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Oscar Temaru s’explique face aux juges


PAPEETE, le 19 juin 2019 - En ce deuxième jour de procès dans le cadre de l’affaire Radio Tefana, le tribunal correctionnel de Papeete s’est penché durant de longues heures sur les faits reprochés à Oscar Temaru. A la barre, le leader indépendantiste a nié la « prise illégale d’intérêts » en affirmant que Radio Tefana n’était qu’un outil de communication destiné à la population de Faa’a.

Après une première journée consacrée aux recours procéduraux des avocats de la défense mardi, le procès de l’affaire Radio Tefana a repris hier, en présence de militants venus moins nombreux que la veille. Le tribunal est enfin rentré dans le vif du sujet, en évoquant longuement les faits reprochés à Oscar Temaru.

Le leader du Tavini est accusé d’avoir accordé des subventions publiques de la mairie de Faa’a à Radio Tefana afin de servir ses intérêts politiques axés sur la « lutte anti-nucléaire » et l’« accession à la souveraineté ». L’enquête préliminaire avait démarré à la suite d’un courrier adressé au procureur de la République et au procureur général le 29 mai 2013. Dans ce document, Me Yves Piriou, alors conseil d’Edouard Fritch dans le cadre de l’affaire Radio Maohi, sollicitait un traitement identique pour Radio Tefana et évoquait l’octroi de subventions « massives » de la mairie de Faa’a à la radio communale.
 

« Obligations légales et conventionnelles »

Dans son rapport définitif d’observation sur la gestion de la commune entre 2001 et 2008, la chambre territoriale des comptes (CTC) notait que Radio Tefana avait toujours entretenu des « relations étroites » avec Oscar Temaru et le Tavini, et qu’elle était très « dépendante » des subventions publiques. A ce titre, la CTC rappelait que Radio Tefana se devait donc de respecter les obligations « légales et conventionnelles », chose qu’elle ne « faisait pas toujours ». Le rapport indiquait cependant que la commune avait fourni des efforts « considérables » quant à sa situation financière.

L’enquête, menée par la Section de recherches (SR) de Papeete, a laissé apparaître notamment que sept agents communaux et militants du Tavini ont été mis à disposition de la radio de 1989 à 2010. Recrutés par voie d’arrêtés, sans avoir passé de concours, ces agents avaient reçu des affectations théoriques en qualité « d’ouvriers spécialisés » au sein du service de voirie de la commune de Faa’a, sans qu’aucun d’entre eux n’exerce jamais réellement cette fonction.

« Moyen de communication avec la population »

Appelé à la barre, Oscar Temaru a indiqué qu’il contestait toujours les faits qui lui étaient reprochés. En guise de préambule, le leader indépendantiste a tenu a retracer un contexte difficile où la commune venait de subir de plein fouet le cyclone Veena : « En 1983, la commune avait été très touchée car ses constructions étaient très légères. Il nous fallait alors créer un moyen de communication avec la population. A cette époque, Faa’a c’était comme la bande de Gaza ».

Selon Oscar Temaru, lorsque François Mitterrand a été élu en 1981 et qu’il a favorisé l’essor des radios libres, il « était urgent de dénoncer le risque du génocide culturel » en Polynésie. Le leader du Tavini lâchant ce mercredi que « si tout le monde écoutait Radio Tefana, le Pays serait indépendant aujourd’hui ».

Entendu sur la mise à disposition d’employés de la commune pour Radio Tefana, le leader indépendantiste a eu quelques difficultés à justifier l’emploi de ces sept personnes, ouvriers spécialisés sur leurs fiches de paie et journalistes dans la vraie vie. « Vous savez, la commune de Faa’a, ce sont des gens défavorisés. Alors, nous préférons leur donner du travail que de les voir à Nuutania », a répondu le leader indépendantiste au président du tribunal, qui lui a opposé qu’il était un peu « étrange » d’affecter une personne au service de la voirie pour « lui dire : tu vas être journaliste ». Interrogé sur la qualité de « militants » du Tavini de ces mêmes employés communaux, Oscar Temaru a été immédiatement secouru par son conseil Me David Koubbi. L’avocat affirmant que dans la mesure où son client avait signé 985 délibérations en 60 séances du conseil municipal, il n’était pas «sérieux » de lui poser des « questions aussi précises ».

Le procès, initialement prévu sur une demi-journée, puis sur deux jours, va finalement se prolonger au moins jeudi. Mais au regard des nombreux témoins à faire citer par la défense, l’audience pourrait se prolonger jusqu’à vendredi.

Stanley Cross, avocat de la commune de Faa’a : « Nous ne nous considérons pas comme des victimes »

Bien que partie civile dans ce procès, la commune de Faa’a, que vous représentez, défend la position d’Oscar temaru. N’est-ce pas un peu paradoxal ?

« Le procureur de la République a considéré que la commune de Faa’a a été une victime dans ce dossier et le conseil municipal considère les choses autrement. Car si les 30 000 habitants de la commune de Faa’a s’estiment victimes d’Oscar Temaru, il faudrait s’interroger sur la manière dont ils ont pu voter pour lui au premier tour en 1983, en 1989, en 1995, en 2001, en 2008 et en 2014. C’est-à-dire qu’à cinq reprises, ces habitants ont renouvelé leur confiance vis-à-vis de M. Oscar Temaru. Dans ce dossier, le procureur de la République estime que nous devons nous présenter à l’audience. Alors, certes, nous nous présentons, mais nous allons tout de même dire au tribunal qu’à la différence du procureur de la République, nous ne nous considérons pas comme des victimes. Nous devrons quand même faire entendre notre voix. »

Vous êtes donc partie civile par obligation ?

« Certainement. C’est la vision du procureur de la République qui considère, parce qu’il a besoin que son dossier soit consolidé, qu’au travers de la commune de Faa’a, il aura notre soutien. Mais ce n’est pas le cas. Pour celui qui représente la commune de Faa’a aujourd’hui, M. Robert Maker, et pour le conseil municipal à l’unanimité, ils ne voient pas les choses de cette manière. Ils ne comprennent pas que l’on puisse reprocher à Oscar Temaru une prise illégale d’intérêt alors qu’ils ont voté ces subventions à l’unanimité. Et s’il fallait engager de nouvelles poursuites aujourd’hui, il faudrait que le procureur de la République ait le courage de poursuivre non pas M. Temaru seul mais l’ensemble du conseil municipal. »

Au regard de votre longue carrière d’avocat, vous pouvez comprendre que l’on s’étonne que la partie civile soit du côté de la défense ?

« Non, ce n’est pas du tout étonnant. Je vais vous donner un exemple très récent. M. Benoît Kautai a été condamné pour « détournement de fonds publics » et nous venons d’apprendre que le Pays, partie civile, a décidé de ne pas réclamer de dommages et intérêts alors que les faits sont avérés. »

Rédigé par Garance Colbert le Mercredi 19 Juin 2019 à 19:54 | Lu 2946 fois