Tahiti Infos

Orofara : Tableau vivant pour clôturer le centenaire de la léproserie


Illustration vivante de la vie à Orofara rythmée par l'école et l'infirmerie
Illustration vivante de la vie à Orofara rythmée par l'école et l'infirmerie
MAHINA, le 27 janvier 2015 - La léproserie d'Orofara a été ouverte en 1914 et a accueilli jusqu'à 250 malades. Aujourd'hui ils ne sont plus que sept malades en vie, et ce sont désormais les habitants de la vallée qui prennent soin d'eux. Mais la mémoire de ce lieu ancré dans l'histoire polynésienne reste vivante à Mahina.

Dimanche 25 janvier, le personnel de la mairie de Mahina et les habitants de la vallée d'Orofara ont clôturé une année de célébration mettant à l'honneur l'histoire de la léproserie de Tahiti et ses sept derniers occupants.

Malgré les trombes d'eaux et le chapiteau partiellement inondé, les habitants du village étaient venus nombreux pour montrer toute l'affection qu'ils portent à "leur" léproserie et à ses occupants. Des malades qui, atteints par cette terrible maladie qu'est la lèpre, ont souvent été abandonnées par leurs familles. Mais à Orofara, ils en ont trouvé une nouvelle.

La journée a été rythmée par le récit de toute l'histoire de la léproserie, illustrée de tableaux vivants en costume d'époque mettant en scène habitants du village et employés et élus municipaux de Mahina. Une chorale a également entamé les chants d'époque, qui ont souvent ému toute l'assemblée.

La scène de départ remontait aux premiers établissements de soins pour lépreux installés dans nos îles. La première fut installée par la reine Pomare à Motu Uta, en 1874, et d'autres ont suivi aux marquises, à Puamau et Tehutu, avant qu'elles ne soient toutes fermées à cause de leur coût. Mais devant l'ampleur de l'épidémie, et face aux près de 98 malades incurables au début du 20ème siècle, c'est à Orofara qu'une grande léproserie sera finalement construite et financée par l'EFO en 1914.

Lorsqu'arriva enfin un remède contre la lèpre en 1956 et que les malades furent progressivement guéris, la léproserie fut transformée en dispensaire en 1976, chargé de soigner les séquelles irréversibles qui touchent les lépreux. Ce dispensaire ferma lui-aussi en 1996. Pourtant, les habitants n'ont pas rejeté les lépreux qui y habitaient, car ce village était désormais le leur. Au contraire, ils se battent encore aujourd'hui pour que les sept derniers lépreux en vie aient des conditions de vie décentes, que leurs fare soient restaurés et surtout que la mémoire d'Orofara survive.


Titaua Manafenuaroa, de l'association Te Ui Taure'a No Orofara
Titaua Manafenuaroa, de l'association Te Ui Taure'a No Orofara
Titaua Manafenuaroa, de l'association Te Ui Taure'a No Orofara

"Nous avons pour but d'aider les malades dans leurs besoins quotidiens, qu'ils restent dans le confort. L'année dernière nous avons pu rénover la maison d'un des malades avec l'aide de la commune, de dons et de bénévoles.

Nous, on vit avec eux, on est au quotidien avec, c'est comme s'ils étaient de la famille. Ca fait plus de 50 ans qu'ils sont là, ils étaient là avant moi. Ils ont toujours vécu là parce qu'ils n'ont pas pu rentrer chez eux, ils étaient même rejetés par leurs propres familles. Mais nous, nous n'avons pas peur. Je suis arrivé là quand j'avais 4 ans, ma maman était garde-malade. Et nous sommes restés. Moi je suis fière d'avoir cette léproserie dans le village. C'est vrai qu'avant, quand on prenait le truck pour aller à l'école, on nous regardait de travers, mais ça ne m'a pas du tout gêné, parce que la maladie n'était plus contagieuse.

Là on fête la clôture du centenaire et c'est aussi la 62ème Journée mondiale de la lèpre. On fêtait cette date tous les ans, on faisait un grand tamara'a pour les malades, et ça fait trois ans que la mairie s'est jointe à nous, et c'est plus médiatisé.

Pour l'avenir, j'espère pouvoir rénover les maisons, mais nous n'en sommes pas propriétaires, elles appartiennent au Pays, et du coup on ne peut pas avoir d'aides de l'OPH ou du Pays. Il nous faut des dons pour rénover les 6 dernières maisons des malades."



Le docteur Lam Nguyen
Le docteur Lam Nguyen
Le docteur Lam Nguyen: "Il y a encore des gens qui sont contaminés par la lèpre chaque année en Polynésie"

"Je m'occupe des patients lépreux depuis 1989, quand je suis arrivé en Polynésie. Aujourd'hui ces patients sont tous guéris, mais ils ont des séquelles. Une fois que les nerfs sont attaqués, on perd les doigts, les mains, la vue… on ne peut pas les restaurer. Mais sur le plan infectieux ils ne sont plus contagieux.

Aujourd'hui en Polynésie des gens tombent encore malades de la lèpre. Au cours des 20 dernières années il y a eu entre 2 et 8 nouvelles contaminations chaque année. On ne sait pourquoi la circulation de la bactérie continue alors que les conditions de vie s'améliorent. Il y a aussi peut-être le fait que la maladie est moins connue, donc les gens qui sont infectées mettent beaucoup de temps avant d'être diagnostiqués correctement.

Ce sont les contacts répétés avec des gens qui sont porteurs, mais ne savent pas qu'ils ont la maladie et ne sont pas traités, qui peuvent vous contaminer. En général, on peut se douter qu'on a la maladie quand des taches insensibles apparaissent sur la peau. Des taches décolorées sur les peaux sombres, ou des taches un peu rougeâtres sur les peaux claires, avec un manque de sensibilité, indiquent qu'il faut aller consulter. Il faut alors éliminer d'abord la lèpre, et après on peut voir si c'est autre chose. Les gens qui sont soignés tôt peuvent être guéris sans aucunes séquelles."



Chantal Kwong, 9ème adjointe au maire
Chantal Kwong, 9ème adjointe au maire
Chantal Kwong, 9ème adjointe au maire de Mahina, en charge des affaires sociales et de la famille

"Nous avons voulu faire une animation toute spéciale à offrir aux villageois pour la clôture du centenaire. C'est le tableau vivant qui a été présenté, qui a nécessité deux semaines de travail. La documentation a été recueillie auprès des habitants du village et ce qui était présent sur les sites internet Tahiti héritage et Tahiti aux temps anciens.

Orofara a été ouvert en 1914 après deux longues années de recherche de la part des autorités de la colonie, pour regrouper tous les malades de Polynésie française. Pour clôturer ce centenaire nous espérons que les autorités fassent un grand effort pour faire évoluer la situation foncière, pour que la vie évolue dans le sens des familles d'ici.

La léproserie a été fermée en 1976, puis s'est transformée en communauté et village, et a évolué lentement en un dispensaire. La commune est très fière de cette léproserie, et notre objectif est de l'inscrire au Patrimoine mondial de l'humanité."

Les derniers anciens malades d'Orofara étaient très émus
Les derniers anciens malades d'Orofara étaient très émus

Chantal Kwong a fait le récit de l'histoire de la léproserie et la chorale l'a illustré en musique
Chantal Kwong a fait le récit de l'histoire de la léproserie et la chorale l'a illustré en musique

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 27 Janvier 2015 à 16:31 | Lu 1358 fois