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Onu, même lieu, mêmes discours


Tahiti, le 7 octobre 2025 - Une délégation d’élus indépendantistes et autonomistes est actuellement à New York où ils ont évoqué ce mardi l’avenir institutionnel du Fenua devant la 4e commission spéciale sur la décolonisation de l’ONU. Chacun y a défendu sa position, sans faire bouger les lignes.
 

Comme chaque année désormais, pendant une semaine, les dossiers prioritaires de l’assemblée de la Polynésie française, constitutifs du prochain budget du Pays, vont devoir attendre que les élus du Tavini et du Tapura soient revenus de New York où ils sont allés parler de l’avenir institutionnel du Fenua devant la 4e commission spéciale sur la décolonisation de l’ONU.
 
Au menu de cette nouvelle réunion, de nombreuses prises de parole de représentants polynésiens avec des propos plus ou moins durs, plus ou moins cohérents aussi, dans une nouvelle litanie de discours. Les uns ont défendu le droit à l’indépendance, les autres le maintien dans la République et l’État a maintenu sa position. Un statu quo général qui n’a pas semblé être en mesure de faire avancer le schmilblick à l’international alors que la puissance administrante est elle-même engluée dans ses propres turpitudes institutionnelles.

Le choix du peuple

C’est le président du Pays, Moetai Brotherson, qui a ouvert le bal des demandes auprès de l’ONU d’intervenir auprès de l’État pour demander qu’un dialogue soit enfin ouvert sur la question de l’indépendance en Polynésie française. “La Polynésie ne bénéficie pas d’une réelle autonomie”, a-t-il souhaité rappeler. “Notre situation politique ne peut être considérée comme finale”, a glissé le président, demandant ainsi une modification institutionnelle.
 
Toujours en demandant une visite d’une délégation de l’ONU en Polynésie française pour lancer les discussions localement et prendre le pouls de ce que pensent vraiment les Polynésiens, Moetai Brotherson a aussi insisté sur le calme de la démarche portée par les indépendantistes. “Là où le dialogue est absent, les tensions remontent et explosent”, prévient-il cependant. “Le dialogue est la seule voie à suivre”, a-t-il conclu.
 
Des propos d’ouverture suivis ensuite par une multitude d’intervenants pour défendre la position du Tavini d’engager un dialogue vers l’indépendance. Philippe Neuffer, pour l’Église protestante mā’ohi, est revenu sur l’apprentissage de la langue et l’intégration des notions de décolonisation dans les manuels scolaires pour “donner des outils aux enfants pour en finir avec cette malédiction de l’échec scolaire”.
 
Richard Tuheiava, pour sa part, a préféré remettre en cause les chiffres des transferts financiers de l’État, pour parler de ce que la France gagne en retour, “des contrats”, des “marchés dans des secteurs clés”, et dénoncer la “toxicité des relations financières avec la France”.
 
Le même thème de l’indépendance a été ainsi décliné à de nombreuses reprises. “Respect de la Charte des droits de l’Homme” et “celle des Nations Unies” pour la représentante Sylvana Tiatoa. Restauration “de la confiance du peuple”, pour l’élu Cliff Loussan. Même discours pour Élise Vanaa qui souhaite “garantir au peuple son choix” avant la conclusion brutale, fidèle à son style, de Maurea Maamaatuaiahutapu. “Nous supportons l’occupation et le génocide”, a-t-elle avancé dans des propos traduits en séance, “avec la complicité de la France et d’autres puissances occidentales. Le président français a changé de position. Comment l’État divisé prétend pouvoir donner des leçons de démocratie à d’autres ? C’est l’hypocrisie d’une nation qui prétend défendre la liberté à l’étranger alors qu’elle refuse la discussion avec ses territoires d’outre-mer colonisés.”

