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Nathalie Heirani Salmon-Hudry à la rencontre des femmes de rameurs


Photo d'archives et d'illustration
Photo d'archives et d'illustration
Le Heiva et son lot de courses de pirogue vient de finir, que déjà, nos champions s’entrainent pour le "super aito" prévu à la mi-août.

Inutile de les présenter, on les connait tous. En revanche, on oublie souvent que ces hommes ont un foyer, une petite famille.

Deux "shelliennes" ont bien voulu répondre à nos questions. Elles ont vu cent fois leurs maris donner des interviews mais sont toutes intimidées d’être soudain sous le feu des projecteurs. Pour les rassurer, nous leur proposons de les citer sous leurs initiales.

Elles diront comment elles vivent la célébrité de leur homme, quels sacrifices font-elles pour leur permettre de vivre leur passion. Le quotidien qui permet à un homme d’être un jour champion.

NH S-H Depuis quelle année vous êtes ensemble ?
N.M. : On est resté ensemble en 2005 mais on s’est connu en 2002.

O.V. : Depuis 2004.

Etait-il déjà champion ?
N.M. : Non, je l’ai connu loin du monde du va’a, au bord d’une rivière à Mahaena, chez sa grand-mère. Et nos regards se sont croisés. (Rires). Et les premiers mots qu’il m’a adressé, c’est : "Tu as de beaux yeux". (Rires). Et j’ai répondu "Merci, toi aussi". Et il est allé se baigner. Lorsqu’on m’a proposé de me ramener chez moi, il nous a accompagnés. On est resté amis 3 ans avant de se décider. Il a dû ramer pour m’avoir. (Rires).
Et c’est comme cela qu’il est devenu champion ?
Oui, tout à fait ! (Rires).

O.V. : Oui, oui, on s’est connu grâce à ça.

Est-il facile d’être la femme d’un rameur professionnel ?
N.M. : Ah non !!!

O.V. : Non, pas du tout !!!

Le plus difficile à vivre ?
N.M. : Sans hésiter, l’absence, quand il doit partir pour des courses. Déjà je suis une une fille qui supporte mal l’éloignement. J’étais comme ça avec mes parents et ça continue avec mon mari. A l’aéroport, je suis la seule à pleurer mais je m’en fiche, je suis spontanée. La deuxième chose est la jalousie. De voir toutes les femmes convoiter mon mari. Mais j’arrive mieux à gérer. J’ai pris confiance. Un exemple, samedi dernier, il est allé seul à sa course.
Mais attention, et il le sait, que je ne voie pas passer des photos de lui avec des minettes ou, lorsqu’il va à Molokai, avec des femmes biens taillées. Je l’ ai prévenu, il le sait. Mais ça va mieux ce côté-là.

O.V. : Pour ma part, c’est la notoriété. Tu n’es plus libre, tu n’as plus d’intimité. C’est difficile à vivre.

Laquelle de ses victoires as-tu le plus apprécié ?
N.M. : Son premier aito, en 2007 je crois. Je ne sais même plus, il y a eu tellement de victoires ! (Rires). Surtout qu’il n’a pas tous les moyens, il ne prend pas de produits, tu vois. Il se débrouille vraiment avec ce qu’on a.

O.V. : Le hawaiki nui où ils ont remporté les 3 étapes. C’était un beau moment.

Rames-tu aussi ? un projet d’une équipe féminine "SHELL" peut-être ?
N.M. : Pas du tout, je ne rame pas. Mais, avec les autres femmes de rameurs, on a discuté de cette idée. On connait toutes les astuces puisqu’on suit nos maris. On peut s’en sortir. Mais quand j’en ai parlé à mon mari, il n’a pas aimé du tout. Il a dit : "pourquoi faire, on rame déjà nous !". Je crois qu’il connait la notoriété que cela entraine et il supporterait mal si ça m’arrivait. Et puis, bon, le va’a n’est pas ma passion. Je le suis, c’est tout.

O.V. : Oh, non, on en a discuté, mais non.

Lorsqu’on est jeune, on rêve d’être princesse. Rêvais-tu d’être femme de rameur ?
N.M. : Ah non !!! J’ai toujours rêvé de rencontrer le prince charmant, de vivre dans le confort. Je n’imaginais pas ma vie comme aujourd’hui. Bon déjà, je voulais devenir institutrice et je suis esthéticienne. (Rires). Non vraiment, je n’imaginais pas ma vie comme cela. (Rires).

O.V. : Non, pas du tout.

N.M. : On vient toutes les deux des Marquises et, le va’a, ça n’existait pas là-bas.

Une journée type la veille ?
N.M. : Il essaye de ne pas aller au travail pour se reposer mais il n’y arrive jamais, parce que je lui fais faire le ménage. Je veux lui faire comprendre qu’il a sa rame, c’est vrai, mais il y a notre vie qui elle continue. Mais, c’est vrai qu’avant une course, il stresse et a du mal à trouver le sommeil. Il n’a pas peur mais il fait déjà ses plans : là, je vais surfer. Là, je descends plus. Il se fait déjà son film.

