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Naui Tepa, l'éloquent étudiant


TAHITI, le 6 avril 2022 - Il vient de remporter le prix du public au concours d'éloquence organisé le 24 mars dernier à l'Université de Polynésie française. Naui Tepa, étudiant en master de droit public des collectivités territoriales a eu à cœur de partager sa quête d'identité.

"Que suis-je ? Rien, pas encore, demain peut-être. Non, l'état civil ne me suffit plus, j'ai besoin d'une autre dimension. Mon nom s'écrit avec les lettres de l'alphabet latin mais ma vie, elle, s'écrira avec mon souffle et le souffle de tous ceux qui souffrent du manque d'être. On me dit Tahitien, mais je refuse, cette dénomination a essentiellement une vocation démagogique, touristique. Je suis Mā'ohi et c'est le programme de toute ma vie." C'est en reprenant ces mots du linguiste, écrivain et théologien Turo a Raapoto que Naui Tepa a introduit son intervention lors de la troisième édition du concours d'éloquence qui a eu lieu le 24 mars à l'Université de Polynésie française. "Je suis Naui Tepa et je suis vide de sens."

Naui Tepa est étudiant en première année de master de droit public des collectivités territoriales. Il s'est inscrit au concours "pour le fun" mais aussi "pour redire le mal-être", "pour que les mots deviennent des lances ou des flèches". Il s'est présenté sans crainte, ni stress, séduisant l'auditoire de ses pensées et de son discours choisi. Il n'a rien laissé au hasard, ni les termes, ni la construction de son texte. Pour mettre le fond en valeur, il a soigné la forme, posé chaque geste et pesé chaque silence. Il a remporté le prix du public.

Choix d'orientation

Il est né en 2001, à Tahiti. Naui Tepa a grandi et a suivi toute sa scolarité à Papara. "J'aime bien ma petite brousse", décrit-il. Sa mère est couturière et son père fait les jardins. Après le lycée, il s'est inscrit en droit par curiosité d'abord et puis, "parce qu'il fallait bien quelqu'un qui ait quelques notions dans ce milieu". Sa famille comme beaucoup a "plein de soucis avec le foncier". Elle n'a "personne à qui se raccrocher" pour comprendre et démêler les situations sensibles. Mais, il aurait pu jeter son dévolu sur d'autres filières.

La philosophie et la théologie l'attiraient pour pousser ses réflexions, les lettres lui plaisaient. "J'ai aussi pensé à devenir coprahculteur aux Tuamotu ou même chauffeur de bus". Il se rappelle avoir souvent observé la fraternité et la communauté qui règnent au cœur même des transports en commun. "Chez nous les petites gens, on prend le bus tôt le matin pour aller travailler, nous n'avons pas de voiture. Je voyais les échanges qu'il pouvait y avoir avec les chauffeurs." Mais "cela ne nourrit pas". Aussi pour "assurer ses arrières", il a opté pour le droit public "et pourquoi pas un poste dans l'administration ?"

Il est entré à l'université en 2018. Le droit ne le comble pas complètement. Il s'y intéresse mais c'est pour lui "de la logique et une sorte de prêt à penser". Il suit donc en plus le parcours Sciences politique mis en place par le maître de conférences Sémir Al Wardy. Ce parcours consiste en des interventions régulières de différents acteurs (députés, fonctionnaires d'État…). "Ce qui nous ouvre à d'autres horizons et nous ancre dans des sujets de société. Il ne faut pas s'arrêter aux questions scolaires." Depuis qu'il est en master, Naui Tepa participe à des conférences de méthode. "Nous préparons des exposés sur des sujets variés d'actualité, les présentons, puis quand le professeur a cerné nos fils conducteurs, il nous arrête et nous corrige." Elles ont lieu une fois par semaine et ont traité du déclin des langues, de la place d'un député indépendantiste dans la République française, de réforme de la Constitution, de la 6e République…

Sortir de sa zone de confort

À l'université, Naui Tepa a participé à la fondation d'une association étudiante, Te ui hau no Porinetia. Ils étaient à l'origine une dizaine et sont désormais plus d'une centaine. Cela reste "une association apolitique et sans prétention" qui vient en aide aux étudiants dans le besoin. Elle est née en 2019, alors que des dissensions existaient au sein du syndicat Avenir étudiant. Les statuts ont été déposés en 2020. "Il faut sortir de sa zone de confort", justifie Naui Tepa qui assure des permanences quotidiennes.

Dans cette optique, il aimerait poursuivre ses études ailleurs, partir pour mieux revenir. Il lui reste une année de master. Il vient de se lancer dans un mémoire intitulé "Apports théologiques, juridiques et politiques de l'église protestante mā'ohi dans l'accession à la souveraineté" pour valider son cursus. C'est l'étudiant qui a pensé le sujet. Il veut montrer comment l'église protestante qui a d'abord éteint la culture, peut la faire revivre à présent. Il rappelle, "sans vouloir faire de prosélytisme" que le culte par exemple se fait en tahitien, ce qui participe à faire vivre la langue. Naui Tepa s'attache aux histoires d'influences. "La donne a changé, on tend maintenant vers une revalorisation de la culture."

Ensuite, dans l'idéal, il pourrait se lancer dans un autre master en langue cette fois-ci pour une meilleure connaissance du reo tahiti. Lui a appris à l'école du dimanche. Et pourquoi, ensuite faire de la théologie ? "J'ai besoin de me nourrir, il y a trop de questions et encore trop peu de réponses. On essaie de gratter toujours un peu plus."


"Alors maintenant, on fait quoi ?"

Naui Tepa pense, il se nourrit, il cherche des solutions pour demain. "Nous sommes arrivés au bout du bout de notre situation statutaire, faut-il réformer ? Transférer toujours plus de compétences ?" Pour toutes ces réflexions, Naui Tepa n'a pas de solution. Selon lui "le Mā'ohi souffre". Il veut le crier haut et fort "sans tomber dans le délire extrémiste", insiste-t-il. Il ne veut pas tomber dans le "discours victimisateur", ni en vouloir à l'un ou à l'autre. "Les torts sont partagés." Il reprend les mots de l'auteure Titaua Peu, une amie : "le Polynésien est resté entre deux cultures fantomatiques. L'une n'était pas la sienne, l'autre ne l'est plus. Alors maintenant, on fait quoi ?" Rien n'est arrêté à ce stade, mais Naui Tepa mise sur l'équilibre. "Le Polynésien n'est ni le citoyen du monde, ni le Ma'ohi by Mā'ohi."


Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 6 Avril 2022 à 15:56 | Lu 4437 fois