Sans transfert, point de salut

Éparpillés entre deux déclarations indépendantistes, les autonomistes ont tenté pour leur part de faire entendre leur voix après que l’ambassadeur de France sur place, Jérôme Bonnafont, a rappelé quelques fondamentaux du discours de l’Élysée : “Autonomie spécifique”“dialogue constant et sans intermédiaire”“dialogue de confiance avec Moetai Brotherson”“compétence en toutes matières”“transferts financiers à la Polynésie”.
 
Ce sont justement ces transferts que William Vanizette a mis en avant dans son discours. “L’arrêt des transferts serait un cataclysme financier et social”, a-t-il expliqué de son côté alors que la représentante Dylma Aro préférait pour sa part revenir sur “le projet cohérent” de l’autonomie.
 
Pour démonter les discours des élus Tavini, Tepuaraurii Teriitahi et Moerani Frébault se sont donné la main. “La Polynésie vaut mieux que les propos erronés que vous venez d’entendre”, a lancé l’élue de Paea. “L’autonomie n’est pas une prison”, a rebondi le député marquisien. Édouard Fritch a préféré tordre le cou lors de sa prise de parole aux “vendeurs de rêve ” en les invitant à travailler “un peu plus pour notre pays”.
 
Pendant une heure et demie, les pétitionnaires polynésiens se sont donc succédé à New York, sans laisser présager un quelconque retournement de situation, dans un sens comme dans l’autre, au terme de cette succession de monologues.
 
Place maintenant au retour au bercail pour attaquer l’étude du budget de la Polynésie française pour 2026. Le seul dossier qui s’intéresse finalement aux préoccupations de tous les Polynésiens.

L’ice, la faute de l’État

Sans surprise, puisqu’annoncé par Richard Tuheiava en conférence de presse la semaine dernière, le sujet de l’ice a été évoqué à New York par les pétitionnaires indépendantistes. Sans surprise non plus, certains ont cru bon de lier colonisation et consommation de stupéfiants. “L’ice est une arme contre notre jeunesse et notre culture”, a martelé une représentante de l’Église protestante mā’ohi. Des propos appuyés plus tard par Heinui Le Caill. “L’ice détruit nos familles, nos jeunes, leur avenir et est une menace sanitaire et sociale”, a-t-il expliqué, filant l’affiliation entre la métamphétamine et la décolonisation. “Au cœur du problème, il y a le déni de l’autodétermination qui nous rend vulnérables et sans pouvoir de protéger nos enfants. Ça a commencé par les essais nucléaires et ça finit par les drogues.”
 
Pour prononcer ces mots au lendemain d’une saisie d’ice par l’État de 15 kilos, alors que la fédération de lutte contre les drogues se bat pour avoir les agréments du Pays, il faut avoir une bonne dose de confiance en soi.

Le cas Pihaatae

Le président de l’Église protestante mā’ohi était le troisième intervenant à prendre la parole mardi, après le président du Pays et l’ambassadeur de France. Alors que l’attention du public n’était pas encore effritée par le nombre de monologues, François Pihaatae a encore offert à l’audience un débordement dont lui seul est capable. “L’une des conséquences les plus néfastes de l’arrivée des Européens sur nos rives a été la grippe espagnole”, a-t-il rappelé.
 
Pour le président de l’Église protestante mā’ohi, de la grippe espagnole aux essais nucléaires, il n’y a qu’un pas, aisément franchi. Soit. Mais emporté par son élan, il fait un deuxième pas liant l’État à la crise Covid. Alors qu’il parlait des essais, des conséquences sanitaires et de la multiplication des cancers, François Pihaatae s’est ensuite vautré dans le complot. Parlant du “mensonge délibéré de la puissance administrante” sur le caractère inoffensif des essais nucléaires, il a aussi mis en avant d’autres mensonges d’État. “La même chose peut se dire sur les vaccins préventifs qui se sont révélés mortels pour certaines personnes et qui entravent le développement des nouveau-nés et a développé des risques de stérilité.”
 
Vaccins et ice, deux stratégies, selon lui, utilisées pour “anéantir le peuple mā’ohi”.

Rédigé par Bertrand PREVOST le Mardi 7 Octobre 2025 à 18:48 | Lu 2893 fois