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Obligation vaccinale : Les entreprises dans le flou


Tahiti, le 6 septembre 2021 - Applicable depuis la semaine dernière, la loi sur l’obligation vaccinale dans le cadre de la gestion de la crise Covid a du mal à trouver sa place dans les entreprises. Alors que deux mois sont laissés aux professionnels visés pour se soumettre à l’obligation, le patronat déplore une copie imparfaite et floue de la loi métropolitaine qui expose leurs responsabilités au fenua.
 
Adoptée et mise en application en moins d’une semaine fin août, la loi sur l’obligation vaccinale donne deux mois à la cohorte qu’elle vise pour se mettre en conformité avec ses dispositions. À compter du 23 octobre prochain, elle sera opposable à un spectre on ne peut plus large de professionnels sur le territoire. Il comprend tous les professionnels et les agents de l’administration qui travaillent au contact du public, ceux dont l’emploi est incompatible avec le respect des gestes barrières ou encore ceux, comme les dockers, dont la défaillance potentielle pourrait causer un risque "systémique" pour le fonctionnement du Pays.
 
En France, la loi du 5 août relative à la gestion de la crise sanitaire prévoit une vaccination obligatoire contre le covid 19 pour un public bien moins large : Les professionnels de santé au contact des personnes fragiles. Surtout, les employeurs sont chargés de sa mise en œuvre avec obligation légale de sanctionner les salariés récalcitrants et la possibilité de prononcer une suspension de contrat de travail, sans salaire, après épuisement du stock de congés payés.
 
Ce n’est pas le cas en Polynésie où les contrôles seront diligentés, à partir du 23 octobre, par l’Agence de régulation de l’action sanitaire et sociale (Arass), épaulée par les agents de la Direction de la santé. "Si vous lisez bien le texte et son arrêté d’application, à part l’agent comptable qui travaillerait seul dans son bureau sans jamais croiser personne, ce texte concerne pratiquement tous des travailleurs polynésiens", ironise le syndicaliste Yves Laugrost en pointant près de 60 000 personnes concernées en Polynésie, agents de la fonction publique inclus. "Qui va contrôler : les trois médecins et le pharmacien de l’Arass ?"
 
Qui paye ne contrôle pas
 
Mais du côté du patronat, on voit approcher l’échéance avec moins d’humour et une foule de questions encore sans réponse. Surtout, le sentiment s’installe d’avoir été propulsé aux avant-postes des responsabilités, sans réel moyen de coercition. Interrogations pour lesquelles la Foire aux questions publiée en fin de semaine dernière par la Direction du travail ne répond pas, ou partiellement. Qui peut contrôler le statut vaccinal des salariés concernés en interne ? "L’employeur", répond la FAQ de la Direction du travail. Mais que peut-il faire lorsqu’un salarié visé par la réglementation refuse de se faire vacciner ou de présenter un justificatif de son statut vaccinal ? "Il est conseillé de privilégier le dialogue", recommande mollement la Direction du travail. Les cas limites peuvent être réglés par avenant au contrat de travail, avec une affectation temporaire sur un poste non soumis à obligation vaccinale, ou le placement en télétravail. Et pour les cas où le blocage serait persistant, il est proposé de porter l’affaire à l’appréciation du juge, dans le cadre d’une procédure de droit commun…
 
Mais quid de la responsabilité des employeurs dans la distinction des personnels éligibles à l’obligation vaccinale dans leur effectif salarié ? Leur responsabilité au titre de la sécurité et de la santé des salariés est-elle engagée lorsqu’un salarié récalcitrant fait courir un risque de contamination à ses collègues ? Quid des voies de communication avec l’Agence de la régulation sanitaire et sociale (Arass) pour le contrôle du respect de l’obligation vaccinale ? "On a écrit au ministère. On attend les réponses. On n’applique rien", tranche le président de la CPME, Christophe Plée. "Dans l’état actuel des choses, on n’exige rien de nos salariés. C’est l’Arass qui devra s’en occuper."
 
Question de responsabilité
 
"Pour l’instant, je me cache derrière la loi", admet sous couvert d’anonymat un autre patron de PME, en assumant pleinement la passivité de son attitude. La réglementation est affichée en évidence depuis la semaine dernière dans son entreprise. Par mail, il a informé ses collaborateurs du caractère dorénavant applicable du texte. "C’est sûr qu’en terme de management, il serait préférable d’aborder cette question avec les employés. Mais je crains que ce soit un débat sans fin."
 
Une posture en mode ‘service minimum’, que le Medef-Polynésie refuse d’adopter. "À partir du moment où la réglementation est étendue à tout le monde, il aurait été normal de nous donner le moyen de la rendre applicable en entreprise", s’indigne Frédéric Dock, le président du syndicat patronal. "Quand on réglemente, on ne peut pas faire que la moitié du chemin."
 
Sans aucun moyen donné aux employeurs pour contrôler le statut vaccinal des employés, ce patron a tendance à redouter les risques auxquels s’exposent les patrons : "Je me pose sérieusement la question de la responsabilité. Imaginez un salarié victime de complications après avoir été contaminé sur son lieu de travail par un collègue qui ne serait pas vacciné… L’employeur peut être poursuivi. On est dans l’inconnu à partir du moment où la loi ne nous dégage pas de cette responsabilité." Pour Frédéric Dock, le silence de la loi du Pays sur ces points est d’autant plus "injuste" que le patronat "a facilité la campagne de vaccination en organisant des créneaux au sein de nos entreprises. On a œuvré pour la vaccination et aujourd’hui, on se retrouve confrontés à une réglementation qui ne sert à rien, si ce n’est à exposer la responsabilité du chef d’entreprise."
 
Le Medef-Polynésie est également en attente de réponses aux courriers adressés la semaine dernière au ministère du Travail pour soulever la problématique de la mise en place de l’obligation vaccinale dans les entreprises. En attendant, "on invite les employeurs à être extrêmement prudents sur ce qu’ils demandent aux salariés. Et on continue à faire la promotion de la vaccination".

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 6 Septembre 2021 à 19:42 | Lu 5692 fois