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Nucléaire : La proposition de loi Brotherson retoquée


(Photo : Gonzalo Fuentes/AFP).
(Photo : Gonzalo Fuentes/AFP).
Paris, le 17 juin 2021 - Réunis dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale jeudi 17 juin, une majorité de députés ont voté contre une proposition de loi sur "la réparation des conséquences des essais nucléaires français" portée par le parlementaire polynésien Moetai Brotherson.

"L'ensemble des articles ayant été rejeté, la proposition de loi est rejetée". La soirée de ce jeudi 17 juin est bien avancée à Paris : au terme d'un peu plus de deux heures de débat, le président de séance de l'Assemblée nationale acte le rejet de la proposition de loi "visant à la prise en charge et à la réparation des conséquences des essais nucléaires français". Malgré le refus de l'Assemblée nationale, des applaudissements fusent dans l'hémicycle clairsemé. Quel que soit leur bord politique, tous les responsables politiques ayant pris la parole lors des débats ont tenu à souligner à quel point les demandes formulées dans la proposition de loi sont "légitimes" et "honorables". 

Le texte comportait trois articles, dont le premier consistait à mettre en place une commission indépendante visant à dépolluer les atolls de Moruroa et Fangataufa. L'article deux changeait les règles d'indemnisation des victimes en supprimant notamment le seuil de 1 millisievert d'exposition à des rayonnements ionisants pour pouvoir prétendre à une indemnisation. Il s'agissait autant du volet "transgénérationnel" de la proposition de loi que d'élargir aux victimes indirectes et aux ayant-droits la possibilité d'être indemnisés par la France. Enfin, le dernier volet de la proposition de loi de Moetai Brotherson consistait en une prise en charge financière par l'État français des frais de santé des Polynésiens irradiés, via une enveloppe budgétaire attribuée à la CPS. Ces demandes sont celles des associations de victimes, au fenua.

Pas asses d'éléments

Aucune de ces trois propositions n'a obtenu d'avis favorable du gouvernement, représenté dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale par les ministres de la Santé, Olivier Véran et de la Défense, Florence Parly. "Les éléments scientifiques dont nous disposons, obtenus lors d'études menées en collaboration avec des très nombreuses institutions internationales dont l'ONU, ne nous permettent pas d'établir le lien entre expositions aux rayons ionisants et conséquences sanitaires sur la descendance", a par exemple défendu le ministre de la Santé, Olivier Véran. Avant de défendre tout aussi fermement "le seuil de 1 millisievert, un niveau très faible, établi grâce à des références scientifiques, un point d'équilibre".

La ministre de la Défense, tout comme les élus de la majorité présidentielle inscrits dans le groupe La République en marche (LREM) a surtout renvoyé le temps de la discussion à la table ronde sur les conséquences des essais nucléaires qui sera organisée les 1er et 2 juillet à l'Élysée, en présence du président de la république Emmanuel Macron. "Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite est aujourd'hui indemnisée : il est toujours possible d'améliorer certaines choses et pour cela la table ronde réunira tous les acteurs concernés."

"Un sujet douloureux"

Un avis optimiste et loin d'être partagé par tous les participants à ce débat : la députée (UDI) polynésienne Nicole Sanquer retient avant tout de cette soirée que "si les ministres ne sont pas plus ouverts lors de la table ronde, s'ils persistent à dire que la situation actuelle est satisfaisante, de nombreuses personnes vont être déçues par cette table ronde qui soulève d'immenses espoirs." Elle a voté en faveur de la proposition de loi de Moetai Brotherson. 

Sa collègue (Agir) Maina Sage n'a pas suivi complètement les consignes de son groupe qui appartient à la majorité présidentielle : elle a voté en faveur de deux articles sur trois de la loi. Elle a pris la parole pour dire à quel point ce sujet était douloureux pour le peuple polynésien et à quel point "la science qu'on nous oppose continuellement a évolué, ainsi que la vérité, sur ce sujet." Maina Sage s'est abstenu à propos du premier article de la loi. Elle estime qu'il est "possible d'aller beaucoup plus loin" sur le volet environnemental de cette difficile question et compte faire valoir ses arguments lors de la table ronde de juillet prochain. Pour l'instant, seulement 65 personnes ont été indemnisés par le Civen au titre d'un préjudice du aux essais nucléaires français en Océanie.

​Moetai Brotherson : "Un manque de respect"

Dans une conférence de presse virtuelle qu'il a donnée dans la nuit parisienne, le député polynésien Moetai Brotherson s'est dit "évidemment très déçu, mais absolument pas surpris" que sa proposition de loi n'ait pas été adoptée par l'Assemblée nationale. Pour lui, "la majorité et les ministres présents ont manqué de respect au peuple polynésien, en utilisant les mêmes arguments, la même mauvaise foi qu'on nous oppose depuis 30 ans. Olivier Véran, le ministre de la Santé, fait dire à un rapport de l'AIEA ce qu'il ne dit pas. Je l'ai lu, moi, ce rapport. Et il dit seulement que les données sont invérifiables. Ces arguments, cela n'augure rien de bon." 

Interrogé sur sa participation à la table ronde organisée à l'Élysée sur le sujet des conséquences du nucléaire, le député s'est dit très partagé. "Mon sentiment ce soir, après ce que j'ai vu et entendu c’est de ne pas y aller. L'association 193, l'Église protestante, le Tavini, n'y vont pas. Pour moi, ce sera une opération de communication destinée à préparer le voyage d'Emmanuel Macron, je n'en attends pas grand-chose. Et certainement pas que le génie de Jupiter résolve ce dossier en deux jours."

Rédigé par À Paris, Julien Sartre le Jeudi 17 Juin 2021 à 18:00 | Lu 1916 fois