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Nucléaire: des députés proposent des mesures pour combler des "failles" de sécurité


Paris, France | AFP | jeudi 05/07/2018 - Une commission d'enquête parlementaire a préconisé jeudi 33 mesures pour rendre les centrales nucléaires plus sûres face aux risques d'accident et de terrorisme, après avoir identifié des "failles".

Renforcer le rôle de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), contrôler la sous-traitance dans le secteur, envisager d'autres modes de stockage des déchets, mettre plus de gendarmes dans les centrales ou publier un programme prévisionnel des réacteurs à démanteler... Les députés se sont attaqués à de nombreux sujets, parfois techniques. 
"Quand on cherche des failles, on en trouve et on en a trouvé un certain nombre, dont certaines sont plus préoccupantes que d'autres", a déclaré la députée LREM Barbara Pompili, rapporteure de ce texte, lors de sa remise au président de l'assemblée François de Rugy.
La commission avait été lancée début février pour faire le point sur les enjeux de sûreté (éviter les accidents) et de sécurité (contre les actes de malveillance), dans un pays qui compte 19 installations nucléaires et l'usine de retraitement de La Hague.
Présidée par Paul Christophe (UDI-Agir), elle avait enchaîné les auditions et les visites de sites pendant cinq mois, jusqu'au Japon.
Ces travaux font suite à la catastrophe de Fukushima, mais aussi à plusieurs intrusions sur des sites d'EDF de militants Greenpeace pour dénoncer le "risque nucléaire". Encore mardi, un drone de l'organisation a survolé une centrale proche de Lyon.

- Secret défense -

 
Ce rraport est publié alors que la France est en pleine réflexion sur son avenir énergétique. Le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot avait promis le 29 juin un "échéancier" précis d'ici à la fin de l'année sur la fermeture de réacteurs nucléaires. 
Les députés recommandent, eux, "la connaissance même approximative d'un échéancier de démantèlement", dont le coût et le financement restent problématiques. "On peut imaginer que la première échéance pourrait concerner les réacteurs du Bugey, mis en service en 1979", avancent-ils.
Ils soulignent aussi que "la prolongation de l'exploitation du parc actuel n'est pas certaine, malgré la volonté affichée d'EDF" de prolonger la vie de ses réacteurs au-delà de 40 ans. 
Autre question épineuse abordée : le projet "Cigéo" d'enfouissement en profondeur des déchets nucléaires à Bure (Meuse), dont le rapport souligne les "vulnérabilités certaines". Les députés préconisent ainsi d'explorer une alternative : l'entreposage de longue durée en "subsurface", c'est-à-dire à faible profondeur.
Le rapport se penche aussi longuement sur la question de la sous-traitance, monnaie courante dans l'industrie nucléaire. Il recommande de "favoriser la réintégration des compétences au sein des entreprises exploitantes afin de contenir le niveau de sous-traitance et, de ce fait, de mieux maîtriser la conduite des sites".
EDF a réagi en assurant ne pas avoir augmenté depuis 15 ans son recours à la sous-traitance pour la maintenance des équipements. Il a aussi pointé "un certain nombre d'erreurs factuelles" dans le rapport et promis d'apporter des précisions d'ici fin juillet. 
Enfin, les députés préconisent la création d'une Délégation parlementaire au nucléaire civil, dont les membres pourraient avoir accès aux informations classifiées nécessaires, à l'image de ce qui se fait déjà dans le domaine du renseignement.
Les membres de la commission d'enquête se plaignent d'ailleurs de s'être heurtés au secret défense invoqué par les pouvoirs publics, comme par EDF, notamment sur la question de la résistance à une attaque des piscines, où sont entreposés les combustibles irradiés.
"On a plutôt le sentiment qu'un gros travail est fait pour essayer de protéger les centrales, mais on ne peut pas le vérifier", a regretté Barbara Pompili.
Signe de tensions au sein de cette commission pluripartisane, la publication du rapport a été votée par 15 voix pour, six contre et deux abstentions. L'examen du rapport fin juin a aussi été marqué par quelques controverses. 
"Ce rapport souffre d'un péché originel dans sa construction. Il comporte un postulat de départ selon lequel les opposants au nucléaire, les antinucléaires, ont raison", a ainsi jugé le député (LR) Julien Aubert. "La commission d'enquête n'est pas tombée dans le piège d'un débat pour ou contre le nucléaire", assure de son côté Paul Christophe.

