, Hervé Leroy, a requis vendredi matin 5 millions de Fcfp d'amende sans aucune peine d'inéligibilité à l'encontre du maire de Faa'a, Oscar Temaru, à l'issue du procès de l'affaire Radio Tefana. Les avocats de la défense ont plaidé la relaxe et dénoncé "l'anomalie judiciaire" que constitue cette affaire. Le tribunal a mis sa décision en délibéré et rendra son jugement le 10 septembre 2019.​ 


Au terme des quatre jours du procès Tefana, et après plus de 2 heures de réquisitoire vendredi matin, le représentant du ministère public a demandé une peine d'amende de 5 millions de Fcfp à l'encontre du maire de Faa'a, mais pas d'inéligibilité. Oscar Temaru est poursuivi pour "prise illégale d'intérêt" et soupçonné d'avoir autorisé, entre 2009 et 2017, le financement sur fonds publics d'une radio destinée à promouvoir l'idéologie de son parti politique, donc en situation de "conflit d'intérêt moral et politique".

"Oscar Temaru est un homme moralement et intellectuellement honnête. Ce n'est pas un corrompu", a aussi modéré le procureur de la République. Mais "un élu depuis 36 ans ne peut ignorer ce qu'est un conflit d'intérêt". Une situation, selon lui, dans laquelle s'est régulièrement trouvé le premier magistrat de Faa'a en validant l'octroi d'aides ou de financements publics à Radio Tefana. Le parquet estime donc que "le délit est constitué" même s'il n'y a "pas d'intention frauduleuse", ni de profit à titre personnel.

Au cours de sa très longue intervention, le représentant du ministère public s'est efforcé d'échafauder un ensemble complémentaire de jurisprudences pour borner le champ du délit dont le maire de Faa'a est accusé de s'être rendu coupable. Un délit dont auraient indirectement profité Vito Maamaatuaiahutapu et Heinui Le Caill, tous deux poursuivis pour recel. 

A l'encontre de l'ancien président de l'association Te Reo o Tefana, Vito Maamaatuaiahutapu (jusqu'en 2014), le représentant du parquet a demandé 1 million de Fcfp d'amende. Contre l'actuel président, Heinui Le Caill, toujours pour recel, il a requis 400 000 Fcfp d'amende dont 200 000 Fcfp avec sursis. Enfin contre l'association Te Reo o Tefana, citée comme personne morale, le procureur a demandé 20 millions de Fcfp d'amende dont 10 millions avec sursis, pour avoir bénéficié de l'aide publique litigieuse. 

​Pour le procureur, "il faut fermer définitivement le livre des radios communales financées en contravention des règles de probité".

"Anomalie judiciaire"

Des "réquisitions au rabais", pour Me Dubois. "Ce n'est pas de chance, Oscar Temaru n'est pas un corrompu, mais la loi est comme ça : il faut le condamner", a résumé l'avocat de Vito Maamaatuaiahutapu en plaidant la relaxe de son client. Pour lui, l'affaire Radio Tefana n'est autre que le "procès du peuple ma'ohi" et de l'aspiration naturelle de "tous les peuples à la souveraineté, depuis la nuit des temps". Vincent Dubois pour qui il est "très dangereux de dire au peuple de Faa'a que demain Radio Tefana ne pourra plus émettre". En effet, si le tribunal devait suivre les réquisitions du parquet, une amende de 10 millions de Fcfp sonnerait la fermeture de la radio associative. 

Me Dominique Antz, a d'abord interpellé le tribunal sur le "caractère historique" du procès Tefana : "Oscar Temaru est un homme politique qui finira dans le Larousse. Je ne sais pas si vous avez bien pris la mesure de ce procès". Pour l’avocat de Heinui Le Caill, l'affaire Tefana est "une anomalie" judiciaire. Comment le parquet peut-il justifier la citation des prévenus au moyen d'une simple Convocation par officier de police judiciaire, et ensuite requérir en "tortillant dans tous les sens" pour établir le délit ? La COPJ est en effet habituellement réservée aux délits caractérisés et évidents. Y recourir après la garde à vue "scélérate" de novembre 2018 trahit, selon lui, la volonté du parquet de "garder la main" sur le dossier. L'enjeu, pour Me Antz : éviter l’instruction contradictoire qu’aurait nécessairement menée, "en toute indépendance", un magistrat du siège. "On s’est moqué de nous et on compte sur vous pour faire le travail", a-t-il lancé au tribunal. "Quand une affaire pénale n’est pas bien menée, il faut l’évacuer !"
 
Avant de mettre également en cause l’indépendance du parquet, et rappeler la confusion des calendriers politique et judiciaire qui caractérise cette affaire, "il aura fallu attendre 2019 pour voir l’opprobre jetée sur un homme à la probité irréprochable", a poursuivi Me Gilles Jourdaine, pour la défense d’Oscar Temaru. "En stigmatisant son attitude, vous mettriez en péril l’ensemble des subventions allouées partout dans les communes", a-t-il observé. Sur la période de prévention, de 2009 à 2017, le conseil municipal de Faa'a a pris 1061 décisions.
 
Après avoir décortiqué une à une les coquilles et les mentions erronées d’un dossier d’accusation "bâclé", Me David Koubbi a clôturé cette série de plaidoiries en évoquant un récent entretien lors duquel Oscar Temaru lui aurait fait remarquer : "Je n’ai rien pris. Je n’ai rien fait d’illégal. Je n’ai aucun intérêt". L'avocat parisien de leader souverainiste a insisté sur ce point face au tribunal : "Pour lui, c’est la relaxe ou rien. Il veut défendre sa probité et son honneur." "Avec la plus grande ferveur, je vous demande de rendre à ce dossier ce qui doit lui être rendu." Un dossier Tefana pour lequel Me Koubbi, a l'instar de ses trois confrères, a régulièrement pointé le "vide sidéral". 

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Vendredi 21 Juin 2019 à 18:53 | Lu 4900 fois