O.V. : On ne se voit pas de toute la journée. Mais il est assez cool. On remarque quand même une différence entre une course V6 et une course V1.

N.M. : C’est vrai, pour une course V6, c’est le club qui s’occupe du ravitaillement. Donc on est plus cool.

O.V. : Là, on peut s’occuper de notre ravitaillement à nous : notre petite glacière. (Rires).

Une journée type un jour de courses ?
N.M. : A chaque fois, on se prend le chou. Surtout lorsqu’il s’agit d’une course V1. Il est là à stresser la veille mais le matin rien n’est prêt. Il lui manque toujours sa gourde. Avec lui, on ne sait jamais s’il sera ravitaillé, comment. Alors, à la dernière minute à courir après un bateau de ravitaillement. Il me transmet son stress. Alors on crie, on râle. Et quand on arrive devant le monde, il va, l’air de rien, comme s’il ne s’était rien passé. Et un jour, je l’ai surpris en train de dire à ses copains : "Le matin d’une course, une bonne engueulade là, ça motive ! (Rires)

O.V. : Il ne trouve jamais sa gourde, les ciseaux qui ne coupent pas. Il me stresse.

Si ton mari te propose d’arrêter la rame, que lui répondras-tu ?
N.M. : Ah non !!! On a fait l’expérience et c’était mortel. On est parti 1 an, vivre à Moorea et il n’a fait aucune compétition, aucune course. Et il était mal, ça m’avait attristée de le voir comme ça. En fait, il y a que sur l’eau qu’il s’épanouit. Et je préfère le savoir à la rame plutôt qu’à ne rien faire. (Rires).

O.V. : Je vais me marrer et je lui dirai "C’est une blague ?". (Rires). Il ne me dira jamais ça, c’est impossible. Déjà, là, il a raté deux courses, il était mal. Il ne peut pas arrêter la rame. (Rires).

Quel plat cuisines-tu pour lui faire plaisir ?
N.M. : Il mange de tout, il n’est pas compliqué.

O.V. : (Rires). C’est toujours lui qui cuisine. (Rires).

Quel plat cuisine-t-il pour te faire plaisir ?
N.M. : Déjà, le fait qu’il cuisine, ça me fait plaisir. Au début de notre relation, j’étais la seule à cuisiner. Aujourd’hui, il se met plus facilement aux fourneaux.

O.V. : (Rires).

Avez-vous des enfants ? Combien ?
N.M. : Un. Un garçon.

O.V. : Oui, deux.

Allez-vous pousser votre enfant à faire de la rame ?
N.M. : Je n’ai pas besoin de le pousser, il est déjà dedans. Il a déjà son V1, il fait déjà le heiva et le aito. Il veut tout faire comme son papa.

O.V. : Je leur laisserai le choix. Et s ils choisissent de faire de la rame, je les soutiendrais bien sûr.

Quelle place a la rame dans votre vie ? Par rapport à vos vacances et vos week-ends ?
N.M. : Notre vie est calée sur le programme des courses. J’ai toujours voulu aller au motu Martin pour passer le week-end, se retrouver nous 3 et profiter. Impossible, il y a toujours une course. Pour les vacances, c’est pareil. Pour pouvoir voyager, je dois me caler aux courses. Cette année, je vais le suivre à Hawaii pour la Molokai. Ici, je fais plus de choses avec mon fils. D’ailleurs, un jour j’ai dit à mon mari : "Tu sais, l’amour, c’est comme ton barbecue. Il faut mettre sans cesse du bois pour qu’il continue à brûler." Lorsque je suis entrée dans le monde du va’a, je n’ai jamais compris ces femmes qui laissaient leurs maris seuls, qui ne participaient plus aux courses. On ne les voyait jamais. Aujourd’hui je comprends et j’ai même l’impression de devenir comme elles.

O.V. : Prendre des vacances, c’est quasiment impossible. Cette année, on a réussi quand même à partir, c’était nos premières vacances.

Lorsqu’une pirogue franchit la ligne d’arrivée, notre admiration se porte automatiquement sur ceux qui viennent de ramer, oubliant complètement femmes et enfants qui les attendent sagement à la maison.

Ces femmes-là ne seront jamais sur un podium mais elles ont d’autant plus de mérite que leurs efforts se feront toujours dans l’ombre. N.M. nous confiait qu’au début, elle choisissait un travail de nuit ou tôt le matin car elle devait récupérer son fils à l’école. Son mari ne pouvait pas, entrainement oblige. "On a une drôle de vie" dit-elle les yeux remplis d’amour pour l’homme qu’elle a choisi, pour le meilleur comme pour le pire.

Finalement, le vieil adage se confirme même sous nos cocotiers : "Derrière chaque grand homme, se cache une femme".

Rédigé par Nathalie Heirani Salmon-Hudry le Mercredi 31 Juillet 2013 à 10:10 | Lu 1037 fois