Nucléaire: un millier d'incidents par an en France

Environ un millier d'incidents ou accidents sont répertoriés chaque année dans les installations nucléaires en France par l'Autorité de sûreté du nucléaire (ASN), la plupart situés en bas de l'échelle en terme de gravité.

Ces "événements significatifs" sont classés par l'ASN selon l'échelle internationale Ines (International Nuclear Event Scale), conçue par l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique), qui va de 0 pour les incidents mineurs à 7 pour les "accidents majeurs".
La catastrophe de Tchernobyl en Ukraine en 1986 et celle de Fukushima au Japon en 2011 sont à ce jour les seuls événements de niveau 7. Ce niveau signifie un "rejet majeur de matières radioactives avec des effets considérables sur la santé et l'environnement".
Le niveau 6 correspond à un "accident grave" tandis que le niveau 5 signifie un "accident ayant des conséquences étendues". C'était le cas de l'accident de Three Mile Island aux Etats-Unis en 1979 avec fusion partielle du coeur du réacteur.
 

- Coeur endommagé à Saint-Laurent -

 
D'après ce classement, l'incident nucléaire le plus grave répertorié en France, a été un accident de niveau 4 causé par l'endommagement du coeur d'un réacteur de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher) en mars 1980.
Le niveau 4 correspond à un "accident ayant des conséquences locales", à un "rejet mineur de matières radioactives" mais avec un endommagement important du cœur du réacteur.
A Saint-Laurent, une tôle est venue boucher accidentellement des canaux dans le réacteur, entraînant des "dégâts importants" avec la fusion de 20 kg d'uranium et obligeant à des opérations "délicates" de remise en état, selon l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire).
Le niveau de contamination était tel dans le réacteur qu'il a fallu utiliser des moyens télécommandés avant que des travailleurs puissent intervenir pour récupérer les débris, rapporte l'IRSN.
Dans la liste des accidents/incidents répertoriés en France par l'ASN viennent ensuite trois événements de niveau 3, décrits comme "incidents graves". Parmi ceux-ci: l'incendie d'un silo de stockage à l'usine de retraitement de La Hague (Manche) en 1981. 
Le niveau 3 correspond à un "accident évité de peu dans une centrale nucléaire avec défaillance de toutes les dispositions en matière de sûreté".
 

- Station de pompage bouchée à Cruas -

 
Le niveau 2 correspond à un "incident" avec des "défaillances importantes des dispositions en matière de sûreté" mais "sans conséquences réelles".
Ce niveau peut toutefois conduire à une irradiation dépassant les 10 millisieverts pour le public, dose comparable à celle reçue par un patient pour un scanner de l'abdomen et du bassin.
Dans ses derniers bilans, l'ASN a relevé neuf incidents de niveau 2 entre 2012 et 2017. Exemple d'incidents classés 2: en 2009 des débris de végétaux charriés par la crue du Rhône bouchent pendant dix heures la station de pompage pour le refroidissement d'un réacteur de la centrale de Cruas (Ardèche).
Enfin pour les événements de niveau 1, décrits comme des "anomalies", on en compte en France près d'une centaine par an. Ce type d'incident peut conduire à des irradiations pour le public dépassant la dose annuelle maximum réglementaire fixée à 1 millisievert (dose comparable à celle reçue pour une radiographie du bassin).
En 2017 (dernier bilan disponible), l'ASN a relevé 87 incidents de niveau 1 et 949 événements de niveau 0 qui, eux, n'ont "aucune importance du point de vue de la sécurité" ainsi que quatre incidents de niveau 2, soit un total de 1.040 incidents (contre 948 en 2016 et 1.032 en 2012).
 
Sources: ASN, IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) et AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique).

le Jeudi 5 Juillet 2018 à 05:30 | Lu 124 fois